De Wever Di Rupo, mai 2014. © Belga Images

Trois ans avec les militants de la N-VA : les socialistes ont laissé grimper la dette

Aubry Touriel

« Décision : La plainte n’est pas fondée. » Voici la conclusion de l’avis du Conseil de déontologie journalistique (CDJ) après la plainte de la N-VA contre Le Vif/L’Express et Dominique Dewael, mon pseudonyme.

Bart De Wever, Theo Francken et les leurs ont développé une stratégie bien réfléchie dans les médias et sur les réseaux sociaux. Mais de quoi parlent-ils avec leurs militants et membres quand les caméras et les micros sont absents ? Le journaliste indépendant Aubry Touriel a suivi discrètement une dizaine de réunions internes de la N-VA à Anvers, pendant trois ans, pour Le Vif/L’Express. À travers son récit, il analyse la rhétorique du parti nationaliste flamand et dépasse les clichés qui l’entourent. Découvrez la N-VA depuis l’intérieur, en plusieurs épisodes d’une série qui pourrait s’intituler « La faute des autres ».

Episode 5 : Les socialistes ont laissé grimper la dette

« Décision :La plainte n’est pas fondée. » Voici la conclusion de l’avis du Conseil de déontologie journalistique (CDJ) après la plainte de la N-VA contre Le Vif/L’Express et Dominique Dewael , mon pseudonyme.

L’avis du CDJ de février 2016 confirme que je pouvais utiliser des méthodes déloyales pour rédiger mon deuxième article en mode infiltré, car j’ai respecté les règles prévues dans le code de déontologie journalistique : « Pour le public, il relève incontestablement de l’intérêt général d’apprendre comment s’élaborent les positions du parti politique le plus influent à la Chambre et dans la coalition gouvernementale fédérale. […] La contradiction entre le discours public et le discours interne du parti ne peut être vérifiée par d’autres moyens que l’assistance à des réunions internes. Il était impossible aux journalistes de l’hebdomadaire d’obtenir ces informations sans recourir aux méthodes contestées.« 

Décision réfléchie

Le verdict du Conseil ne me surprend pas, je me suis bien renseigné avant de prendre ma carte de parti à la N-VA : à la suite de contact avec plusieurs journalistes, dont Christophe Deborsu, j’ai consulté André Linard, alors secrétaire général du CDJ. Je lui ai demandé si je pouvais être à la fois journaliste et membre d’un parti politique pour en suivre discrètement les réunions internes. Le Vif/L’Express, par l’entremise de Thierry Fiorilli, alors rédacteur en chef-adjoint, allait fait pareil, avant publication du premier article (décembre 2014).

Réponse : oui, si je respecte plusieurs conditions énoncées dans le code de déontologie journalistique. J’ai ensuite téléphoné à la N-VA pour voir si le Tour pour la Flandre était accessible aux journalistes : négatif. Agissant en toute connaissance de cause, j’ai alors décidé le 5 décembre 2014 de commander ma carte N-VA. Pour ce faire, rien de plus simple : se rendre sur le site de la N-VA, remplir le formulaire et envoyer un virement de … 5 euros. J’avais moins de 30 ans, du coup, je faisais partie des jeunes N-VA.

Avant d’aller à la première réunion interne en décembre 2014, j’ai contacté différents rédacteurs en chef pour voir quel média accepterait de publier mon papier. Le Vif était éventuellement intéressé, mais l’événement ayant lieu un vendredi, soit cinq jours avant la publication du magazine, les informations risquaient de dater un peu.

J’obtiens finalement un accord de principe avec l’hebdomadaire Moustique, mais « tout dépendra de la qualité de l’article et de son intérêt effectif« . Après ma première réunion N-VA, j’envoie mon article « Pour la N-VA,le CD&V est le plus gros souci’ » à la rédaction.

À la suite de la réunion éditoriale du lundi matin, le verdict tombe : « Après discussions, on a décidé de ne pas le passer. En gros, il ne s’y passe définitivement pas assez de choses au regard de ce qu’on pouvait attendre au départ. La démarche journalistique était excellente. Mais le résultat somme toute assez décevant. »

Mon sang ne fait qu’un tour : quelles sont les attentes des médias francophones ? Faut-il une réunion où l’on voit Bart De Wever faire un salut nazi ou l’on entend les membres chanter des chants flamingants racistes pour « répondre aux attentes » ? C’était la première fois que la N-VA tenait des propos aussi incendiaires vis-à-vis du CD&V, son ancien membre de cartel. Jamais auparavant, les partenaires de la coalition suédoise ne s’étaient attaqués aussi clairement dans la presse.

