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Condamnation de Navalny en Russie: « L’arbitraire judiciaire est total »

Le Vif

La condamnation à cinq ans de camp de l’opposant russe Alexeï Navalny est le signe d’un réel durcissement d’un pouvoir russe. L’analyse de Marie Mendras, professeure à Sciences Po spécialiste de la Russie*.

Le verdict dans le procès d’Alexeï Navalny est un nouveau signe du durcissement en cours en Russie… Vladimir Poutine est au pouvoir depuis 1999. En 14 ans, toutes les grandes institutions du pays se sont dégradées. La Cour constitutionnelle n’est plus que l’ombre d’elle même. Les rares juges qui avaient des opinions indépendantes en ont été écartés. Le parlement est aux ordres. La Douma par exemple vient de voter une loi homophobe à l’unanimité des votants, avec une seule abstention. La liberté d’information est de plus en plus attaquée et tous les grands médias télévisés sont sous contrôle. Par exemple, la lecture du jugement de la condamnation de Navalny n’a pas été filmée par les télévisions officielles. Enfin la justice est un instrument utilisé pour la coercition des opposants. L’arbitraire judiciaire est total. Les procès comme celui organisé contre Alexeï Navalny ou le maire d’Iaroslav, Evgueni Ourlachov en sont l’illustration.

Cela ressemble aux procès soviétiques… Il y a certaines ressemblances, comme avec d’autres régimes autoritaires qui utilisent l’arbitraire pour étouffer des voix dissidentes. Mais le jeu des autorités aujourd’hui est plus pervers. Elles utilisent le système du « kompromat »: on construit un dossier compromettant contre la personne à qui on reproche son indocilité envers le pouvoir, d’abord pour la menacer et lui faire peur. Si elle s’entête, on met la machine judiciaire en marche. Le juge qui prononce la sentence sait très bien que la décision qu’il prononce repose sur des accusations montées de toute pièce. Les autorités ont procédé de la sorte dans le procès contre Navalny, comme elles l’avaient fait pour le second procès de Mikhaïl Khodorkovski, ou dans de nombreux autres cas. Mais à l’époque soviétique, on appelait vraiment « prisonniers politiques » ce type de détenus. Aujourd’hui, Vladimir Poutine tente de brouiller les pistes. Par exemple, les autorités viennent d’adopter une loi d’amnistie pour certains délits économiques, taillée de telle sorte qu’elle en exclut les ennemis de Poutine. Cela permet de donner l’impression que le régime fait preuve d’une certaine souplesse, et contribue à ternir un peu plus la réputation des opposants, laissant entendre que ceux qui restent derrière les barreaux ont une bonne raison d’y être; qu’il n’y a pas de fumée sans feu.

On n’est plus à l’ère soviétique. L’URSS était très fermée, alors qu’aujourd’hui existe une grande liberté de circulation des personnes, mais aussi des idées, via internet en tout cas. La grande différence c’est surtout l’enrichissement des élites et des classes moyennes. La Russie de Poutine est donc un étrange mélange de capitalisme rentier et de régime autoritaire. Tant qu’ils acceptent les règles du jeu, qu’ils restent soumis à l’autorité du despote, les cadres du pays peuvent s’enrichir autant qu’ils veulent. Mais gare à ceux qui dépassent la ligne…

A quand remonte l’accélération de la répression?

Poutine et son entourage ont eu très peur des grandes manifestations de l’hiver 2011-2012 –qui dénonçaient les fraudes électorales à l’occasion des législatives–. Il a alors décidé de tout faire pour garder le pouvoir, et mis en place une stratégie de rouleau compresseur. Les premières cibles ont été les ONG qui veillaient au bon déroulement des élections, comme Golos. L’accumulation des lois liberticides, dont celle qui a visé les ONG l’été dernier, fonctionne toujours avec la même logique: viser quelques cibles précises et en même temps faire peur aux autres.
Le durcissement des autorités s’est très nettement accéléré au moment du retour de Vladimir Poutine à la présidence, le 7 mai, au lendemain des grandes manifestations de l’opposition de la place du Marais. Plusieurs organisateurs ont été poursuivis, condamnés ou sont en détention préventive. Notamment des grandes figures politiques comme Sergueï Oudaltsov et Alexeï Navalny.

La majorité de la population est-elle indifférente à cette évolution?

La contestation au cours de l’hiver 2011-2012 a montré que le ras-le-bol va au delà des classes moyennes. On peut estimer qu’une petite moitié des Russes fait le gros dos, préfère ne pas se poser de questions. Mais cette population résignée était de l’ordre des deux tiers par le passé. Les analyses faites par les instituts de sondages ou les sociologues russes -notamment via les sondages sortis des urnes– montrent que le vote réel en faveur des candidats du régime aux dernières élections était très inférieur aux résultats officiels. Aux législatives de décembre 2011, pas plus d’un tiers des électeurs (et seulement un quart des Moscovites) ont réellement voté pour le parti au pouvoir, Russie Unie, bien loin des 49% officiels. De même, le taux de participation à la présidentielle de 2012 a été très inférieur aux 65% annoncés. Environ un tiers des inscrits auraient voté pour Poutine. On est donc très loin de l’unanimisme auquel le pouvoir veut faire croire. Mais bien sûr, il y a une marge entre le fait de ne pas voter et descendre dans la rue pour contester les autorités.

Jusqu’où peut aller cette évolution?


La dérive actuelle donne le vertige. Une telle fuite en avant des groupes dirigeants et du FSB ne peut que contribuer à démobiliser les élites dynamiques et éduquées de ce pays. Alors que la croissance connaît un sérieux ralentissement, l’économie russe est de plus en plus sclérosée, axée quasi exclusivement sur la vente de matières premières. Mais les clans oligarchiques qui vivent de la rente gazière et pétrolière sont incapables de vision à long terme. Pire, une diversification économique et politique les mettrait en danger. Ce raidissement est d’ailleurs lié à leur peur de l’avenir. S’ils étaient vraiment sûrs d’eux, ils n’auraient pas besoin de mener une politique si répressive. Cette manière d’empêcher leur pays de se moderniser est en fait la bataille de tout un système pour survivre.

Propos recueillis par Catherine Gouëset

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