La rébellion du leader de Wagner, Evgueni Prigojine, ne pouvait rester impunie.

Comment Poutine tourne définitivement la page Prigojine (analyse)

Gérald Papy
Gérald Papy Rédacteur en chef adjoint

La rébellion du leader de Wagner ne pouvait rester impunie. Question d’autorité. Reste à voir comment la population va percevoir la disparition d’un “patriote” qui séduisait.

Il sera difficile de prouver, hors du cercle du pouvoir et des forces de sécurité à Moscou, que le crash de l’avion qui a coûté la vie le mercredi 23 août au patron de la société militaire privée Wagner n’est pas un simple accident. L’idée qu’il résulte d’une vengeance de Vladimir Poutine deux mois après le lancement par Evgueni Prigojine et ses hommes d’une marche sur la capitale russe qui a menacé son pouvoir comme jamais n’échappe évidemment à personne. Le maître du Kremlin depuis vingt-trois ans, ancien officier du service de renseignement du KGB, n’a rien de plus en horreur que la trahison. Et l’histoire contemporaine de la Russie a démontré que le régime poutinien a les moyens et l’expérience de ces pratiques d’élimination d’opposants ou de partenaires devenus trop gênants.

Après la rébellion du 24 juin justifiée, selon son concepteur, par l’incurie supposée du ministre de la Défense Sergueï Choïgou et du chef d’état-major des armées Valeri Guerassimov dans la guerre en Ukraine, on s’est interrogé sur l’impunité dont semblait bénéficier l’ancien cuisinier de Poutine. La révélation d’un entretien au Kremlin entre les deux hommes quatre jours après le coup de force a même laissé penser que le groupe de mercenaires Wagner était devenu un élément tellement important de l’effort de guerre et de la capacité de projection russe à l’étranger que Vladimir Poutine ne pouvait s’en priver et, par conséquent, se devait de ménager son chef Evgueni Prigojine. En réalité, la rencontre de Moscou a sans doute participé du stratagème – endormir la méfiance des dirigeants de Wagner pour mieux régler leurs comptes – qui a été fatal à l’exécuteur des basses oeuvres du régime aux prétentions devenues clairement intolérables pour Poutine.

Le Kremlin a sans doute jugé que le moment était opportun, et l’occasion fournie par la présence dans l’avion de Prigojine et du cofondateur de Wagner Dmitri Outkine trop “belle”, pour régler le sort du “traître”.

Les deux mois écoulés ont aussi permis de démanteler et de réorganiser la société Wagner et ses milliers de combattants selon les voeux du Président et de la hiérarchie militaire russe : intégrer un maximum d’hommes dans l’armée régulière, isoler les plus fidèles des soutiens de Prigojine au Bélarus, conserver la force de frappe du groupe en Afrique. Et ainsi prévenir tant que faire se peut une réaction violente des serviteurs de Prigojine désireux à leur tour de se venger sa mort annoncée. Le Kremlin a sans doute jugé que le moment était opportun, et l’occasion fournie par la présence dans l’avion de Prigojine et du cofondateur de Wagner Dmitri Outkine trop “belle”, pour régler le sort du “traître”. Mais, même si elle a été minimisée par la dispersion de ses troupes, la menace de Wagner n’est pas complètement éteinte. La chaîne Telegram Grey Zone a accusé dès le mercredi 23 août l’armée russe d’avoir abattu l’avion de Prigojine par un missile anti-aérien. Des témoins ont d’ailleurs affirmé avoir entendu avant la chute de l’appareil une double explosion caractéristique de ce type d’opération. Et la tenue d’une nouvelle “marche de la justice” sur Moscou a été évoquée par des supporters du chef de Wagner décédé.

La capacité de Vladimir Poutine à contenir cette colère et donc à tourner définitivement la page de Prigojine, si ce n’est de Wagner dont il aura encore besoin en Afrique dans une version renouvelée, dépendra de la réaction de la population. On a vu ces derniers mois dans certaines franges de celle-ci que la bravoure et franc-parler d’Evgueni Prigojine séduisaient, et dans d’autres que l’impunité dont il a paru un temps pouvoir jouir révoltait parce qu’on ne peut pas attenter ainsi à l’autorité du Président russe sans en subir les conséquences. Il y a fort à parier que dans cette opposition, ce sont les tenants du conservatisme et de la fidélité au pouvoir établi qui l’emporteront. Poutine sait user de la fibre nationaliste pour resserrer les rangs derrière lui. Et uniquement derrière lui.  

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