Nicolas De Decker

Stéphane Moreau, une certaine idée du socialisme

Nicolas De Decker Journaliste au Vif

Sous son enveloppe corporelle breughélienne de guindailleur couperosé, le Belge est un tourmenté. Il s’en pose, des questions, le Belge. Alors la nuit, il dort mal.

Est-il seulement belge, d’ailleurs ? se demande-t-il en regardant son plafond. Son pays est-il vraiment un pays, au fond ? s’interroge-t-il en se retournant dans son lit. Et s’il l’est, combien de temps le restera-t-il encore ? pense-t-il dans une énième suée. Faut-il qu’il s’excuse pour les millions de morts de la colonisation du Congo ? Et pour Léon Degrelle ? Et puis, Eddy Merckx aurait-il gagné le Tour 1975 s’il n’avait pas été agressé au puy de Dôme ? Pourquoi la mère de David Platt n’usait-elle pas de contraceptifs ? enrage-t-il en se renfonçant dans son oreiller. Et le coiffeur de Pascal Vrebos ? Est-il mort ou est-il vivant ?

Autant de mystères insondables qui hantent les tristes nuits du Belge actuel au moins autant que les cauchemars sur le sexe des anges du Byzantin ancien. Et quand il se recouche après être allé faire pipi pour la quatrième fois, le Belge, c’est toujours comme ça, lui vient la question insoluble qui le gardera éveillé jusqu’au petit jour.

Stéphane Moreau est-il socialiste ?

Plus insidieuse que le sexe des anges et plus taraudante que la barbe en dessous ou au-dessus de la couverture, l’énigme a déjà coûté des millions d’heures de sommeil à la Wallonie entière.

Elle est en passe, pourtant, d’être résolue.

Si le Belge apprend que Stéphane Moreau est finalement socialiste, il ne pourra plus penser que le Parti socialiste l’est encore vraiment.

Elle le sera bientôt.

Pas parce que Stéphane Moreau ayant été exclu du Parti socialiste en avril 2017, il ne pourrait plus prétendre en représenter les couleurs.

Pas non plus parce que le socialisme visant à l’appropriation collective de moyens de production privés et pas à l’usage privatif de moyens de production collectifs, Stéphane Moreau ne pourrait plus prétendre en poursuivre l’idéal.

Pas plus parce que le socialisme aspirant à donner davantage de pouvoir aux organisations syndicales et pas à les brutaliser, Stéphane Moreau ne pourrait plus prétendre en appliquer les mécanismes.

Encore moins parce que le socialisme pratiquant la grève des travailleurs contre le lock-out des patrons, Stéphane Moreau ne pourrait plus prétendre en partager la position.

Ni parce que le socialisme prônant la limitation des revenus les plus élevés et pas les salaires à un million d’euros brut annuels hors avantages extra-légaux et les parachutes dorés, Stéphane Moreau ne pourrait plus prétendre en servir la cause.

Non.

Le Belge saura bientôt, avant le 26 mai, si Stéphane Moreau est socialiste, mais pas à cause de son exclusion du PS, ni de sa brutalité envers les syndicats, ni de son lock-out de L’Avenir, ni de son million d’euros annuel de salaire de CEO, ni du fait même qu’il se fasse appeler CEO. Le Belge le saura enfin parce que si Stéphane Moreau quitte avant les élections l’entreprise publique qu’il continue à diriger, il aura offert au parti qui l’a exclu en avril 2017 le plus puissant argument de sa campagne de mai 2019.

Le problème, c’est que si le Belge apprend que Stéphane Moreau est finalement socialiste, il ne pourra plus penser que le Parti socialiste l’est encore vraiment.

Et là, il n’a pas fini de regarder son plafond et de se retourner dans son lit, le Belge.

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