Le parti d’extrême gauche crée la surprise avec sa nouvelle taxe des millionnaires © BELGA

Taxe des millionnaires: pourquoi le PTB épargne certains riches (analyse)

Nathan Scheirlinckx
Nathan Scheirlinckx Journaliste au Vif

Le PTB lance une nouvelle taxe des millionnaires. Surprise : le parti d’extrême gauche ne souhaite plus taxer tous les riches. Seulement les 1% des Belges les plus aisés. Analyse d’un changement intriguant avec les économistes Magali Verdonck (ULB) et Martial Toniotti (UCLouvain).

Pourquoi le PTB a-t-il touché à sa sacro-sainte taxe des millionnaires ? La formation marxiste a présenté une « toute nouvelle proposition » ce 10 mars, lors d’un congrès électoral qui lance officiellement la campagne de Raoul Hedebouw et les siens. Le parti d’extrême gauche souhaite taxer les 1% des Belges les plus riches, dont le patrimoine dépasse les 5 millions d’euros. « Une contribution modeste de la part des épaules les plus solides », qui permettrait, selon les calculs pas toujours très cartésiens du PTB, de rapporter 8 milliards d’euros chaque année.

Rien d’étonnant, jusque-là. Le parti, qui n’en finit plus de grimper dans les sondages, a toujours voulu s’attaquer aux plus riches. Mais la taxe des millionnaires new-look a fait tiquer plus d’un observateur avisé. En effet, le PTB souhaitait auparavant taxer les ménages à partir d’un million d’euros de patrimoine. Désormais, le métronome a été fixé à 5 millions. Ce qui a fait dire au chef de groupe PS à la Chambre Ahmed Laaouej que la formation marxiste « se ramollit complètement ».

Le PTB cherche peut-être à renforcer l’idée qu’il faut s’attaquer aux super riches

Caroline Sägesser (Crisp)

Taxe des millionnaires : le PTB plus clément avec les riches que le PS et Ecolo ?

Le PTB n’attaquerait donc que les ultra-riches, laissant les autres tranquilles ? La nouvelle taxe des millionnaires laisse aussi Caroline Sägesser perplexe. Politologue au sein du Crisp, elle rappelle que le PTB a mis la barre plus haut que le PS (1,25 million d’euros) et Ecolo (1 million d’euros) au niveau de la taxation de la fortune. « Le PTB cherche peut-être à renforcer l’idée qu’il faut s’attaquer aux super riches ».

David Pestieau, directeur politique du parti d’extrême gauche, explique ce changement. « Nous visons, avec cette nouvelle taxe des millionnaires, les grosses fortunes, qui n’ont été touchées par aucune mesure de la Vivaldi. Déplacer le curseur du patrimoine de 1 à 5 millions d’euros permet d’exclure du champ de la taxe la classe moyenne aisée, qui a gagné l’argent par la force de son travail ». Il y a une deuxième raison à cette évolution. « Quand nous avons lancé la taxe des millionnaires en 2008, seul 2% des ménages possédaient un patrimoine supérieur à un million d’euros par an. Aujourd’hui, avec l’inflation, ils sont désormais 5% dans le cas ». Voire même plus, selon Martial Toniotti, doctorant à l’UCLouvain, qui réalise une thèse sur cette question. « D’après la BNB, presque 10% des ménages belges ont un patrimoine supérieur ou égal à un million d’euros ».

“Le PTB s’est peut-être rendu compte qu’une partie de son électorat n’était pas si pauvre”

Que pensent les économistes de la nouvelle taxe des millionnaires voulue par les marxistes ? Magali Verdonck (ULB), qui a étudié l’impôt sur le patrimoine net (IPN), émet plusieurs réserves. « Le PTB s’est peut-être rendu compte qu’une partie de son électorat n’était pas si pauvre que ça. Mais en visant des patrimoines plus hauts, vous touchez forcément moins de personnes. Résultat : les bénéfices d’une telle taxe diminuent ». Une objection balayée du revers de la main par David Pestieau : « Nous voulons appliquer un taux d’imposition de 2 % sur les patrimoines net compris entre 5 et 10 millions d’euros, et de 3 % sur les patrimoines supérieurs à 10 millions d’euros ». Le directeur politique du PTB maintient qu’ainsi, la taxe rapporterait plus que les propositions du PS et d’Ecolo, qui prévoient de leur côté un taux d’imposition de 1,5% sur un plus grand nombre de ménages.

Un récent rapport du Bureau du Plan estime qu’un impôt sur les ménages dont le patrimoine dépasse 1 million d’euros rapporterait entre 2,9 et 4,7 milliards d’euros. Repris à toutes les sauces par le PTB, il manquerait cependant de rigueur. « Les données datent de 2017, et se basent sur des enquêtes incomplètes, puisque les plus riches rechignent souvent à communiquer de manière transparente sur leur fortune », avance Martial Toniotti. D’après ses analyses, une taxe des millionnaires visant les ménages à partir d’un million d’euros rapporterait entre 10 et 13 milliards d’euros. Soit plus que le PTB, qui se concentre lui sur les ultra-riches.

“Le PTB donne l’impression qu’une taxe des millionnaires est quelque chose d’évident”

Dans cette jungle de chiffres, chacun fait ses propres calculs selon une méthodologie bien précise. Aucune ne fait réellement l’unanimité. « Le PTB donne l’impression que l’instauration d’une taxe des millionnaires est quelque chose d’évident, estime Magali Verdonck. Sauf que dans la réalité, nous ne disposons pas des données complètes pour tous les ménages. C’est encore plus vrai pour les personnes les plus riches, dont le patrimoine est moins visible. »

Selon Martial Toniotti les données nécessaires aux autorités pour la mise en place d’un impôt sur le patrimoine sont déjà disponibles. « La fortune, en Belgique, se matérialise surtout dans les actifs financiers, pour la plupart détenus dans des banques. Ces dernières ont connaissance des données, qu’elles ont déjà l’obligation de communiquer en partie à l’Etat. Et pour compléter, on peut se servir de l’estimation du patrimoine hérité, qui donne aussi une idée de la fortune des ménages ».

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire