Le ministre de la Santé, Frank Vandenbroucke, n’a pas convaincu l’opposition dans l'affaire Medista. La N-VA monte au créneau. (Belga)

Affaire Medista : empêtré dans une « saga nébuleuse », Frank Vandenbroucke est loin d’être tiré d’affaire

Elise Legrand
Elise Legrand Journaliste

Une fonctionnaire du SPF Santé est accusée de favoritisme dans l’attribution d’un marché public lié à la campagne de vaccination contre le Covid-19. Entendu à la Chambre mardi, le ministre de la Santé Frank Vandenbroucke n’a pas convaincu l’opposition, qui exige davantage de transparence.

Une saga nébuleuse ». C’est par ces termes que la députée Catherine Fonck (Les Engagés) résume l’affaire dans laquelle est empêtré le ministre de la Santé, Frank Vandenbroucke (Vooruit), depuis plusieurs semaines.

Le dossier remonte en réalité à juin 2022. En pleine campagne de vaccination contre le Covid-19, le SPF Santé publique lance un appel d’offres pour assurer, entre autres, le stockage et la distribution de matériel médical. Le choix se porte alors sur la société Movianto, au détriment de sa concurrente Medista, qui assumait pourtant ces tâches depuis 2020. Si l’administration justifie cette décision par « des prix plus compétitifs », Medista dénonce des irrégularités dans la procédure de marché public et porte l’affaire en justice. Elle accuse notamment une fonctionnaire du SPF Santé de « favoritisme ». Mais, en août 2022, la société basée à Zaventem se voit déboutée par le Conseil d’Etat, qui rejette ses arguments sur toute la ligne.

Une caméra cachée… à Amsterdam

Prête à tout pour étayer ses accusations, l’entreprise fait alors appel à une société israélienne de renseignements – Black Cube – qui parvient à soutirer des informations à la fonctionnaire incriminée lors d’un entretien d’embauche factice. La scène, surréaliste, se tient dans une brasserie chic d’Amsterdam. Filmée à son insu, l’employée du SPF Santé reconnaît avoir aidé Movianto. Forte de ces preuves « irréfutables », Medista fait d’abord pression sur la fonctionnaire en question, avant de se tourner vers le gouvernement fédéral, début décembre, dénonçant une nouvelle fois le « parti pris » du SPF Santé.

En difficulté, Frank Vandenbroucke était impatiemment attendu mardi après-midi en Commission Santé de la Chambre. Les partis de l’opposition réclamaient de la « transparence ». Mais leurs espoirs ont été déçus. « Je ne suis pas du tout convaincue par la défense du ministre », regrette la députée N-VA Kathleen Depoorter. Au cours d’une séance ultra-tendue – « c’était assez rock’n’roll », « tout le monde est reparti fâché », glisse le président de la Commission, Roberto D’Amico (PTB) – le socialiste flamand est revenu en long et en large sur les conditions d’attribution du marché. A maintes reprises, il s’est retranché derrière l’avis du Conseil d’Etat, qui avait nié toute forme de collusion à l’époque. Frank Vandenbroucke a également dénoncé les méthodes non éthiques de Medista pour piéger la fonctionnaire, qui a entre-temps déposé plainte auprès de la police. En outre, il a rappelé qu’un audit – qu’il a qualifié d’ « enquête de fraude » – était en cours au sein du SPF Santé pour élucider l’affaire.

Vandenbroucke: « Un très profond malaise »

Mais son argumentaire laisse l’opposition dubitative. « Depuis le début, je ressens un très profond malaise sur ce dossier, confie la députée Catherine Fonck (Les Engagés). Mardi, le ministre s’est clairement exprimé comme le porte-parole, voire même l’avocat de Movianto. J’exigeais de la transparence, mais il a à ce point choisi un camp que cela en devient interpellant. » Face à ce « parti pris », la députée appelle à saisir le parquet. « Seul un juge d’instruction peut faire la lumière sur le dossier en toute impartialité. Quelle crédibilité peut encore avoir cet audit commandé par le SPF Santé lui-même ? ». Selon la députée, le ministre est tenu par l’article 29 du code d’instruction criminelle, qui stipule que « tout fonctionnaire, qui, dans l’exercice de ses fonctions, a connaissance d’un crime ou d’un délit (notamment de corruption) doit en informer sur le champ le procureur du Roi (…). »

Une position également soutenue par la députée DéFI Sophie Rohonyi, mais aussi par Ecolo, dans la majorité. « A partir du moment où il y a des soupçons de fraude, le parquet doit être mis au courant, un point c’est tout, tranche la députée écologiste Laurence Hennuy. Ce n’est pas l’administration elle-même qui va mener sa propre enquête. L’affaire doit désormais passer au niveau pénal. »  

Une ligne du temps trop floue?

De son côté, la députée Kathleen Depoorter pointe également de sérieux problèmes de communication au sein du SPF Santé. Ainsi, le directeur de l’administration, Dirk Ramaekers, aurait été mis au courant des techniques d’espionnage de Medista « début octobre ». Il en aurait seulement informé le chef de cabinet de Frank Vandenbroucke, Jan Bertels, le 10 novembre. Or, le ministre a assuré devant la Chambre qu’il n’avait eu vent des faits que le 7 décembre, soit il y a à peine une semaine. « Vous n’allez pas me dire qu’un chef de cabinet n’informe pas son ministre, s’emporte la députée nationaliste. Comment est-il possible que, pendant deux mois, des informations cruciales sur une potentielle implication dans une fraude n’aient pas été remontées au ministre ? C’est du jamais-vu ! » Si la députée n’appelle pas (encore) à la démission de Frank Vandenbroucke, elle exige en tout cas davantage de clarté sur l’organisation a priori défaillante du SPF. « A sa place, je me poserais de sérieuses questions. »

L’opposition regrette enfin un « énième épisode » qui plonge à nouveau « le discrédit sur la classe politique ». « A six mois des élections, on se serait bien passé de ces nouvelles révélations, peste Sophie Rohonyi. Ces soupçons de fraude et de ‘copinage’, de surcroît dans un dossier lié à la pandémie, risquent de susciter encore davantage la méfiance de la population envers les partis traditionnels et faire le lit des extrêmes comme la N-VA, le Vlaams Belang et le PTB. »

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