Mehdi et Mogi Bayat. L'un est le patron mais quel est le vrai rôle de l'autre ? © Michel Gouverneur/reporters

Enquête dans le monde du football : Mogi Bayat, le grand frère

L’étiquette Mogi Bayat colle au dos du Sporting de Charleroi, que dirige son frère Mehdi. Si, le 10 octobre, les Zèbres sont passés entre les mailles des perquisitions, leur image et leur fonctionnement pourraient en prendre un coup. « Mehdi et Mogi sont très unis, mais Mehdi a toujours fait la part des choses », dit-on au Mambourg. Vraiment ?

Un pharmacien lanceur d’alerte et un marchand de tapis convoyeur de fonds. D’un côté, Gerrit Jacobs. De l’autre, Luc Nuyttens. En 2004, le premier apprend, lors d’une partie de tennis, que le second se serait chargé de faire passer des  » primes d’encouragement  » à des joueurs de Saint-Trond. En cas de victoire, les trudonnaires condamnent leur adversaire, l’Antwerp, à la relégation et sauvent par la même occasion le Sporting de Charleroi de la descente. Début 2005, la police interpelle six personnes, dont Jacky Mathijssen, alors entraîneur carolo. Un homme de Mogi Bayat, qui monte au créneau.  » Le football belge est la risée de l’Europe entière à cause de ragots de café « , déclare à l’époque le manager général des Zèbres, dans Le Soir. Faute de preuves, l’affaire sombre dans l’oubli.

Treize ans plus tard, le matricule 22 échappe aux perquisitions. En coulisses, on formule plusieurs hypothèses. Mogi Bayat ne chercherait pas à capitaliser sur le dos d’un club auquel il reste attaché, qui plus est dirigé par son frère cadet, Mehdi. Surtout, Charleroi fait de l’achat de footballeurs à bas coût afin de réaliser des plus-values sur leur revente sa spécialité. Les regards se tournent ainsi plutôt vers les clubs  » acheteurs  » de joueurs carolos et les transferts  » sortants  » du Sporting.  » Il n’y a aucune raison de s’inquiéter « , tranche Pierre-Yves Hendrickx, le secrétaire général, dans la maison depuis 1992, malgré une parenthèse de quelques mois en 2012.  » Nous n’avons jamais traité avec Dejan Veljkovic et Mogi Bayat n’a rien à voir avec le club. L’image du Sporting souffre depuis trop longtemps de ce rapprochement. Il est vrai que Mehdi et Mogi sont deux frères très unis, mais Mehdi a toujours fait la part des choses.  » L’an dernier, le Français Damien Marcq, Zèbre de 2013 à 2017, affirmait, lui, dans Sport/Foot Magazine : « Pas un transfert n’est réalisé sans qu’il ne soit présent, même si son nom n’apparaît pas officiellement.  » Sollicité par Le Vif/L’Express, Marcq n’a pas souhaité réagir cette fois-ci.

De 2003 à 2010, Mogi Bayat est manager général du Sporting, multipliant les provocations.
De 2003 à 2010, Mogi Bayat est manager général du Sporting, multipliant les provocations.© VIRGINIE LEFOUR/belgaimage

Un an de sursis

Mehdi, ou Robert, de son prénom français, vit dans l’ombre de son aîné. Arnaud, alias  » Mogi « , suit celle de son oncle Abbas, jusque dans le Pays Noir. En 2003, il n’a pas 30 ans quand il est parachuté manager général du Sporting. Après une jeunesse à Cannes, il alterne d’abord entre les bureaux parisiens de la société de boissons d’Abbas et Charleroi. Au sein du club, Abbas, le président, lui laisse les commandes. Il agit, communique, ruse, intimide. Il fait la guerre à certains journalistes, les menace physiquement. Les arbitres aussi. Quand un policier l’interpelle parce qu’il vient de se garer en double file, il l’invective, appelle le bourgmestre.  » Au début de sa prise de pouvoir, on avait un rapport conflictuel. Notre première réunion a dû durer 45 secondes « , rembobine David Lasaracina, agent de quatre éléments de l’effectif carolo, aujourd’hui en bons termes avec lui.  » On a tous les deux un fort caractère et je ne supportais pas de recevoir la leçon d’un garçon qui venait d’arriver.  » Mogi veut se montrer, vite.