Les sentiments de frustration et de déception passés, j’ai contacté Thierry Fiorilli pour voir si Le Vif/L’Express était preneur. J’ai obtenu une réponse dans l’heure : bingo ! La rédaction soutient aussi ma démarche journalistique, une autre condition à respecter selon le code de déontologie.

Il me fallait ensuite trouver un pseudonyme pour ne pas que la N-VA me retrouve. Une idée m’a traversé l’esprit : pour me taquiner, certains de mes amis flamands m’appellent affectueusement « De Vuile Waal », « le sale Wallon ». Je me suis alors dit que « Dewael » était le nom parfait : cela vient de « De Waal », le Wallon, et c’est un nom de famille courant en Flandre.

Pour le prénom, je voulais d’abord opter pour « Jef », en référence à Jacques Brel. Puis, Thierry Fiorilli s’est exclamé : « Sérieux : prends un autre prénom. Genre Simon Dewael« . Après réflexion, j’ai choisi Dominique, cela permet de garder la confusion entre homme et femme. J’ai vérifié sur Google que personne ne s’appelait comme ça. Dominique Dewael est né.

De décembre 2014 à février 2016, j’ai publié deux articles dans Le Vif/L’Express signés sous ce pseudonyme. Après plus d’un an au sein de N-VA, cinq réunions internes, et un avis du CDJ favorable, la N-VA ne sait toujours pas qui se cache derrière Dominique Dewael. Je ne vois dès lors pas pourquoi j’arrêterais de me rendre aux réunions internes…

L’administration socialiste anversoise

La plupart des réunions auxquelles je me suis rendu se déroulaient dans une salle du centre sportif Extra Time à Hoboken, un district dans le sud d’Anvers. Seuls les membres N-VA de la section anversoise y sont conviés. En général, entre 100 et 150 personnes répondent à l’appel. Ce type de réunions s’organise environ tous les trois mois. D’habitude, des échevins anversois N-VA viennent expliquer les mesures prises dans la métropole flamande.

Personnellement, j’ai choisi de me rendre aux réunions où le bourgmestre De Wever venait s’exprimer. C’était le cas de l’assemblée du 16 novembre 2016. Étant donné qu’il combine différentes fonctions, Bart De Wever évoque souvent des thèmes de politique nationale, mais aussi locale. L’un des sujets de la soirée était par exemple la saleté dans les rues, un problème auquel tous les bourgmestres sont confrontés.

Pour lutter contre les dépôts clandestins, les autorités communales veulent étendre les horaires des équipes de collecte de déchets à la nuit, mais Bart De Wever constate un manque de coopération dans l’administration : « Il y a des gens dans l’administration mis en place sous l’ancienne majorité [NDLR : dirigée par l’ex-bourgmestre socialiste Patrick Janssens] qui espèrent qu’on disparaisse vite, ils ne veulent pas appliquer nos décisions.« 

Pendant plus de 80 années au pouvoir à Anvers, le Parti socialiste flamand a eu l’occasion de faire rentrer des fonctionnaires avec une étiquette socialiste dans l’administration. Selon le bourgmestre N-VA, les réticences de ces personnes envers son parti se font particulièrement ressentir dans certains services, comme le CPAS ou « vivre ensemble » (« samen leven ») : « On sent qu’ils ne veulent pas de nous. Il y a eu de nombreuses crises de management. Un tiers des gens qui devaient travailler la nuit pour collecter les déchets clandestins étaient malades. C’est la maladie des syndicats : ils ne veulent pas travailler. »

Certains de ces fonctionnaires récalcitrants sont nommés et le chef de la N-VA avoue qu’il ne peut pas faire grand-chose contre eux : « Il y a eu toute uneculture des fonctionnaires nommés. Ça s’est souvent passé parce que les gens avaient une certaine couleur, jamais la nôtre, toujours celle d’un autre qui se retrouve maintenant dans l’opposition [NDLR : les socialistes]. Si on pouvait licencier ce groupe de fonctionnaires nommés, on pourrait gagner en efficacité. Mais la seule chose qu’on puisse faire, c’est donner des mauvaises évaluations. Après deux ans, on peut finalement les licencier si on n’a pas commis de fautes de procédure. Si c’est le cas, je peux vous garantir qu’ils vont faire appel avec l’aide du syndicat et qu’ils vont obtenir gain de cause.« 

