Sander Loones (N-VA) : au sein de l'Union européenne, "la solidarité est aujourd'hui plus importante que la responsabilité. Ce devrait être précisément l'inverse". © Tim Dirven/Reporters

« Je comprends pourquoi les Britanniques ont quitté l’Union européenne »

Olivier Mouton
Olivier Mouton Journaliste

Bras droit de Bart De Wever, Sander Loones craint que le comportement actuel des proeuropéens n’engendre d’autres exits. Il veut créer un axe « réaliste » avec les pays du Nord. Et avertit la Wallonie. Entretien exclusif.

Vice-président de la N-VA, Sander Loones est l’homme qui monte au sein du parti nationaliste : présenté comme le successeur de Bart De Wever, il est désormais en charge de la réflexion interne sur le confédéralisme. Ce député au Parlement de Strasbourg est la voix de la N-VA sur les questions européennes. Son opinion est tranchée : il fustige les europhiles et les Wallons.

L’euroscepticisme ne cesse de croître en Europe. C’est aussi votre sentiment ?

En effet. Et nous vivons des moments historiques. Pour la première fois de son histoire, l’Union européenne va être réduite. Le résultat du vote des Britanniques est clair : ils veulent s’en aller. Et je dirais même plus : je comprends pourquoi, même si j’aurais préféré qu’ils restent. Cette Union est synonyme de crises : de l’euro, de l’asile, de la sécurité.

Le Brexit est la sonnerie du réveil. Or, je constate que sur le continent, ils sont encore nombreux à dormir. Nous entendons surtout les europhiles prendre la parole : ils rêvent toujours de leurs impôts et de leurs transferts européens, de leur gouvernement et de leur super-Etat européen. Les eurofédéralistes n’ont pas compris que le débat concerne aujourd’hui la gestion de la migration et la garantie de sécurité, l’identité et la collaboration dans le respect de la souveraineté. L’Union voulue par les europhiles est décalée des réalités et ne mènera qu’à davantage de sorties de pays membres.

La N-VA préfère parler d’ « euroréalisme ». Quelle est précisément votre conviction ?

Le président de la Commission, Jean-Claude Juncker, attribue tout ce qui échoue au  » trop peu d’Union dans l’Europe, trop peu d’Europe dans l’Union « . A chaque crise, l’Union réclame davantage de solidarité et une solution européenne. Cette fuite en avant est préférée au chemin du réalisme, de la réflexion et de la recherche de soutien social que nous préconisons. C’est précisément ce volontarisme fédéraliste effréné qui est la maladie de l’Europe. Et l’on s’étonne ensuite que les citoyens européens ne se reconnaissent pas dans cette Union.

Quand la Grèce continue à créer des problèmes, est-ce la tâche des autres Etats membres de les résoudre ? Quand les pays de l’espace Schengen continuent à bafouer les règles de la migration, pourquoi se contenter d’un plan européen sur la répartition des demandeurs d’asile, sans mener le débat sur une limite stricte du nombre de nouveaux migrants qui peuvent être accueillis dans l’Union européenne ? En outre, celui qui dépasse les limites fixées au sein de l’Union européenne peut trop facilement faire payer l’addition aux autres.

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La montée de l’euroscepticisme n’est-elle pas aussi la conséquence d’élites nationales qui rejettent sans cesse la faute sur l’Europe ?

Sans doute. Mais elle trouve surtout son origine dans le fait que l’actuelle Union européenne récompense encore beaucoup trop l’irresponsabilité. Celui qui insiste sur la responsabilité individuelle des Etats est considéré comme asocial. La solidarité est aujourd’hui plus importante que la responsabilité. Ce devrait être précisément l’inverse. Les accords ne sont jamais aussi forts que s’ils s’accompagnent de sanctions effectives. Et l’ultime sanction, le prix qui doit être payé, c’est d’être mis de côté, d’être contraint de quitter le club de l’euro ou de Schengen.

L’euroscepticisme est-il nourri par des institutions européennes trop arrogantes ?

L’actuelle Union européenne est en effet atteinte par la folie des grandeurs. Elle pense pouvoir tout se permettre. La réalité, c’est qu’elle démarre avec de bonnes intentions, mais laisse finalement les problèmes aller jusqu’à une impasse. Or, certains veulent encore charger l’Union de nouvelles compétences et d’ambitions irréalistes. C’est une spirale infernale, qui enterre toute adhésion au projet. L’Europe a besoin de règles claires et d’Etats membres responsables, pas d’improvisation politique. Faute de quoi, la prochaine crise est déjà annoncée.

Certains affirment que l’élargissement de l’Europe fut le début de ses difficultés. Quelles sont, selon vous, les solutions pour lui rendre une crédibilité ?

L’Union européenne doit être à nouveau délimitée. Géographiquement : nous devons clairement dire qu’elle ne peut pas s’élargir indéfiniment. Nous devons clairement dire que la Turquie ne sera jamais membre de l’Union. Pas aujourd’hui, pas demain, pas après-demain. Jamais. Sur le fond, aussi : nous devons nous demander si toutes les compétences qui sont exercées aujourd’hui au niveau des Vingt-huit doivent le rester à l’avenir. Ou si, au contraire, certaines compétences ne doivent pas retourner aux Etats et Régions. La N-VA est d’ailleurs en train de faire l’exercice. Nous ne sommes pas les seuls : d’autres, au sein de l’Union, s’y emploient aussi.

Le chant des socialistes est L’Internationale, mais avec le PS, la Wallonie se coupe du monde.

