«Es-tu pour un monde meilleur?»: au cœur de la stratégie du Comac (PTB) pour recruter les étudiants © Comac étudiants – Facebook

«Es-tu pour un monde meilleur?»: au cœur de la stratégie de Comac (PTB) pour recruter les étudiants

Nathan Scheirlinckx
Nathan Scheirlinckx Journaliste au Vif

Comac, la jeunesse politique du PTB, est bien implantée dans le milieu étudiant. Un document interne du mouvement communiste étudiant le confirme: l’objectif est de parler de sujets qui font consensus, pour convaincre un maximum de jeunes de s’engager. La stratégie fait des déçus, et pose question.

C-O-M-A-C. Les cinq lettres formant l’acronyme de la jeunesse politique du Parti du Travail de Belgique (PTB) sont présentes partout dans le milieu estudiantin. Sur des affiches apposées aux murs des cités universitaires. Sur des tracts disposés à l’entrée des auditoires. Sur des bannières brandies lors des manifestations contre le décret Paysage. Et, bien sûr, sur les réseaux sociaux. Avec près de 14.000 followers cumulés sur Facebook et Instagram, Comac est l’organisation de jeunesse politique la plus suivie sur les plateformes de Meta.

Cinq lettres, pour symboliser les cinq valeurs défendues par le mouvement étudiant du PTB: Changement, Optimisme, Marxisme, Activisme et Créativité. Comac, comme les autres jeunesses politiques, est subsidié par la Fédération Wallonie-Bruxelles. En échange de cette aide financière, l’organisation doit favoriser chez les jeunes (18-30 ans) une citoyenneté responsable, active, critique et solidaire (Cracs). Une éducation permanente qui prend la forme de conférences, d’événements culturels, pétitions et autres.

«On m’a demandé de distribuer des tracts et de recruter ceux qui participaient aux événements.»

Francis, ex-membre de Comac

Comac: déçus, ils ont rapidement quitté la jeunesse du PTB

Sur ses réseaux et site web, Comac s’autoproclame «mouvement des étudiants pour le changement», à qui il est proposé «d’agir!» © Comac étudiants – Facebook

Sur ses réseaux et site Web, Comac s’autoproclame «mouvement des étudiants pour le changement», à qui il est proposé «d’agir!», s’ils pensent «qu’un autre monde est possible». Au programme de cet autre monde, dans le désordre: retrait du décret Paysage, boycott d’Israël par les universités et hautes écoles, lutte contre le réchauffement climatique et contre le capitalisme.

Des mesures et idées qui poussent un grand nombre de jeunes à s’engager. Certains à long terme, d’autres à (très) court terme. Comme Daniel et Francis (noms d’emprunt), qui ont rejoint Comac en 2019 lors de leurs études universitaires à Bruxelles. «Je voulais m’engager en politique, et comme je partageais les idées du PTB, j’ai décidé de devenir membre de leur jeunesse politique», témoigne Francis. Jusqu’au jour où une personne haut placée dans l’organisation l’approche. «On m’a demandé de distribuer des tracts et de recruter ceux qui participaient aux événements. Je ne l’ai pas fait, car ça me mettait mal à l’aise.»

«Après coup, je me suis désolidarisé de cette action, avant de quitter Comac.»

Daniel, ex-membre de Comac

Tout comme Francis, Daniel adhère à la jeunesse politique par conviction politique, via le bouche-à-oreille. «Lors d’une conférence sur les violences policières organisée par les Jeunes MR, nous avions décidé d’intervenir, pour protester contre les intervenants, qui étaient soit-disant racistes. Nous avons quitté la pièce, en demandant l’arrêt de l’événement. Après coup, je me suis désolidarisé de cette action, avant de quitter Comac.»

Le recrutement avant tout?

« Mener des actions avec le plus grand nombre est la chose la plus importante », est-il inscrit dans la note interne de Comac. © Comac étudiants – Facebook

Un document interne au Comac, que Le Vif a pu consulter, semble confirmer l’importance du débauchage de jeunes recrues pour le mouvement étudiant marxiste. Intitulé «En action sur les campus!», le texte de 116 pages décrit dans les moindres détails la stratégie à adopter pour faire grandir l’organisation. S’il date de 2008, le document semble aller dans le sens des propos de Daniel et Francis.

En témoigne une fiche de contact (voir ci-dessous) distribuée à l’époque par la section de l’université de Gand. «Es-tu prêt à faire quelque chose pour un monde meilleur?». Après avoir répondu à cette question, les personnes peuvent sélectionner trois items importants à leurs yeux. Dans la liste (non exhaustive): politique de guerre des USA, traitement inhumain des sans-papiers, chômage des jeunes, superprofits des multinationales, inégalité des chances dans l’enseignement…

Intitulé «En action sur les campus!», le texte de 116 pages décrit dans les moindres détails la stratégie à adopter pour faire grandir l’organisation.

Un mix entre propositions traditionnelles du PTB et… mesures faisant largement consensus, susceptibles de provoquer une plus forte adhésion au mouvement. «Mener des actions avec le plus grand nombre est la chose la plus importante, est-il inscrit dans la note interne de Comac. Il faut qu’un maximum de personnes soient mobilisées (exemple: les étudiants) pour pouvoir forcer la « minorité » (exemple: la ministre de l’Enseignement) à faire des concessions et ainsi obtenir des résultats».

Octave Daube, vice-président et porte-parole francophone du mouvement étudiant, assume la volonté de recruter un maximum au sein du milieu étudiant. «On est plus forts quand on est nombreux. Chaque année, nous menons une enquête sur les campus pour prendre le pouls chez les nouveaux étudiants, afin de savoir leurs priorités et ce qui les touchent», continue le candidat à la 6e place sur la liste du PTB à la Région bruxelloise.