De l’immigration à la dette

Que ce soit dans les médias ou en interne, la N-VA martèle que les socialistes sont responsables de tous les maux. Dans son programme électoral de 2014, l’une des premières phrases est d’ailleurs : « Notre pays a été bloqué pendant les 25 dernières années. À la place d’une politique sociale, vous avez obtenu une politique socialiste. »

Sous le gouvernement Di Rupo, c’est entre autres la politique des « frontières ouvertes » qui est mise en cause. Lors d’une réunion en septembre 2015, Bart De Wever accuse le PS d’avoir voulu envoyer plus de demandeurs d’asile en Flandre qu’en Wallonie dans un projet de plan de répartition : « Philippe Courard du PS [NDLR : alors secrétaire d’État fédéral aux Affaires sociales] voulait faire en sorte que 88 % des demandeurs d’asile soient transférés en Flandre. » Il se moque ensuite du politique francophone en l’imitant en français : « Nous sommes une terre d’accueil, on est solidaire, humain« , le public rit jaune.

Au final, le plan de Courard n’a pas vu le jour. Quand Theo Francken était secrétaire d’Etat, il a aussi proposé un autre plan de répartition, mais il ne l’a finalement pas appliqué, au grand soulagement de Bart De Wever qui ne voulait pas accueillir de nouveaux demandeurs d’asile dans sa ville.

L’échevin anversois des Finances, Koen Kennis, se plaint quant à lui de la gestion des deniers de sa ville sous les socialistes : « On ne va pas laisser grimper la dette à l’instar de nos illustres prédécesseurs« , déclare-t-il fin 2017 lors de la présentation en interne du programme pour les communales.

Il est vrai que les socialistes étaient aux manettes pendant plusieurs décennies dans la ville flamande et qu’ils en portent en grande partie la responsabilité, mais le dernier bourgmestre socialiste en date, Patrick Janssens, a effectué une bonne partie des efforts pour réduire la « dette historique » qui remontait à la fusion des communes en 1976. Partie de 3635 euros en 2003, la dette par habitant est arrivée à 1876 euros à l’issue du mandat de Patrick Janssens. Le collège N-VA, Open VLD et CD&V a poursuivi le travail pour que la dette anversoise avoisine les 750 euros à la fin 2018. Elle se retrouve ainsi en dessous de la moyenne flamande qui se situe à 990 euros .

Tom Meeuws : l’ennemi promu échevin

Depuis que la N-VA a remplacé le SP.A à la tête du maïorat d’Anvers, le secteur immobilier et le monde politique se sont rapprochés. Le collège a par exemple aboli la structure autonome mise en place sous Patrick Janssens qui faisait office de tampon entre la politique et les promoteurs immobiliers.

Le 16 novembre 2017, le site flamand d’investigation Apache diffuse une vidéo montrant une bonne partie du collège, dont Bart De Wever, arrivant à une fête d’anniversaire d’Erik Van Der Paal, un lobbyiste du promoteur Land Invest Group dans le restaurant de luxe ‘t Fornuis. Le même promoteur qui a remporté de grands projets immobiliers anversois. Les soupçons de conflit d’intérêts planent.

Tom Meeuws
Tom Meeuws© Belga image

Deux jours après, Bart De Wever minimise l’incident dans les médias : « Je trouve vraiment grave de mettre mon intégrité en cause parce que je suis allé à une réception où j’ai littéralement bu un coca zéro. »

La polémique enfle. Tom Meeuws, alors président du SP.A anversois, critique les liens entre le monde immobilier et les membres du collège N-VA dont l’ex-échevin à l’Urbanisme, Rob Van Den Velde : « Toute personne qui paie une taxe de complaisance peut construire ce qu’il veut à Anvers. »

La réaction de Bart De Wever ne tarde pas. Rarement on l’aura vu aussi ému que le 24 novembre 2017 : la larme à l’oeil, il déclare en conférence de presse que Tom Meeuws ment : « Cette déclaration m’a fortement blessée. Que l’on traine mon intégrité dans la boue, ça me rend particulièrement triste. Et les conséquences vont durer très longtemps… »

Le boomerang lancé par Tom Meeuws lui revient vite à la figure. On apprend que lui aussi avait des contacts personnels avec le lobbyiste Erik Van Der Paal. Le 17 janvier 2018, le quotidien Het Laatste Nieuws jette un nouveau pavé dans la mare. Il révèle que Tom Meeuws, alors directeur de la société de transports de Lijn à Anvers, a effectué des manoeuvres comptables pour exposer des dépenses sans devoir passer par son conseil d’administration. C’est la goutte de trop pour Groen qui s’était allié avec le SP.A pour former l’alliance Samen (Ensemble) pour essayer de concurrencer la N-VA à l’approche des élections communales. La liste Samen se dissout, trois mois après sa création.