Mogi Bayat fait régulièrement pression sur le coach pour qu’il mette en lumière ses pions.

Il se retrouve sous le feu des projecteurs, fin novembre 2005. L’équipe de Tout ça ne nous rendra pas le Congo (RTBF) réalise Vie en rose au Pays Noir. L’épisode, devenu un classique, retrace le quotidien d’un homme pressé, en compagnie de son frère. Un fin stratège capable de téléphoner à Raymond Domenech, alors entraîneur de l’équipe de France espoirs, dans le but qu’il sélectionne son joueur, Michaël Ciani. Le robuste défenseur profite de la vitrine pour signer à Auxerre, six mois plus tard, pour près d’un million d’euros. En 2006, Mogi Bayat recroise la télé, sans le savoir. Des journalistes de la BBC, déguisés en investisseurs potentiels, s’installent dans son bureau.  » La Belgique est une plateforme sur l’Europe. Rien n’interdit d’aligner onze Nigérians, onze Turcs ou onze Brésiliens. On peut faire de bonnes affaires en attirant des joueurs gratuitement et en les revendant deux, trois, six ou dix millions d’euros « , déclare-t-il, filmé en caméra cachée. Le discours se tient.

Sauf qu’il propose également de céder la gestion du club contre cinq millions, de faire transiter des dizaines de joueurs, de les loger dans un hôtel, de leur faire disputer plusieurs rencontres par jour pour, enfin, ne garder que les meilleurs. Le reportage, Undercover : Football’s Dirty Secrets, concerne en majorité des acteurs du football britannique. Lui nie. En 2011, Mogi Bayat tombe au beau milieu d’une tempête politique. Il écope d’un an de prison avec sursis pour une sombre affaire de terrain synthétique : six ans plus tôt, il l’avait réclamé à la commune, qui demandait, elle, le règlement des loyers du stade et des locaux, utilisés gratuitement. Claude Despiegeleer, l’échevin des sports, pense alors un montage : le Sporting paie le terrain, la Ville compense en acquérant des places en tribune. Mogi signe une convention litigieuse aux yeux des instances judiciaires. Jacques Van Gompel, le bourgmestre, est également condamné à dix-huit mois de prison avec sursis, pour faux et détournements.

Damien Marcq :
Damien Marcq : « Pas un transfert n’est réalisé sans qu’il soit présent. »© VIRGINIE LEFOUR/belgaimage

La rumeur du rachat

 » C’est vrai que, sur ce dossier, tout n’a peut-être pas été fait dans les règles, concède Pierre-Yves Hendrickx. Abbas lui avait donné les clés du club et ça marchait très bien. Mais c’est possible qu’il y ait eu un grain de sable, un problème familial, dont nous ne sommes pas au courant et qui a pu provoquer son licenciement.  » Octobre 2010, le neveu encombrant prend effectivement la porte. Abbas Bayat le soupçonne de plusieurs transactions louches, notamment sur le transfert d’un joueur vers  » le sud de l’Europe « , comme l’a encore répété le magnat de la boisson dans Le Soir du 13 octobre. L’oncle aurait déposé une plainte contre son neveu, pour faux et usage de faux, avant de la retirer.

Mehdi, son cadet, le remplace au poste de manager général. Pendant deux ans. En 2012, le Franco-Iranien rachète le club avec Fabien Debecq, auteur d’une jolie carrière dans le bodybuilding et les compléments alimentaires, déjà partenaire des Zèbres avec sa boîte QNT. Officiellement, c’est le Group MF (Mehdi/Fabien) qui rachète le matricule 22, pour 6 millions d’euros : 95 % pour Debecq, qui devient président, 5 % pour le jeune Bayat, dé- sormais administrateur délégué. Mais la rumeur guette. Mogi aurait financé en partie le rachat, Debecq ne serait qu’un prête-nom, un homme de paille. Une version vivement contestée par le club.  » Ça relève du pur fantasme, déclare Pierre-Yves Hendrickx. Mogi n’a pas un franc au Sporting de Charleroi. Les seuls versements que nous pouvons lui faire, de temps en temps, concernent les transactions de joueurs auxquelles il participe.  » En tout cas, le départ de son oncle lui laisse à nouveau le champ libre au Mambourg.

