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Drogues et violence à Anvers: « Le marché criminel est instable »

Une fusillade provoquant la mort d’un enfant sur fond de trafic de drogues, des saisies records de cocaïne au port: Anvers vit de sombres jours. Que conclure de ces actualités inquiétantes ? Réponse avec Michaël Dantinne, professeur de criminologie à l’ULiège.

Un nouveau record a été dévoilé ce mardi : en 2022, 109,9 tonnes de cocaïne ont été saisies dans le port d’Anvers. Si l’on compare à l’année précédente, ce sont plus de 20 tonnes de drogues interceptées. Un chiffre en constante augmentation depuis dix ans dans l’une des plus grandes plaques tournantes du trafic sur le continent européen.

La veille de la publication de ce record, une enfant de 11 ans a été tuée après une série de coups de feu tirés sur sa maison située dans le district anversois. Un assassinat qui serait probablement en lien avec le milieu de la drogue puisque l’enfant tuée serait la nièce d’Othman E.B, recherché pour trafic de drogue et supposément installé à Dubaï.

Mais pour Michaël Dantinne, professeur de criminologie à l’ULiège, mélanger ces deux affaires serait une erreur. « 110 tonnes, c’est environ 5% de l’estimation de la production annuelle mondiale. Ce n’est donc pas du tout négligeable, sans compter ce que cela représente en termes de valeur marchande. Je crois qu’il faut avant tout prendre le chiffre pour ce qu’il est : à savoir qu’on a beaucoup saisi, à Anvers, en 2022, et plus qu’en 2021. C’est plutôt à porter au crédit des autorités, non ? »

Cependant, il constate qu’une certaine violence se dévoile désormais au grand jour.  « Il semble beaucoup plus juste de constater que l’on assiste à une recrudescence des formes visibles de violence liées au trafic de drogue(s). Parce qu’à lire certaines interprétations, on a un peu l’impression que ce n’est que récemment que les trafiquants font usage du registre violent. Ceci traduit une totale méconnaissance de ce que sont les organisations criminelles et les réseaux auxquels elles participent, et de ce qu’elles font et comment elles le font. »

Un cercle vicieux

Si la montée des violences est désormais beaucoup plus visible, l’affaire Sky ECC y serait pour quelque chose. En mars 2021, le réseau de communication cryptée a été démantelé par la police. Durant les mois qui ont suivi, de vastes opérations policières ont été mises en place grâce aux données récupérées. Résultats : des centaines de perquisitions et d’interpellations.

Une victoire pour les autorités belges, mais qui peut provoquer des dommages collatéraux. « Les saisies, couplées aux démantèlements de laboratoires, aux arrestations et autres ‘victoires’ policières/judiciaires ont participé à une déstabilisation du marché de la drogue en lien avec Anvers. La littérature s’accorde sur une règle : un marché criminel stable est un marché calme. A l’opposé, un marché criminel instable est un marché bouillonnant, notamment en matière d’usage de la violence », indique Michaël Dantinne. En d’autres termes, les réseaux de trafic, menacés de près par des enquêtes, perdent de l’argent en se faisant saisir de la drogue et n’ont d’autres solutions que d’avoir recours à la violence pour à la fois éviter de perdre leur place, mais aussi pour ramener une stabilité dans les revenus.

Mais les conséquences de l’affaire Sky ECC ne s’arrêtent pas là. En démantelant le réseau, les autorités publiques ont notamment découvert une modification du marché dans le secteur de la cocaïne. Avant, le produit quasiment totalement fini partait de pays producteurs comme la Colombie, la Bolivie et le Pérou. Seulement, des laboratoires se sont installés dans plusieurs pays d’Europe afin de traiter les feuilles de coca sur place. « Grâce à Sky ECC, on a démantelé pas mal de laboratoires au Pays-Bas, en Espagne et en Belgique. » De quoi donc installer encore plus d’instabilités dans le trafic de cocaïne.

Mais si les autorités publiques progressent dans la lutte, endiguer totalement les réseaux de drogues est illusoire, notamment dans les capacités d’adaptation de ceux-ci. « La lutte contre la drogue est une lutte dans laquelle on doit savoir qu’on n’endiguera jamais le phénomène. Ce qu’on recherche, c’est à compliquer au maximum la vie des trafiquants. Mais en sachant que toute victoire engrangée a parfois des conséquences qu’on ne soupçonne pas et va donner lieu à des adaptations. Les autorités publiques gagnent d’un côté et perdent de l’autre », conclut Michaël Dantinne.

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