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Mandats, salaires, privilèges : la potion magique des partis pour rétablir la confiance des citoyens dans la politique

Les récents scandales ont forcé les élus à avancer des propositions pour tenter de rétablir la confiance des citoyens dans la politique, à l’aube d’un scrutin ô combien important. Tour d’horizon de 6 mesures avec Jérémy Dodeigne, politologue et enseignant à l’UNamur.

Que la politique soit traversée par des affaires et des scandales n’a rien de neuf. En Belgique, le citoyen y est presque accoutumé. Mais ces derniers mois, plusieurs gouttes d’eau ont fait déborder le vase d’une confiance qui se gagne par millilitres et se perd souvent par litres. Pensions parlementaires plus que confortables, salaires indécents, logos personnels apposés sur des projets publics, employés administratifs détachés dans les cabinets… Une véritable douche de scandales… et de l’eau bénite pour l’opposition. Les citoyens belges, eux, perdent confiance dans la politique.

1. Le décumul des mandats : terminé d’être bourgmestre et député en même temps ?

Le décumul des mandats est une mesure à l’agenda, assure Jérémy Dodeigne, politologue et enseignant à l’UNamur, qui rappelle qu’au Parlement wallon, seul un quart de chaque groupe politique peut cumuler plusieurs mandats. « Il faudrait aller encore plus loin et mettre un terme au cumul des mandats. Pour le moment, il n’y a pas d’accord en ce sens dans les autres assemblées ». Le politologue estime que cette mesure permettrait de revaloriser une fonction locale importante, « comme plusieurs dossiers récents l’ont démontré ». Au niveau des partis, la mesure semble faire consensus. Dans les colonnes de Sudinfo, le président d’Ecolo Jean-Marc Nollet expliquait vouloir « un engagement à temps plein des députés ». Le parti DéFi propose lui un décumul absolu. Le PS était favorable à la proposition par le passé mais ne s’est pas exprimé plus récemment, alors que la mesure est reprise sur le site web du MR. Le PTB, lui, est d’accord sur le fond, moins sur la forme. « Nous plaidons avant tout pour un décumul des rémunérations, même s’il est important que les élus se concentrent sur une seule tâche à la fois », pose Germain Mugemangango, porte-parole francophone du PTB et député wallon.

2. Limiter les mandats dans le temps ? Le débat n’est pas mûr

Plusieurs formations plaident pour limiter les mandats politiques à deux ou trois, pour éviter les carrières politiques à rallonge. Les Engagés et DéFi veulent une limite de trois mandats par député. Par contre, le MR, le PS et le PTB s’y opposent clairement. Libéraux et socialistes mettent en avant l’expertise précieuse des parlementaires aguerris. Le PTB, lui, estime par la voix de son président Raoul Hedebouw que « si on a des députés qui sont des combattants, on doit les garder ». Et Germain Mugemangango de compléter. « Ce n’est pas le cœur du problème, qui est la composition socio-économique des assemblées. 84% des élus sont universitaires, alors qu’ils ne sont que 24% dans la population. Nous essayons de rééquilibrer ces chiffres en plaçant des travailleurs au sein des parlements ».

Une idée « intéressante », pour Jérémy Dodeigne (UNamur), mais « pas mûre politiquement. Elle permet une rotation dans les assemblées, en injectant du sang neuf et des idées nouvelles dans le débat démocratique. Après, il faut assurer un juste milieu entre l’expertise des élus et les idées nouvelles. Mais je trouve que deux mandats, donc faire de la politique pendant 10 ans, c’est déjà pas mal ».

3. Baisser le salaire des élus : une symbolique importante pour la confiance des citoyens dans la politique

Le PTB souhaite diviser par deux le salaire des élus

Baisser les salaires des élus : cela sonne (presque) comme un slogan du PTB, qui revendique cette proposition depuis plusieurs années. Le parti marxiste souhaite réduire de moitié le salaire des ministres et des députés, afin qu’ils restent proches de la réalité du terrain. Une alliance de gauche se dessine par rapport à cette proposition, reprise par les Engagés dans leur note politique et par Ecolo, qui demande une baisse de 2500€ net pour les députés. Limiter le salaire des élus reste symbolique pour Jérémy Dodeigne, mais non moins important. « Faire de la politique équivaut à servir les intérêts des citoyens, pas son enrichissement personnel. De plus, l’opacité actuelle des règles entourant les rémunérations diminue la légitimité des élus aux yeux des citoyens. Le défi est de trouver un salaire qui soit confortable pour continuer à donner envie de se lancer en politique, sans pour autant contribuer au carriérisme ».

