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Revenu: les habitants de votre commune sont-ils plus ou moins riches qu’avant ? (carte interactive)

Christophe Leroy
Christophe Leroy Journaliste au Vif

En vingt ans, le revenu des ménages a progressé de manière bien différente selon la commune de résidence. Qui s’appauvrit, qui s’enrichit? Voici les tendances en Wallonie et à Bruxelles.

Parfois, c’est juste une impression fugace, au détour d’une rue dont les maisons s’avèrent plus cossues qu’avant. A d’autres endroits, le cadre semble immuable, comme si la réalité socioéconomique et le revenu des habitants s’étaient figés dans le temps. Chaque année, des milliers de Belges déménagent. Au sein d’une même région le plus souvent, mais aussi d’une région à une autre. Bruxelles-Capitale, singulièrement, comptabilise inexorablement plus de départs (44 905 en 2021, un record) que d’arrivées (23 854) selon les chiffres de Statbel, si l’on exclut la migration internationale. En Wallonie, le balai des déménagements est logiquement plus dense entre les communes.

Fait indéniable depuis des décennies, il y existe un «axe E411» en matière de niveau de revenus. Ceux-ci sont plus élevés que la moyenne dans le Brabant wallon, le nord de la province de Namur et le sud de la province de Luxembourg, bénéficiant de l’attractivité du Grand-Duché. Inversement, ils sont globalement plus faibles dans le sillon Sambre-et-Meuse, ainsi que dans les communes rurales du sud des provinces de Hainaut et de Namur. Quelle est l’évolution au fil du temps? Dans quelles communes les habitants sont-ils plus, ou moins, aisés financièrement qu’auparavant? Quelles sont celles qui s’éloignent ou se rapprochent de la moyenne wallonne?

Neuf des dix communes à la plus forte hausse sont situées en province de Luxembourg.

La comparaison temporelle est toujours un exercice délicat: les statistiques n’offrent qu’une photographie partielle (donc, lacunaire), tandis que les réformes fiscales successives modifient les tranches de revenus à la hausse ou à la baisse. En mesurant l’évolution du revenu net imposable médian par déclaration pour chaque commune wallonne et bruxelloise, Le Vif a opté pour un indicateur forcément perfectible. Celui-ci ne tient compte ni des déclarations à revenu nul (9% du total en Wallonie, selon Statbel) ni des rentrées financières non imposables, comme le revenu d’intégration sociale et les allocations familiales. Le vieillissement de la population, la proportion d’indépendants ainsi que l’évolution de la part des déclarations communes d’une même entité affectent en outre la progression du niveau de revenu. En revanche, le revenu médian a l’avantage de neutraliser les valeurs extrêmes, comme par exemple la présence de «super riches» dans une commune.

Le revenu médian a significativement progressé à Arlon comme dans la majorité des communes proches du Luxembourg.
Le revenu médian a significativement progressé à Arlon comme dans la majorité des communes proches du Luxembourg. © belgamage

Malgré ces limites, les évolutions mesurées semblent cohérentes, puisque en partie corrélées à d’autres données reflétant l’attractivité des communes, dont la trajectoire des prix de l’immobilier. Nous vous présentons ici les grands enseignements découlant d’une analyse sur vingt ans en Wallonie (2000-2020) et sur quinze en région bruxelloise (2005-2020, compte tenu des données disponibles).

1. Les habitants des moyennes et grandes villes, presque tous moins riches qu’avant

En vingt ans, l'indice du revenu médian a baissé dans 64% des communes d’au moins 25 000 habitants. Autrement dit, leur population y serait globalement moins riche qu’avant. Si l’on exclut le profil atypique d’Ottignies-Louvain-la-Neuve, dont la population estudiantine combinée à la forte hausse de la part des 65 ans et plus (+ 72% en vingt ans, un record) affectent le revenu médian, les villes de Verviers, Liège, Châtelet, Seraing et Namur occupent le bas du classement. En élargissant le spectre à des communes un peu moins peuplées, il apparaît que des pôles comme Dinant, Huy, Spa et Chimay subissent aussi un décrochage conséquent comparé à la moyenne wallonne. A l'inverse, la trajectoire est plus favorable dans des villes comme Arlon, Sambreville, Oupeye, Tubize et Ath.

Comment lire les tableaux ci-dessous ?

Le revenu net imposable médian par déclaration comprend les revenus imposables au titre d’une profession, les revenus de remplacement, les pensions, les dividendes, le revenu cadastral, les revenus immobiliers nets et les rentes alimentaires. Les déclarations avec revenus imposables nuls ne sont pas prises en compte dans le calcul du revenu médian. «Certains revenus ne sont pas, ou mal, pris en compte dans la déclaration d’impôt – parce que partiellement, forfaitairement ou pas déclarés, précise l’Iweps. Cela concerne notamment les revenus du patrimoine (plus importants pour les hauts revenus), les salaires des fonctionnaires internationaux, les revenus d’intégration et les allocations familiales.» Les salaires des travailleurs frontaliers sortants sont en revanche inclus dans les chiffres.

