Bruno Colmant © belga

Bruno Colmant sur la taxe des surprofits: «Tinne Van der Straeten a tort de vouloir aller plus loin que l’Europe»

Noé Spies
Noé Spies Journaliste au Vif

Taxer les surprofits et dépasser le cadre européen : le plan annoncé par la ministre de l’Energie Tinne Van der Straeten doit rapporter la bagatelle de 4,7 milliards d’euros en deux ans et adoucir le choc énergétique. Pour l’économiste Bruno Colmant, ce montant ne va pas tout résoudre, et la véritable solution se trouve ailleurs. Selon l’expert, cette somme doit néanmoins servir à financer le tarif social élargi. « C’est la base absolue », dit-il.

En deux ans de temps, la ministre Groen compte écrémer 4,7 milliards d’euros de surprofits du secteur énergétique et pétrolier. Comment ? La plus grosse part, 3,5 milliards d’euros, provient d’un plafonnement des recettes du secteur électrique. Ainsi, tout revenu supérieur à 130 euros par mégawattheure sera imposé à 100 %. L’Europe ayant fixé ce plafond à 180 euros. Van der Straeten compte obtenir la deuxième partie, soit 1,2 milliard d’euros, via une contribution de solidarité du secteur pétrolier, estimée à 1,5 centime par litre.

« En réalité, il ne s’agit pas d’une taxe sur les surprofits à proprement parler », indique au Vif Bruno Colmant, économiste et membre de l’Académie royale de Belgique. « L’énergie est facturée au prix de gros, lui-même basé sur le prix du gaz. C’est donc un profit qui est simplement lié au pricing de l’énergie. Ce n’est pas une taxe à proprement parler », stipule Bruno Colmant. Selon l’économiste, la démarche vise d’abord à corriger le système de prix de l’électricité, qu’il juge aberrant. « En fait, on ne paie pas le vrai coût. On paie un coût de production d’une unité qu’on n’a pas produite soi-même. »

Surprofits: « Tinne Van der Straeten a tort de vouloir dépasser le cadre européen »

Le plan de la ministre de l’Energie dépasse largement le cadre établi par l’Europe. Dans l’accord européen, un plafond d’un maximum de 180 euros par mégawattheure a été décidé. Van der Straeten, qui souhaite le fixer à 130 euros par mégawattheure, écrémerait donc beaucoup plus que ne l’indique l’Europe. En outre, la Commission a évoqué un délai beaucoup plus court – sept mois – pour prélever cette contribution de crise. Selon le plan de la ministre Groen, la Belgique prélèverait cette taxe de crise pendant deux années pleines, soit 17 mois de plus que ce qui a été décidé au niveau européen.

La Belgique peut-elle se permettre de dépasser ainsi le cadre européen de façon légale? Selon le cabinet de Van der Straeten, la réponse est oui. Il indique au Standaard que la Commission européenne permet d’aller plus loin, « à la fois dans le plafond des prix et dans la durée de la période pendant laquelle les surprofits sont écrémés. »

Pour l’économiste Bruno Colmant, dépasser ce qui a été fixé par l’Europe est une très mauvaise idée. « Ce n’est pas réaliste. On se détache d’une norme européenne de taxation. Je ne vois pas sous quel motif on devrait aller plus loin. Ça ne me semble pas correct de le faire. Ce serait casser une harmonie européenne. Je n’ai pas compris pourquoi Tinne Van der Straeten voulait aller encore plus loin », pointe-t-il. « Aller plus loin que l’Europe me semble dangereux. Je pense qu’au final, le retour à la raison prévaudra et qu’on se limitera au plafond européen, soit 180 euros/Mwh », prédit Colmant.

Surprofits: plusieurs critères

Concrètement, cet argent va-t-il servir à réduire la facture énergétique du citoyen ? Pour l’économiste, plusieurs critères doivent être réunis pour que ce montant soit utile. « C’est un système qui doit absolument être temporaire. Il ne peut aucunement mettre en péril la situation financière des entreprises visées. Elles doivent survire. D’autre part, on ne doit toucher que l’aspect production et pas l’aspect distribution. Enfin, il faut absolument que cet argent soit réaffecté au tarif social, euro par euro. Et que cet argent ne rentre pas dans le pot commun du budget fédéral. Il faut qu’il s’agisse d’une taxe dont on voit l’affectation précise », énonce Bruno Colmant.

Pour l’économiste, le risque est également de voir Engie contre-attaquer face aux largesses prises par Van der Straeten. « Engie, on leur dit d’abord qu’on veut fermer leurs centrales, puis qu’on veut en rouvrir, et maintenant qu’on les taxe davantage. Ils se demandent à quelle sauce on les traite. Et je peux comprendre. Tinne Van der Straeten a tort de vouloir aller plus loin que l’Europe. On ne comprend pas la logique. D’ailleurs, peut-être qu’Engie pourra aller en justice. »

« Cet argent doit servir à financer le tarif social, euro par euro »

Pour Bruno Colmant, ce montant doit servir à un but précis. « Il faut que ces 4,7 milliards servent à financer le tarif social élargi, qui coûte beaucoup d’argent à l’Etat. L’Etat va récupérer auprès des producteurs une somme qu’il doit directement redonner à ses citoyens. C’est la base absolue. Car si cette somme sert à aller financer d’autres choses, ça ne passera pas. Il faut pouvoir démontrer que ce montant aura servi entièrement au tarif social élargi. Cette somme pourrait éviter le fait que l’Etat s’endette inutilement. »

« La véritable solution : une baisse d’impôt pour les bas revenus »

Cette somme peut-elle déboucher sur des aides supplémentaires pour les citoyens ? Pour Bruno Colmant, cette mesure est nécessaire, mais pas suffisante pour espérer de nouvelles mesures d’aide. Et la véritable solution se trouve ailleurs. « Ces 4,7 milliards ne serviront pas les citoyens les plus en difficulté. J’estime qu’il y a actuellement 45% de la population concernée par une précarisation financière à cause des prix de l’énergie. Pour moi, la solution se trouve dans la baisse de l’impôt pour les bas revenus, c’est certain. J’ai une conviction absolue là-dessus. Ce n’est donc pas avec ce genre de taxe qu’on va tout résoudre. Quand on rentre en récession, comme c’est le cas maintenant, il y a un seul objectif politique, c’est aider les gens les plus pauvres. On ne peut le faire qu’avec un allègement de l’impôt pour les premières tranches de taxation », plaide l’économiste.

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