Le président des socialistes flamands John Crombez déclare que la N-VA est responsable de la fuite dans la presse sur Tom Meeuws. Il insinue que Marc Descheemaecker (N-VA), membre du conseil d’administration de De Lijn, en serait à l’origine. Ce dernier réfute.

En mars 2018, l’hebdomadaire Knack dévoile que Tom Meeuws a entretenu une relation extraconjugale avec Liesbeth Homans, ancienne échevine anversoise et ministre flamande N-VA. Une source anonyme N-VA déclare : « Il faut démolir Tom Meeuws pour ce qu’il a fait à Liesbeth. » L’intéressée dément : « C’est une absurdité d’affirmer que toute la N-VA veut le détruire pour me venger, quatre ans après les faits.« 

Bref, la campagne électorale s’est déroulée à couteaux tirés entre les socialistes et la N-VA. Et puis arrive le 14 octobre. Devant les caméras de VTM, Bart De Wever enfile son costume de conciliateur, à la surprise des collègues présents : « Le temps de la réconciliation est vraiment venu. J’en ai marre de la guerre avec la gauche. »

Finalement, Groen a refusé l’invitation de Bart De Wever de gouverner avec lui et les socialistes sont de retour au pouvoir à Anvers. Les fonctionnaires de l’administration étiquetés sont-ils désormais plus coopératifs pour mettre en place ce que leur bourgmestre N-VA leur demande de faire ? En tout cas, ce qui est sûr, c’est que Tom Meeuws est devenu l’échevin des Affaires sociales. Moralité ? L’ennemi juré de Bart De Wever fait maintenant partie de son équipe. « Eind goed al goed« , comme on dit en néerlandais (tout est bien qui finit bien).

Le fléau des fonctionnaires nommés

Retour à la réunion du 16 novembre 2016 : après une bonne heure de discours de Bart De Wever, c’est le moment où le public peut poser des questions. Et les sujets sont divers : l’un se plaint que l’ascenseur du tunnel pour vélo sous l’Escaut ne fonctionne pas. L’autre pose une question sur la faisabilité de la liaison Oosterweel, le chaînon manquant au bouclage du ring périphérique d’Anvers. Une dame demande ensuite : « Que faire contre un fonctionnaire nommé qui ne veut pas coopérer ?« 

Bart De Wever répond par une anecdote : « Vous ne vous imaginez pas ce que je vois ! Il y a par exemple certaines personnes qui travaillent depuis des années au sein de la police, mais qui n’en sont pas capables. On leur colle alors une procédure disciplinaire pour essayer de les virer. Ils viennent me trouver et je dois les licencier. Je me demande alors : « Comment est-ce possible ? Cela fait déjà plus de vingt ans qu’il se balade dans les couloirs alors que c’est un bon à rien ! » Alors on me répond : « On n’arrive pas à le mettre dehors. Licencie-le pour raison disciplinaire ! » »

Selon le bourgmestre, les fonctionnaires nommés sont vraiment une culture du personnel du passé socialiste où il fallait garder coûte que coûte les personnes qui n’étaient pas compétentes. « Je suis en train de vendre la mèche, mais, dans le cadre de procédure disciplinaire, j’ai déjà vu un policier à propos duquel je me suis demandé : « A-t-il vraiment eu une arme en main et s’est-il baladé avec ? » C’est à faire peur ! On ne peut pas mener de politique de ressources humaines envers les agents nommés. C’est très difficile de les mettre dehors. » Avant de préciser que la ville a mis fin à ce type de régime : toutes les nouvelles recrues sont engagées sous contrats, contrairement à ce qu’il se faisait avant.

A la fin de la séance de questions/réponses, Fons Duchateau, le président de la N-VA Anvers, clôture comme d’habitude la réunion en remerciant tous les membres pour leur présence et rappelle les dates des prochains événements du parti.

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