L’indice du revenu médian par déclaration donne un aperçu de la richesse globale des habitants d’une commune par rapport à la moyenne wallonne, en 2000 et en 2020. Plus la valeur de l’indice est élevée, plus les habitants sont globalement plus riches que la moyenne, et inversement.

La progression du revenu médian de 2000 à 2020 (années des revenus et non des déclarations) permet de voir dans quelle proportion ce revenu a évolué. Une progression de 100% dans une commune signifie que le revenu médian y est deux fois plus élevé qu’en 2000.

La croissance réelle du revenu médian neutralise la progression du revenu médian qui est due à l’inflation. Si la valeur est négative, le revenu médian a progressé moins vite que la hausse des prix à la consommation entre 2000 et 2020, et inversement.

Les données présentées ont été affinées en tenant compte des remarques avisées de Philippe Defeyt (directeur de l’IDD), François Ghesquière (chargé de recherches à l’Iweps), François Maniquet (professeur à l’UCLouvain) et Antoine Germain (chargé de recherche FNRS à l’UCLouvain).

«Depuis plusieurs décennies, on constate que bon nombre de jeunes ménages actifs, en quête d’une maison avec jardin, quittent les grandes villes pour s’installer dans une commune de la périphérie, décode Yves Hanin, professeur à la faculté d’architecture, d’ingénierie architecturale et d’urbanisme de l’UCLouvain. Certains s’en éloignent même davantage, en fonction des prix de l’immobilier. Ce phénomène tend toutefois à ralentir ces dernières années.» Comme le soulignait une étude de l’Institut wallon de l’évaluation, de la prospective et de la statistique (Iweps), publiée en 2016, «on constate également un déficit pour les personnes âgées qui ne privilégieraient pas certaines grandes villes comme lieu de résidence pour leurs vieux jours». Ainsi, alors que la part de la population âgée de 65 ans et plus dans la population a crû de 12,5% en Wallonie entre 2000 et 2020, elle a diminué dans le même temps de plus de 10% à Liège. Le vieillissement de la population entraîne le plus souvent une érosion du revenu net imposable. D’autant que les revenus du patrimoine sont mal mesurés dans les déclarations, précise François Ghesquière, chargé de recherches à l’Iweps.

Dinant, Huy, Spa et Chimay subissent un décrochage conséquent comparé à la moyenne wallonne.

En vingt ans, il apparaît en effet que bon nombre d’entités situées en périphérie des grandes villes attirent de plus en plus de ménages aux revenus plus élevés que la moyenne: autour de Namur (La Bruyère, Eghezée, Floreffe, Fernelmont…), de Charleroi (Sombreffe, Sambreville, Ham-sur-Heure-Nalinnes…), au nord-est de Liège (Blégny, Visé, Dalhem) ou encore au nord de Mons (Saint-Ghislain, Lens, Jurbise, Bernissart, Chièvres…). Il serait toutefois réducteur de considérer que la périurbanisation traduit forcément une attractivité plus grande des communes concernées, par exemple sur le plan des services, puisque les prix de l’immobilier guident particulièrement le choix de s’installer dans une commune plutôt qu’une autre.

A Verviers, où la paupérisation gagne du terrain, l'indice de revenu médian est désormais inférieur à la moyenne wallonne.
A Verviers, où la paupérisation gagne du terrain, l'indice de revenu médian est désormais inférieur à la moyenne wallonne. © belgamage

2. Les frontalières ou touristiques grimpent

Fauvillers, Attert, Bastogne, Arlon, Messancy… Le revenu médian a significativement progressé dans la grande majorité des communes frontalières ou proches du Luxembourg. Toutes se démarquent par un indice de richesse en forte hausse sur vingt ans, désormais supérieur à la moyenne wallonne. Résultat: neuf des dix communes à la plus forte hausse sont situées en province de Luxembourg. Il faut cependant interpréter les évolutions avec prudence, vu le plus faible nombre d’habitants que comptent ces dernières. Par exemple, alors que la proportion de déclarations communes tend à diminuer en Wallonie (- 2,25% de 2005 à 2020), elle a augmenté dans trois entités du Top 10 (Léglise, Rendeux, Sainte-Ode), ce qui y tire le revenu médian vers le haut.

Des communes touristiques affichent une hausse notable du revenu médian, jadis bien en deçà de la moyenne wallonne. C’est le cas de La-Roche-en-Ardenne (qui passe d’un indice de 81 en 2000 à 96 en 2020) et de Durbuy (de 85 à 97). Toutefois, le choix d’y emménager semble avant tout lié au prix plus faible de l’immobilier dans ces communes, notamment par rapport à Marche-en-Famenne.