«Ce n’est pas forcément l’organisation qui compte le plus de membres, mais c’est celle dont l’action politique et les revendications ont le plus de visibilité.»

Pascal Delwit (ULB)

Le fonctionnement de la «machine» Comac

«Comac essaie de rallier la FEF à ses positions, comme le fait traditionnellement un lobby qui veut influencer le politique», pointe Pascal Delwit. © BELGA/BELPRESS

Actuellement, Comac compte environ 3.000 membres, répartis entre onze sections dans les cités estudiantines, aussi bien en Flandre qu’à Bruxelles et en Wallonie. Comac constitue l’une des trois organisations de jeunesse du PTB, avec le mouvement des pionniers – qui organise des camps et activités pendant les vacances scolaires pour les 6-16 ans – et Redfox, qui s’adresse aux élèves du secondaire.

Si chaque sensibilité politique est représentée par un cercle, Comac serait l’un des plus dynamiques au niveau de la socialisation. «Ce n’est pas forcément l’organisation qui compte le plus de membres, mais c’est celle dont l’action politique et les revendications ont le plus de visibilité», commente le politologue Pascal Delwit (ULB).

En tant que jeunesse politique, Comac essaie – directement (pétitions, manifestations, etc.) et indirectement (présence au sein des conseils étudiants) – de mobiliser sur des thématiques qui concernent les étudiants. Ainsi organise-t-il chaque année une «bloque collective» pour préparer au mieux les examens. Le mouvement marxiste aborde aussi les dossiers qui comptent pour le PTB, comme le logement, les transports en commun, la taxation des ultrariches et le conflit au Moyen-Orient.

Quelle influence sur le décret paysage et la FEF?

Les débats récents autour du décret paysage illustrent aussi l’influence du PTB et de Comac sur le mouvement étudiant, dont la Fédération des étudiants francophones (FEF). «Comac essaie de rallier la FEF à ses positions, comme le fait traditionnellement un lobby qui veut influencer le politique, pointe Pascal Delwit. Du fait de sa bonne implantation dans les établissements, cette jeunesse politique peut davantage faire bouger les lignes que d’autres mouvements étudiants».

Les débats récents autour du décret paysage illustrent aussi l’influence du PTB et de Comac sur le mouvement étudiant, dont la Fédération des étudiants francophones (FEF). © BELGA PHOTO EDRIC RORIVE

Selon un observateur avisé des organisations de jeunes des partis, la multiplication des acteurs liés au PTB serait la preuve d’une stratégie d’entrisme de la part de la formation de gauche radicale. «Ils poussent certains militants, qui ont un diplôme universitaire, à exercer une fonction de terrain comme accompagnateur de train, pour coller à leur récit.» Un récit de parti proche du peuple, avec des élus qui reversent une partie de leur salaire afin de rester connectés à la réalité. Un discours qui fait l’objet d’un formatage à tous les étages de la fusée communiste. «Le PTB et Comac fonctionnent avec le centralisme démocratique: les militants peuvent débattre en interne, mais pas en externe, où le même discours est répété en boucle», juge notre observateur.

«Le PTB et Comac fonctionnent avec le centralisme démocratique: les militants peuvent débattre en interne, mais pas en externe, où le même discours est répété en boucle.»

Un observateur avisé des organisations de jeunes des partis

Un laboratoire pour le PTB?

Comac revendique son indépendance à l’égard du Parti du Travail de Belgique. «Recruter des jeunes via Comac pour les former à un avenir au sein du parti n’est pas une fin en soi», assure Kübra Yigitoglu. La jeune candidate PTB aux prochaines élections a fait le chemin inverse: elle s’est d’abord engagée dans la formation communiste, avant de rejoindre le mouvement étudiant dans un second temps. «Les liens entre Comac et le parti sont évidents, mais transparents et assumés: cela permet aux gens qui le souhaitent de poursuivre leur engagement.»

In fine, Comac représente un laboratoire de main-d’œuvre pour le PTB. «Beaucoup de députés et d’assistants parlementaires sont passés par l’organisation ou un autre mouvement d’extrême gauche», selon Pascal Delwit. C’est le cas des cadres principaux de la formation politique: Raoul Hedebouw, Peter Mertens, Germain Mugemangango, David Pestieau.

C’est le cas des cadres principaux de la formation politique: Raoul Hedebouw, Peter Mertens, Germain Mugemangango, David Pestieaux.

Mais aussi des ex-présidents de Comac, aujourd’hui catapultés à différents postes liés de près ou de loin à l’appareil de parti. Max Vancauwenberge est aujourd’hui spécialiste sidérurgie au sein du PTB et président de sa commission climat. Charlie Le Paige est, lui, responsable de l’actualité politique pour le PTB. Quant à Aurélie Decoene, elle est collaboratrice au service d’étude de Médecine pour le Peuple et responsable des hôpitaux pour le parti marxiste.

«Comac est une porte d’entrée pour les futurs cadres du parti.»

Pascal Delwit

«Comac est une porte d’entrée pour les futurs cadres du parti, en particulier ceux qui sont les plus politisés. Si le PTB essaie d’amener dans les assemblées des gens du monde professionnel, ils sont entourés par des gens qui ont fait des études universitaires», analyse Pascal Delwit.

Du mouvement des pionniers en passant par Redfox, puis Comac et enfin le PTB pour les plus engagés et motivés. Un véritable processus de socialisation, pour mettre à profit le militantisme de gauche radicale le plus longtemps possible. «Même s’il y a énormément de déperdition, car certains repartent déçus», conclut le politologue.

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