Marc Wilmots, un gros pourvoyeur de voix au Sénat, en 2003.

Recruter des candidats de la « société civile », vraiment une bonne idée? 

Benjamin Hermann
Benjamin Hermann Journaliste au Vif

Plusieurs personnalités “issues de la société civile” ont rejoint Les Engagés, même si le phénomène concerne la plupart des partis. Cette façon de recruter a ses avantages et ses inconvénients. On fait le tri.  

A l’approche des élections du 9 juin 2024, les listes se constituent progressivement. Les Engagés, mouvement politique reconstruit sur les cendres du cdH, ont marqué le coup ces dernières semaines en annonçant l’arrivée dans leurs rangs de plusieurs personnalités issues de la société civile.  

La notion même de “société civile” est extensible à souhait, si bien qu’il est ardu de définir avec exactitude qui en provient et qui n’en fait pas partie. L’idée, dans un contexte électoral ou de formation de gouvernement, consiste cependant à confier des responsabilités politiques à des personnes qui ne sont pas issues du sérail ou dont la carrière ne s’est pas construite dans le milieu. En cela, les candidats dits “de la société civile” s’opposent aux “professionnels de la politique” souvent décriés. 

Ces dernières semaines, donc, Les Engagés ont officialisé la venue d’Olivier de Wasseige, ancien administrateur délégué de l’Union wallonne des Entreprises, pour endosser la tête de liste aux élections régionales dans la circonscription de Liège, tandis que l’ancien patron de l’aéroport de Charleroi, Jean-Jacques Cloquet, mènera la liste dans la circonscription de Charleroi-Thuin.  

Figure connue en tant qu’expert régulièrement sollicité durant la pandémie de Covid-19, l’épidémiologiste Yves Coppieters mènera pour sa part la liste aux élections fédérales en Brabant wallon.

Yves Coppieters sera candidats aux élections fédérales pour Les Engagés.

Maxime Prévot, le président du mouvement, formulera d’autres annonces ces prochains jours. Certaines, même si elles impliquent de nouvelles têtes, concernent toutefois des candidats ayant constitué un parcours en politique ou au sein du mouvement, à l’instar de Marie Jacqmin, dont la candidature dans la circonscription de Huy-Waremme a été annoncée de 27 septembre. 

Il l’a expliqué: la moitié des têtes de liste aux prochaines élections devraient être de nouveaux visages, au sein des Engagés. Un subtil mélange doit être trouvé. Ce renouvellement très macronien, pour lui, est parfaitement logique, dès lors que le mouvement qu’il préside entend faire souffler un vent nouveau sur la manière de faire de la politique. Le pire, pour le Namurois, c’est l’entre-soi. “Evidemment, si on regarde dans le passé, on peut trouver quelques expériences moins heureuses de candidats de la société civile”, reconnaît-il. “Mais il y a aussi beaucoup d’expériences très positives, il suffit de songer à Catherine Fonck ou Marie-Dominique Simonet par exemple.” 

En la matière, il y a sans doute à boire et à manger. Et on trouvera toujours des arguments qui plaident pour ou contre l’arrivée de candidats venant de la société civile. 

Pourquoi c’est une bonne idée

  • Parce que l’ensemble de la classe politique le perçoit : une défiance grandissante se manifeste à l’égard de la classe politique, en particulier des “professionnels de la politique” qui semblent occuper le terrain depuis fort longtemps. Injecter du sang neuf, de ce point de vue, participe à un renouvellement qui peut être salutaire. 

  • Parce que des personnalités qui ont construit une carrière en dehors de la politique se sont forgé une expérience de terrain, une expertise qui peut être mise à profit dans les cercles décisionnels. Olivier de Wasseige en connaît sans doute un rayon sur le monde de l’entreprise, de même sans doute que Céline Tellier (Ecolo) dans les matières environnementales, Paul Magnette (PS) en sciences politiques ou Hadja Lahbib (MR) sur les questions de politique internationale, pour ne citer que quelques exemples tous azimuts. Les partis qui recrutent dans la société civile, d’ailleurs, avancent souvent cet argument de candidats sans doute plus “connectés à la réalité”