3. Les communes plus riches vers un plafond

Dans la province la plus riche de Wallonie, le Brabant wallon, la progression du revenu médian s’avère dans l’ensemble plus faible que la moyenne wallonne, hormis dans des communes plus rurales situées à l’est (Incourt, Orp-Jauche, Hélécine…). En vingt ans, l’indice du revenu médian d’entités aisées comme La Hulpe, Rixensart, Lasne ou Chaumont-Gistoux a notablement baissé.

Il serait toutefois faux d’en conclure que leurs habitants s’appauvrissent, pour au moins trois raisons. Tout d’abord, les revenus du patrimoine, moins bien pris en compte dans le revenu net imposable, sont comparativement plus importants chez les ménages les plus aisés, souligne l’Iweps. Ensuite, la marge de progression est bien entendu plus faible dans les communes au revenu médian déjà particulièrement élevé il y a vingt ans. Enfin, le Brabant wallon est aussi la province comptant la plus grande proportion d’indépendants: 18,4%, d’après le dernier recensement global effectué en 2011. Pour cette catégorie de travailleurs, l’analyse du revenu net imposable sous-estime d’autant plus les rentrées financières disponibles et biaise les comparaisons dans le temps. D’une part parce qu’il tient compte des dépenses déductibles fiscalement, de l’autre parce que les critères les concernant varient au fil des ans.

La population est globalement moins riche qu’avant dans 64% des communes de plus de 25 000 habitants.

4. Celles qui restent plus pauvres ou le deviennent

Charleroi, Farciennes, Boussu, Quaregnon, Quiévrain… Déjà plus pauvres que la moyenne en 2000, ces communes hainuyères n’ont pas connu une trajectoire vertueuse depuis lors. L’indice du revenu médian y stagne, voire régresse légèrement sur une période de vingt ans. Elles se caractérisent par un plus faible taux d’emploi et par une proportion relativement importante de bénéficiaires d’un revenu d’intégration sociale. La réalité socioéconomique est aussi compliquée dans les communes (semi)-rurales du sud-ouest de la Wallonie, telles que Chimay, Viroinval, Couvin, Hastière. A la fois éloignées des grandes villes wallonnes, de l’axe E411 et donc de Bruxelles-Capitale, elles ne séduisent pas beaucoup de jeunes ménages actifs, malgré un coût de l’immobilier globalement plus faible. La part des 65 ans et plus est d’ailleurs supérieure à la moyenne wallonne dans les arrondissements concernés (Thuin et Philippeville).

Mais l’évolution est plus interpellante dans les communes où la paupérisation gagne du terrain. Auparavant plus proches de la moyenne wallonne, les villes de Liège, Châtelet, Verviers, Dinant, Seraing affichent désormais un indice de revenu médian inférieur à 90.

5. Le léger redressement de Bruxelles

Dans les communes de la Région de Bruxelles-Capitale, la progression du revenu médian est plus homogène qu’en Wallonie. Celle-ci s’avère plus importante dans quatre entités déjà plus pauvres en 2000 (mais qui le restent en 2020): Saint-Josse-ten-Noode, Saint-Gilles, Anderlecht et Molenbeek-Saint-Jean. Inversement, les communes affichant la progression la plus faible étaient déjà plus riches que la moyenne en 2000. Bien que de nombreux habitants continuent de quitter la capitale pour s’installer en Wallonie ou en Flandre, elle semble parvenir à garder et capter des habitants légèrement plus riches qu’il y a vingt ans. Contrairement à la Wallonie et de manière globale, le revenu net imposable y a augmenté un peu plus rapidement que la hausse des prix à la consommation à l’échelle belge. Toutefois, il faut interpréter ces microvariations avec prudence: «L’inflation dans chaque commune ou Région n’est évidemment pas identique à l’indice belge des prix à la consommation», souligne Antoine Germain, chargé de recherches FNRS à l’UCLouvain.

Saint-Gilles, comme d'autres communes de la capitale, parvient à capter des habitants un peu plus riches qu'il y a vingt ans.
Saint-Gilles, comme d'autres communes de la capitale, parvient à capter des habitants un peu plus riches qu'il y a vingt ans. © belgamage

Si ces données peuvent refléter l’attractivité à la hausse ou à la baisse de certaines communes, il ne faudrait nullement en déduire que les meilleures élèves sont nécessairement celles où les habitants s’enrichissent, et vice versa. Bon nombre de communes plus pauvres participent davantage que d’autres à l’effort de production de logements publics. De même, une politique locale consistant à déplacer autant que possible la pauvreté vers l’extérieur d’un territoire donné aboutirait mathématiquement à un accroissement de l’indice de richesse de ses habitants. Et ne participerait en rien au redressement socioéconomique de la région ou du bassin de vie.

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