Nous devons enfin corriger la vision actuelle. Le Parlement européen a voté un budget qui devrait être l’expression des choix politiques. Que constate-t-on ? Que 2,7 % du budget total européen sera consacré à  » sécurité et citoyenneté  » et 6,2 % à  » l’Europe et le monde « . A peine 9 % du budget total, donc, à ce qui devrait être la plus grande priorité de notre Union. Comment répond-on à la crise de la migration ? Comment le citoyen européen peut-il faire confiance à la protection offerte ? Il est temps que l’Union se consacre à ce qui peut lui donner une vraie plus-value. Je constate malheureusement qu’elle n’a pas la volonté politique de choisir le vrai changement.

Dès lors, que faudrait-il faire ?

Nous devons chercher de nouveaux alliés au sein de l’Union, pour veiller à ce que nos intérêts soient mieux défendus. Car l’équilibre des forces bascule. Dans bien des domaines, le Royaume-Uni prenait la direction d’un groupe de pays ayant davantage de foi dans le marché. C’est le Premier ministre britannique David Cameron qui a mis fin à la croissance continue du budget européen. Une fois les Britanniques partis, le pouvoir de ce groupe diminuera en faveur des pays méditerranéens qui veulent codiriger l’économie. Aux Pays-Bas, en Irlande et dans les pays scandinaves également, des ministres s’inquiètent de ne plus pouvoir s’abriter à l’avenir derrière les larges épaules britanniques.

Ceux qui pensent que le forum adéquat se situe au sein du groupe des six pays fondateurs nient la réalité. La France et l’Italie optent d’ailleurs pour une approche plus radicale, tandis que les Pays-Bas cherchent assidûment d’autres partenaires. Pour aborder cette nouvelle réalité, nous devons nous aussi orienter notre regard vers le nord. Les Pays-Bas et la Finlande optent pour une approche budgétaire et monétaire plus stricte, le Danemark parle une voix claire au sujet de l’immigration et les pays scandinaves sont des partenaires pour une politique énergétique et environnementale moderne. Ne s’agit-il pas là des visions que les Flamands partagent dans les grandes lignes ?

« Les Britanniques veulent s’en aller et je comprends pourquoi. Le Brexit (ici Boris Johnson, son plus fervent partisan) est la sonnerie du réveil. »© ANDREW PARSONS/REPORTERS

Cela n’est pas un appel à laisser croître les tensions entre le Nord et le Sud ou entre l’Est et l’Ouest. Les crises auxquelles l’Union européenne fait face ne peuvent être résolues que s’il y a une volonté politique suffisante pour collaborer. Mais ne soyons pas naïfs. Ce serait faire preuve de bon sens que les petits Etats membres du nord se serrent les coudes.

Le combat du PS contre le Ceta était-il utile pour une meilleure Europe ?

Tout le monde était prêt à signer le traité de libre-échange avec le Canada. Sauf la Wallonie, sauf Paul Magnette, sauf le Parti socialiste. Pour eux, on ne peut visiblement pas commercer avec le Canada. Mais le PS n’a par contre aucun problème à vendre des armes à l’Arabie saoudite.

La Wallonie avait le droit d’être contre cet accord, bien sûr. Mais Donald Tusk, président du Conseil européen, a qualifié le débat sur le Ceta de « hautement émotionnel ». Son analyse est juste. Le PS a diabolisé le traité. Finalement, pas une lettre n’a été changée, mais il se félicite de l’accord. C’est illogique… Après que le PS a reçu assez d’attention médiatique et renvoyé le PTB dans le coin, il a de nouveau plié, en se retranchant derrière une déclaration interprétative du Ceta pour sauver la face. Alors qu’il n’y a rien de neuf dans cette déclaration.

Qu’en concluez-vous ?

Tout le monde sait désormais en Europe ce qu’est le PS. Un parti qui subordonne tout à son positionnement politique. Un parti qui ne trouve pas grave de jouer à des petits jeux politiques pour attirer l’attention médiatique, et qui le fait sans scrupule au détriment des Wallons qui espèrent trouver un emploi. Un parti qui foule des pieds la collaboration européenne. Le chant des socialistes est L’Internationale, mais avec le PS, la Wallonie se coupe du monde. Elle opte pour moins de croissance, moins d’emplois et choisit l’appauvrissement. C’est son droit. Mais qu’elle ne le fasse pas à notre détriment.

Tout comme la Flandre, la Wallonie est un forum démocratique proche des citoyens. Il est donc logique et nécessaire que les Régions se penchent sur de tels dossiers. Cela devrait d’ailleurs être le cas pour d’autres domaines encore fédéraux. Le puzzle n’est pas achevé, le confédéralisme est nécessaire : la démocratie en sortirait renforcée. Quand le PS agit de la sorte, il fait payer la facture à l’autre démocratie, en Flandre. Voilà pourquoi une plus grande responsabilisation est fondamentale.

La Wallonie n’aurait-elle pas le droit de voter comme elle l’entend ?

Oui, mais elle ne peut pas s’octroyer le droit de bloquer les autres. Faut-il dès lors pouvoir décider au niveau européen, à la majorité qualifiée contre la minorité ? Non, parce que cela ferait baisser davantage encore la crédibilité du projet européen. Nous devons au contraire arrêter les compromis. Nous devons aller de l’avant avec ceux qui le veulent. Et si la Wallonie veut rester seule sur le bord du chemin, c’est son droit le plus strict.

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