Il y a actuellement plus d'1 milliard de véhicules thermiques en circulation © belga image

Cinq raisons pour lesquelles les moteurs thermiques tourneront encore après leur interdiction en 2035

Nathan Scheirlinckx
Nathan Scheirlinckx Journaliste au Vif

L’Union européenne a décidé d’interdire la vente de véhicules thermiques neufs dès 2035. Pour autant, les moteurs thermiques continueront de tourner après cette date butoir. Pour au moins 5 raisons.

Au placard, les moteurs thermiques ? Dès 2035, il ne sera plus possible d’acheter une voiture neuve essence, diesel ou hybride sur le territoire de l’Union européenne. L’objectif de cette mesure : tendre vers une flotte automobile neutre en carbone. En pratique, l’interdiction concerne la vente de véhicules thermiques légers (voitures et camionnettes).

« Il n’y avait pas d’autre issue. On ne pourra jamais faire de moteurs thermiques non polluants », note Adel El Gammal, chercheur à l’École polytechnique de Bruxelles et spécialiste de la géopolitique de l’énergie. « Si on part de l’hypothèse que la transition énergétique et écologique est absolument nécessaire, il faut passer par une décarbonation de notre mobilité », avance Francesco Contino, professeur à l’Ecole Polytechnique de Louvain. Le passage massif à la voiture électrique est plus un choix qu’une obligation selon l’expert, qui estime « qu’on pourrait aussi décider d’arrêter d’utiliser la voiture, même si c’est une utopie ». Olivier Duquesne, journaliste au Moniteur Automobile, pense aussi que l’abandon du thermique est un choix, mais pour une autre raison. « Je comprends pourquoi ils poussent pour l’électrique mais il y a trop d’a priori négatifs avec le thermique. L’évolution technologique des voitures thermiques pourrait les rendre adaptées aux exigences climatiques. Mais les constructeurs ne peuvent pas courir deux lièvres en même temps. Ils ont choisi l’électrique car ils ont bien compris que l’Europe prendrait cette voie-là ».

La voie électrique empruntée par l’Union européenne n’est donc pas à sens unique. Le chemin inverse, vers un retour partiel aux moteurs thermiques, est envisageable, pour au moins cinq raisons.

1. Le marché parallèle des voitures thermiques

« On est très loin de la fin des moteurs thermiques en 2035, analyse Francesco Contino. La réglementation concerne les voitures neuves, il y aura donc encore un marché parallèle. On a choisi 2035 pour qu’il n’y ait plus du tout de voiture thermique en 2050. D’ici là, on ne pourra pas remplacer totalement la flotte thermique par une flotte électrique. Par contre, j’espère qu’on utilisera des voitures partagées et plus de transports en commun pour diminuer le nombre de véhicules en circulation. Si on ne le fait pas, le coût de l’augmentation de la flotte va rapidement grever le budget, qu’on ne pourra pas allouer au reste de la mobilité. Pour gérer cette transition, il faudra mettre l’argent au bon endroit« . Adel El Gammal, pense aussi qu’on ne pourra pas remplacer chaque véhicule thermique par un véhicule électrique. « C’est un non-sens. Je crois qu’il y a 1,2 ou 1,3 milliard de véhicules thermiques sur Terre. En 10 ou 20 ans, on ne peut pas remplacer tous ces véhicules. Si les gens sont poussés à le faire, ce sera le chaos total. Il y a fort à parier que les véhicules encore utilisables seront revendus dans le monde. Ils ne seront pas remplacés mais finiront en Afrique, par exemple, dans des pays où on regarde moins aux émissions de gaz à effet de serre. »

2. Les poids lourds ne sont pas concernés

La réglementation européenne ne concerne que les véhicules légers. Les véhicules poids lourds comme les avions, les camions ou les bateaux ne devront pas obligatoirement se mettre à l’électrique. « Ces véhicules servent notamment au transport de marchandises et auront toujours besoin de pétrole, prévient Olivier Duquesne. Pour eux, l’hydrogène pourrait être un carburant plus adéquat que l’électricité. Même s’ils ont la place pour accueillir de grosses batteries, encore faut-il pouvoir les recharger correctement ». Selon Francesco Contino, « il y aura encore beaucoup de véhicules thermiques en 2035, et notamment pour les longues distances. En pompe, on n’aura plus de produits pétroliers en tant que tels mais des produits issus du renouvelable comme l’e-fuel pour les camions ».

3. Ces moteurs thermiques qui utiliseront du carburant de synthèse

C’est une demande allemande qui a stupéfié les Etats membres début mars. Un carburant de synthèse, supposé neutre en carbone, pourra être utilisé pour faire rouler des véhicules thermiques après 2035. La manoeuvre a permis de contenter l’industrie automobile allemande, qui pèse lourd sur le marché. « Ils ont réussi à trouver une porte de sortie », déplore Adel El Gammal, qui a participé il y a 10 ans à des discussions sur la politique énergétique de l’Union européenne. « Le comportement de l’Allemagne ne m’étonne pas, même si je le trouve lamentable. Les Allemands ont toujours été les opposants principaux à la transition énergétique en matière de transport. Le secteur automobile de nos voisins est un géant mondial, qui prend une part importante dans le PIB du pays ».

(suite de l’article après l’infographie)

4. La position ambiguë de la France sur les moteurs thermiques

Mais l’Allemagne n’est pas le seul pays à voir cette électrification du parc automobile d’un mauvais œil. L’Italie et la Pologne, entre autres Etats-membres, ont réuni leurs ministres du Transport pour s’y opposer, sans succès. Avant eux, « même si on n’en parle pas », glisse Olivier Duquesne, la France, de manière plus subtile, a introduit une clause permettant d’activer le frein à main pour faire marche arrière avec la voiture électrique. « La France a placé une clause de revoyure qui permet de revenir sur la décision dans les années à venir, en fonction de l’évolution technologique et de la faisabilité du passage à l’électrique, explique le journaliste auto. Le marché français est fort dépendant du diesel, encore utilisé par pas mal de gens en zone rurale. Donc la voiture électrique peut poser souci. Je pense que les débats risquent d’être tendus à Strasbourg et à Bruxelles, sauf si les constructeurs réussissent le pari d’offrir des électriques aussi flexibles que les thermiques dans les années à venir. »

5. La « clause Ferrari » pour les voitures sportives

Enfin, dernier frein au tout à électrique pour l’automobile, l’amendement 121 ou « clause Ferrari », un changement obtenu par l’Italie (et l’Allemagne) pour ses constructeurs de voitures sportives. Concrètement, les constructeurs pourront continuer à vendre des modèles fonctionnant avec des moteurs thermiques ou hybrides. Pour cela, une seule condition : que le modèle en question soit construit à moins de 1000 exemplaires par an.

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