4. Trop de privilèges : où est l’éthique politique ?

Les récents scandales ont illustré les nombreux privilèges compilés par la classe politique : régime fiscal privilégié, indemnités de sortie, plafond Wijninckx… Sans surprise, le PTB s’érige ici en chevalier. Abolir les privilèges, c’est aussi une mesure historique des communistes. « Au-delà des rémunérations indécentes et du dépassement des pensions légales, déroule Germain Mugemangango, nous souhaitons revoir le statut des parlementaires, actuellement trop éloigné de celui des travailleurs ». Ici, le dossier est plus que symbolique, alerte Jérémy Dodeigne. « La justice s’est saisie de plusieurs dossiers (sur les pensions des parlementaires notamment, NDLR). On peut se demander où est l’éthique, car certains privilèges ont été validés par le législateur. Par ailleurs, comment demander des efforts aux citoyens quand on s’accorde autant de privilèges ? », s’interroge le politologue.

5. La boite de Pandore du financement des partis

Le printemps politique a été marqué par un débat au long cours sur le financement des partis, dans le cadre de l’initiative We Need To Talk, pour laquelle les citoyens ont pu donner leur avis. Tous les présidents de partis francophones sont d’accord sur un point : il faut réformer le financement de leurs formations. Mais c’est à peu près tout. Seul le PTB souhaite toucher à la dotation publique des partis politiques, afin de la réduire de moitié. « Le financement public en tant que tel est essentiel, indique Jérémy Dodeigne. Il permet d’éviter le lobbying et la collusion d’intérêts qu’on constate aux Etats-Unis ». Pour autant, celui qui enseigne à l’UNamur pointe trois failles dans le système actuel. « Il faut réglementer les dépenses sur les réseaux sociaux, car les algorithmes ne sont pas neutres. Ensuite, il faudrait plafonner le montant des dépenses qui y sont consacrées. Quand on sait que des dizaines de millions d’euros dorment sur les comptes des partis, on peut se demander si ce n’est pas trop pour assurer le financement de leur campagne électorale. Enfin, il faut revoir le détachement dans les cabinets ministériels, qui permet aux partis d’économiser de l’argent supplémentaire ».

6. Moins d’élus et de ministres, plus de confiance des citoyens envers le politique ?

Certains partis estiment que la Belgique compte trop d’élus

Dernière proposition visant à rétablir la confiance des citoyens vis-à-vis du politique : réduire le nombre d’élus et de ministres. Une proposition déjà évoquée à l’occasion de la crise sanitaire, durant laquelle les Belges ont découvert leurs 9 ministres de la Santé. Les Engagés, le MR et DéFi se rejoignent sur cette proposition. Dans leurs bouches revient l’exemple du parlement bruxellois, qui compte 89 membres. Trop, pour eux. Comme pour le PTB, qui les rejoint si « on mène un débat de fond, et qu’on ne réduit pas simplement le nombre d’élus d’un coup, comme ça ». En effet, confirme Jérémy Dodeigne, la mesure est complexe à mettre en place. « La Belgique est un système fédéral. Il faut donc représenter l’ensemble de la population et des territoires. Cela explique le nombre important de députés et de ministres ».

Le politologue reconnait que le cas de Bruxelles est unique. « Il y a 89 députés pour la Région de Bruxelles-Capitale et 75 députés pour la Wallonie, qui compte pourtant une population supérieure. Si certains veulent changer cela, il faudra voter une loi spéciale ». Comprenez : une majorité simple dans chaque groupe linguistique (flamand et francophone), plus une majorité de deux tiers au total. Ou quand la lasagne institutionnelle belge dégrade encore un peu plus la confiance des citoyens envers le monde politique.  

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