  • Parce que s’engager en politique n’a rien de déshonorant. C’est encore une manière concrète d’agir sur le réel, de peser dans la balance, plus efficiente sans doute que de rester au balcon. Sur ce point, les parcours des politiques issus de la société civile diffèrent, certains se présentant aux élections dans l’espoir de siéger, d’autres étant appelés à intégrer des gouvernements une fois les coalitions formées. Le gouvernement fédéral, par exemple, est composé de plusieurs membres non élus, ce qui peut éventuellement poser des questions d’ordre démocratique : Nicole de Moor (CD&V), Hadja Lahbib (MR), Thomas Dermine (PS) ou Frank Vandenbroucke (Vooruit). 

  • Parce que les candidats issus de la société ne sont pas là que pour enfiler des perles. A vrai dire, sans préjuger de la qualité de leur travail ou de leur sérieux, nombreux sont ceux qui ont posé un pied en politique pour y rester un moment et accomplir leur travail, de parlementaire par exemple. On peut citer quelques exemples parmi les nombreux journalistes qui ont franchi le Rubicon. Certains datent un peu, comme Luc Beyer (PRL). D’autres sont toujours en place: Olivier Maroy (MR), Frédérique Ries (MR), Florence Reuter (MR), Michel De Maegd (MR), Laurence Zanchetta (PS), Ludivine Dedonder (PS), Hadja Lahbib (MR), etc. Venus d’autres horizons, Thierry Witsel (PS), ou encore François De Smet (DéFI), Céline Tellier (Ecolo) ont également été élus ou désignés. 

Pourquoi ce n’est pas une bonne idée

  • Parce que des exemples moins heureux existent aussi. Le parcours d’Anne Delvaux au cdH aura tourné court, de même que celui de Marc Wilmots au MR ou de Carine Russo chez Ecolo, tandis que Jean-Denis Lejeune (cdH) n’a jamais été élu, pas plus, dans un tout autre registre, que Michel Renquin au Parti populaire. Ces personnalités de la société civile, pour la plupart, ont un jour ou l’autre exprimé une déception du monde politique, de son fonctionnement ou de sa lenteur. 

  • Parce que c’est le risque encouru, lorsqu’on n’est pas du sérail : on risque de mal connaître les arcanes politiques ou d’être trop peu rompu à la culture politique. Le récent passage télévisuel malheureux d’Yves Coppieters, incapable de répondre à quelques questions sur le plateau de RTL, est une illustration. Beaucoup se souviennent aussi, par exemple, du côté perçu comme incongru de la présence de Marc Wilmots au Sénat, en 2003. 

  • Parce que, même si les partis s’en défendent, les candidats issus de la société civile font peu ou prou office d’attrape-voix. On va chercher un visage connu, identifiable, au minimum dans certains milieux. Ce n’est pas pour rien que nombre de ces candidats sont des personnalités de la télévision, ou familiarisées avec les médias. Sur l’échelle des attrape-voix, il existe sans doute de nombreux degrés. Mais tous jouissent au minimum d’une notoriété qui les rend attractifs, ce qui est également pertinent lorsqu’il s’agit de conquérir des électeurs. 

  • Parce que l’idée que de tels candidats soient parachutés en tête de liste peut déplaire, à l’intérieur des partis. Les récentes nominations chez Les Engagés ne sont pas forcément au goût de tous, tandis que la désignation de Hadja Lahbib au poste de ministre des Affaires étrangères a été perçue par quelques libéraux comme une décision verticale, faisant fi du mérite de mandataires installés. 

  • Parce qu’avec les meilleures intentions du monde, on peut aussi conforter l’idée selon laquelle les politiques sont incompétents. Aller chercher du sang neuf, miser sur l’expertise et l’expérience de terrain de la société civile, c’est éventuellement reconnaître que les élus sont globalement déconnectés et/ou incompétents. Il y aurait alors les “vrais” gens ancrés dans le “vrai” monde, par opposition aux autres, pétris d’idéologie – terme devenu péjoratif – ou baignant dans l’entre-soi. Faire de la politique de la sorte peut aussi s’avérer antipolitique, au fond. 

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