Entre-temps, Mogi Bayat passe de l’autre côté et se lance comme agent. Il étend son réseau, son  » portefeuille  » de joueurs, intègre les codes du milieu. Quitte à montrer les crocs.  » On ne peut pas plaire à tout le monde « , coupe un footballeur de son giron, le seul parmi la quinzaine que nous avons contactés qui accepte de témoigner, et sous couvert d’anonymat.  » Il travaille peut-être différemment, il ne te téléphone peut-être pas tous les jours, mais quand tu en as besoin, il est toujours là.  » Le natif de Téhéran connaît une ascension en flèche, facilite les mouvements entre clubs, au point de devenir le Mister Fix-it du foot belge. Son monopole sur le marché, surnommé le  » Mogi-poly « , passe inévitablement par la case Charleroi.  » Je n’ai jamais eu besoin de Mogi pour travailler avec le Sporting. J’ai toujours tout réglé avec la direction, sans lui, ça a toujours été très clair « , assure pourtant David Lasaracina.

Pierre-Yves Hendrickx (secrétaire général) :
Pierre-Yves Hendrickx (secrétaire général) : « Mogi n’a pas d’emploi chez nous. »© Philippe Crochet/photo news

Une feuille A4 pour un ouvre-boîte

En vérité, Mogi Bayat intervient moins dans les transferts  » entrants  » que  » sortants  » au Pays Noir. Quand un joueur arrive avec un autre agent, il repart très souvent par son intermédiaire, avec commissions à la clé, évidemment. C’est le cas de Dieumerci Ndongala, qui rallie Gand en 2016. Lasaracina s’occupe alors des intérêts du Belgo-Congolais, Bayat joue le facilitateur.  » Il n’y a aucun problème avec ça, Mogi a fait son travail et il l’a très bien fait « , dit David Lasaracina. Quel que soit son rôle, il veut se montrer. Le 1er septembre dernier, il tweete pour annoncer la signature à Charleroi de Massimo Bruno. Sur la photo, il pose, seul, dans le bureau de son frère, avec une feuille A4 et la mention  » tête de Massimo Bruno « . Un quart d’heure plus tard, Mehdi poste à son tour un cliché, avec le joueur, le vrai.

Mogi se sent chez lui au Mambourg ?  » Il n’a pas d’emploi chez nous, répond Pierre-Yves Hendrickx. Il intervient plutôt comme une sorte d’ouvre-boîte et nous serions bien bêtes de ne pas profiter de son carnet d’adresses.  » En interne, son omniprésence agace. Dans les tribunes, il n’est pas rare de l’entendre critiquer, dans un langage fleuri, l’entraîneur zébré, Felice Mazzù.  » Leur relation est nulle « , souffle-t-on au club. La raison est simple : Bayat fait régulièrement pression sur le coach pour qu’il mette en lumière ses pions, Mazzù ne plie pas. Preuve, aussi, que Mogi Bayat ne contrôle pas tout à Charleroi.  » Il utilisait sa position privilégiée pour exercer un pouvoir absolu sur les coaches « , distille Robert Waseige, son employé lors de la saison 2003-2004.  » Il voulait s’imposer dans le vestiaire, j’ai mis de l’ordre et il me l’a fait payer.  »

Cet été, Felice Mazzù coche le nom de Mbaye Leye comme recrue potentielle, mais c’est Jérémy Perbet qui débarque dans le Hainaut. Un contrat de trois ans attend l’attaquant français de 33 printemps, qui paraphe son troisième passage à Charleroi. Ce fidèle du Mogipoly prend la place laissée par David Pollet, autre pièce du carrousel, et lui aussi joueur de Bayat, mis devant le fait accompli de son prêt à Eupen. Bayat négocie également le départ de Kaveh Rezaei au Club Bruges, et pourrait récolter au passage une nouvelle plainte. L’un des deux agents qui a amené l’Iranien à Charleroi se dit lesé dans la transaction vers la Venise du Nord. Il réclame un million et demi d’euros. Peu importe : à dix jours de la fin du mercato, Mogi Bayat comble le vide qu’il a contribué à creuser et active ses réseaux pour valider la venue chez les Zèbres de… trois éléments. Et quand, l’hiver dernier, des émissaires du Golfe se renseignent sur un autre Carolo en vogue, il les rencarde sur le tarif, sans même consulter la direction. C’est peut-être ça,  » faire la part des choses « .

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