Recommandé: arrêter de labourer, encourager les pratiques d'agroforesterie et d'agroécologie, mais aussi favoriser certaines cultures. © belga image

The House of Agroecology : une nouvelle Maison pour une agriculture durable

Estelle Spoto
Estelle Spoto Journaliste

Il est possible de nourrir la planète de manière durable, The House of Agroecology en est persuadée. Reste à convaincre les agriculteurs, l’agro-industrie et les consommateurs. La tâche est immense, mais Emilie de Morteuil, cofondatrice de cette nouvelle Maison, est déterminée.

L’agroécologie, Emilie de Morteuil, cofondatrice de The House of Agroecology,  l’a découverte lors d’une conférence de Pablo Servigne, co-inventeur du terme « collapsologie », qui avait publié, en 2014, l’ouvrage Nourrir l’Europe en temps de crise : vers des systèmes alimentaires résilients. “J’ai eu une sorte de révélation, raconte Emilie de Morteuil, parce que Pablo Servigne parlait de l’agroécologie comme d’une solution pour nourrir le monde. Je n’avais jamais entendu parler de ce terme. J’ai acheté des livres sur le sujet, j’ai regardé des documentaires et j’ai découvert qu’il existait en Belgique un nouveau certificat interuniversitaire entre l’UCL, l’ULiège et l’ULB intitulé « certificat en agroécologie et transition vers des systèmes d’alimentation durable ». J’ai postulé et j’ai eu la chance de pouvoir suivre cette formation. »

Pour la jeune femme formée en gestion à la Louvain School of Management et qui travaillait alors comme consultante dans le secteur du digital, c’est un nouveau monde qui s’ouvre. « Il fallait qu’on aille à la rencontre des agriculteurs, faire des interviews. J’ai adoré. Je venais déjà de la campagne, j’ai grandi à Ittre, il y a toujours eu des fermes autour de chez moi et j’avais déjà une certaine empathie pour ce secteur. » Pour compléter ses connaissances, Emilie de Morteuil suit un master en gestion de l’environnement à l’ULB (IGEAT) et une formation en nutrition à Bruxelles pendant trois ans, « pour avoir aussi l’aspect santé humaine et faire le lien avec la santé des sols », dit-elle. Elle publie d’ailleurs en 2020 un ouvrage dense et richement documenté, Le Guide de la consommation durable : prendre soin de soi et de la planète, où elle fait le tour de l’impact du consumérisme sur l’environnement et la santé humaine, avec une série de recommandations sur les gestes à adopter au quotidien, de l’alimentation à l’énergie en passant par l’hygiène et les vêtements.

13 principes

Mais l’agroécologie, qu’est-ce que c’est ? En juillet 2019, le HLPE, le Groupe d’experts de haut niveau faisant office d’interface science-politique du Comité des Nations Unies sur la sécurité alimentaire mondiale, publiait un rapport où étaient énumérés les 13 principes de l’agroécologie. Ces treize points – recyclage, réduction des intrants, santé du sol, santé animale, biodiversité, synergies, diversification économique, co-création des connaissances, valeurs sociales et types d’alimentation, équité, connectivité, gouvernance des terres et des ressources naturelles, participation- permettent de circonscrire cet ensemble de théories et de pratiques dont il n’existe pas de définition stricte et qui n’est délimité ni par un cahier des charges, ni par un label

Après avoir créé sa propre société, Emilie de Morteuil devient en tant qu’experte indépendante conseillère chez Colruyt pour la stratégie de durabilité. « Au départ, c’était une petite mission, je pensais y rester trois mois, se souvient-elle. Mais une fois que je suis rentrée dans l’entreprise, je me suis dit que c’était peut-être de l’intérieur qu’il fallait changer le système. Je suis plutôt une activiste dans l’âme. J’ai pensé que je pouvais avoir un impact dans cette société. J’y suis restée quelques années, en essayant de pousser l’agroécologie dans leur plan stratégique. »

Guichet central de l’agroécologie

La tâche, bien sûr, n’est pas simple. «Le premier problème, c’est que le mot agroécologie est fortement méconnu. Donc la première chose que j’ai faite, c’est inviter des experts pour qu’ils présentent le concept. »  En discutant avec certains acteurs de l’agro-industrie et de l’agriculture naît petit à petit l’idée d’une « Maison de l’Agroécologie », une sorte de « guichet central » permettant de fédérer les différentes initiatives agroécologiques en Belgique, dans le but d’accélérer la transition vers ce type de pratiques agricoles vertueuses. Emilie de Morteuil fonde The House of Agroecology avec Alban Bouvy et l’asbl Farming for Climate.

Le 13 juin 2022, les premières rencontres de la House of Agroecology avaient lieu à la Fondation Universitaire à Bruxelles. « Nous avons réussi à rassembler près de 100 personnes toute une journée, s’enthousiasme la jeune femme. Des représentants de l’agro-industrie, du secteur associatif, de la recherche scientifique, autant flamands que wallons. Etaient présents les directeurs durabilité de chez Delhaize, Carrefour, Colruyt, de la Raffinerie Tirlemontoise, McCain… et bien sur les acteurs déjà très impliqués dans l’agroécologie. Un panel très hétérogène. A la fin de la journée, j’ai demandé qui serait intéressé de devenir membre, ou au moins recevoir l’information, d’une Maison de l’agroécologie en Belgique et la moitié de la salle s’est levée tout de suite. »

Emilie de Morteuil lors d'un événément organisé par The House of Agroecology

Toute la chaîne

The House of Agroecology entend travailler sur trois axes :

  • transformer les filières
  • développer le socle d’expertise
  • sensibiliser le grand public.

Le tout en connectant les différents acteurs. « Notre ambition est d’avoir un impact sur les différentes  filières, poursuit Emilie de Morteuil. La façon d’y arriver est notamment de se concentrer sur les grandes cultures industrielles en Belgique, les grands acteurs. En Belgique on produit principalement de la betterave sucrière, de la pomme de terre, du colza, des céréales, de la viande, des œufs, des produits laitiers, mais très peu de légumes et de fruits. Par exemple, si on réussit à convaincre les usines de transformations de frites, ça va entrainer des milliers d’agriculteurs. Il faut parvenir à impliquer les différents acteurs de la chaîne, le fournisseur de l’un et l’acheteur de l’autre, travailler ensemble, faire évoluer le cahier des charges et conseiller les agriculteurs. On peut aussi imaginer la création de nouvelles filières, par exemple en protéines végétales, pour l’alimentation humaine, mais aussi pour l’alimentation animale, afin de sortir de notre dépendance aux tourteaux de soja. Dans ce domaine, la luzerne et le ray-grass (ivraie vivace) constituent des couverts végétaux très intéressants dans les exploitations agricoles, qui pourraient être beaucoup mieux valorisés pour l’alimentation animale et qui en plus de fixer l’azote, permettent de mieux stocker le carbone dans le sol. Il existe, surtout en Wallonie, de magnifiques exemples de nouvelles filières en agroécologie -je pense notamment à Cultivae et Farm for Good-, nous cherchons aussi à démultiplier leur impact pour inspirer d’autres acteurs. »

La tâche est énorme, Emilie de Morteuil en est bien consciente. « Il va falloir faire énormément de plaidoyer, affirme-t-elle. Ca va passer par le fait de former les équipes marketing de l’agro-industrie et de la grande distribution ainsi que les équipes d’acheteurs, qui ont un énorme pouvoir dans la grande distribution. » Les banques et les compagnies d’assurance sont elles aussi invitées à entrer dans le mouvement. « Elles pourraient soutenir financièrement les agriculteurs dans leur transition, soit avec des prêts à des meilleurs taux, des primes d’assurances plus intéressantes, ou des crédits liés à la recherche. »

Eviter le greenwashing

Autre objectif de la House of Agroecology : la mise en place d’un comité scientifique, avec des chercheurs des différentes universités et centres de recherche flamands et francophones, et de différentes disciplines, économique, sociologique, agronomique. « On voudrait pouvoir se reposer sur des bases scientifiques et être en mesure de dénoncer des publications ou des allégations mensongères d’entreprises. Pour éviter le greenwashing, nous faisons signer à tous nos membres une charte d’engagement assez stricte. Les membres industriels s’engagent à rédiger un plan de démarche sur la transition agroécologique pour les trois années à venir, à former leurs équipes, à avoir un point de contact pour la House of Agroecology et à respecter certaines règles de communication. On est inclusif, on accepte tout type de taille d’agro-industrie, tout type de taille d’agriculteurs, en conventionnel, en bio, en transition, en régénératif, mais on doit se protéger du greenwashing. » Troisième volet : la sensibilisation du grand public, par divers biais, notamment une communication sur les réseaux sociaux et des événements. Il est important de remettre les agriculteurs au centre et de revaloriser leur métier, pas seulement pour leurs produits d’alimentation mais aussi pour les services écologiques qu’ils rendent. La House of Agroecology sera notamment présente à la Foire de Libramont, du 28 au 31 juillet, dans un Village de l’agroécologie aux côtés du Service Public de Wallonie, le CRA-W (Centre wallon de Recherches agronomiques) et le réseau d’agriculteurs en transition agroécologique Terraé. Rendez-vous au stand 35.01.

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