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Déployer l’armée à Anvers ? Pourquoi c’est une « fausse bonne idée »

Noé Spies
Noé Spies Journaliste au Vif

L’idée de réquisitionner l’armée à Anvers pour lutter contre le trafic de drogues cristallise les tensions politiques. La N-VA et le MR y voient une nécessité. Les autres se posent la question de l’utilité d’une telle intervention. Le président du syndicat militaire CGPM, Yves Huwart, met en garde contre le « vide juridique total » qui entoure le déploiement d’un tel dispositif.

La demande du bourgmestre d’Anvers, Bart De Wever (N-VA), a allumé la mèche d’une bombe avec effet immédiat. Elle a provoqué une nouvelle cacophonie politique. Selon l’homme politique nationaliste, l’armée (qui dépend du fédéral, tout comme le port), doit se déployer dans la ville flamande afin de lutter contre le trafic de drogues et les violences qui y sont liées.

L’idée a été approuvée par le MR, le Vice-Premier ministre David Clarinval en tête, pour qui une présence militaire sur le port d’Anvers « est une piste pour lutter contre les mafias de la drogue », a-t-il déclaré au micro de La Première (RTBF). Il a été rapidement rejoint par son président de parti, Georges-Louis Bouchez, qui confirme que le parti libéral demande l’intervention de l’armée. « Il faut empêcher la mafia de faire entrer des stupéfiants sur notre territoire. Tout doit être fait pour les combattre », a-t-il tweeté.

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L’armée à Anvers? « Il ne faut pas confondre les rôles »

Un avis qui est loin de faire l’unanimité. La ministre de la Défense Ludivine Dedonder (PS) a rapidement écarté cette possibilité. « La question ne se pose pas », a-t-elle indiqué à Belga. « Il s’agit d’un problème de criminalité grave et organisée, de règlements de compte entre clans. La question centrale à se poser est: quelle serait la plus-value apportée par la Défense dans les rues d’Anvers? Les militaires n’ont pas de pouvoir de police, ni celui de mener des enquêtes judiciaires, il ne faut pas confondre les rôles ».

Elle ajoute que ses « collègues du gouvernement, de l’Intérieur et de la Justice n’ont pas sollicité l’aide du département à ce stade. Toute comparaison avec la période post-attentats du 22 mars 2016 serait incorrecte. À ce moment-là, la décision du gouvernement de déployer des militaires reposait sur les conclusions de l’OCAM. Nous ne sommes pas dans une situation de crise de sécurité nationale qui justifierait que la Défense soit employée pour renforcer les forces de police. Des forces de police qui sont le principal responsable de la sécurité intérieure dans notre pays », a-t-elle conclu.

La ministre de la Défense est rejointe par son homologue de l’Intérieur, Annelies Verlinden (CD&V), qui a confirmé que le sujet n’était pas à l’ordre du jour.

La demande de mobiliser l’armée à Anvers est « risible »

De son côté, le député libéral de la majorité Jasper Pillen (Open Vld) estime également qu’il s’agit d’une « mauvaise idée ». Une nouvelle fois, l’Open Vld n’est donc pas sur la même longueur d’ondes que le MR.  « Je comprends l’émotion et la violence liée à la drogue doit être combattue durement, mais l’armée n’est pas formée pour cela », a déclaré le membre de la commission Défense de la Chambre. Selon le libéral flamand, l’armée ne peut pas se le permettre dans un contexte de missions de l’OTAN en Europe de l’Est en réponse à l’invasion russe en Ukraine.

Dans l’opposition, la députée fédérale Sophie Rohonyi (DéFi) fustige le Mouvement Réformateur. « La demande du MR de mobiliser l’armée à Anvers pour faire face aux narcotrafiquants est risible. Le ministre de la Justice refuse d’ailleurs de se prononcer. Il faut renforcer les moyens des services compétents: police judiciaire fédérale, douanes et Justice. Pas se lancer dans le mélange des genres! », a-t-elle tweeté.

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Une concertation, initiée par Annelies Verlinden, a eu lieu au cabinet du ministre de la Justice Vincent Van Quickenborne (Open Vld). Bart De Wever était présent.

Le sujet, à l’ordre du jour à la Chambre, a donné lieu à de vifs débats. Pour rappel, lundi soir, une jeune fille de 11 ans a été mortellement touchée par balles dans le district anversois de Merksem. Le parquet a ouvert une enquête. Il examine la possibilité d’un lien avec le milieu de la drogue.

« Un vide juridique total »

Pour Yves Huwart, président du syndicat militaire CGPM, le déploiement de l’armée à Anvers serait une fausse bonne idée. « Quel est l’objectif concret ? C’est la première question à se poser. Est-ce dans le but de sécuriser le port, ou de faire des patrouilles dans les rues ? L’armée peut être en appui de la nation, mais les politiques doivent être clairs dans ce qu’ils attendent des militaires », nous dit-il.

L’aspect juridique d’un tel déploiement pose également question. Les compétences et le pouvoir des militaires dans la rue restent flous. « On est dans un vide juridique total, s’inquiète Yves Huwart. Il faut déterminer le genre de mandats que l’on souhaite octroyer aux militaires, avec un cadre juridique qui tient la route. »

Les effectifs limités de la Défense représentent également un obstacle majeur. « Pour quadriller la ville d’Anvers 24h/24, il n’y a évidemment pas assez de personnel. Qu’est-ce qu’on attend réellement des militaires ? Ce sont des déclarations politiques dans le vide, qui ont comme unique but de rassurer certains », pointe Yves Huwart.  

« On peut faire ce qu’on veut avec un militaire »

Pour le syndicaliste, seules des missions bien précises seraient acceptables, comme faire appel aux militaires pour réaliser des contrôles à l’intérieur du port. « Des chiens de la Défense sont entraînés pour détecter les explosifs, on pourrait les entraîner pour la drogue. Donner un renfort de deux pelotons pour une mission spécifique, c’est peut-être faisable. On parle de 60 personnes », avance-t-il.

Certaines déclarations politiques, qui dénoncent le fait que les militaires ne soient pas suffisamment formés pour ce genre de mission, dérange le président du CGPM. « S’il y a bien une institution en Belgique qui est capable d’occuper le terrain, ce sont les militaires. Mais il faut nous donner les moyens de le faire. Est-ce souhaitable actuellement ? Je ne pense pas, mais on pourrait le faire en cas de nécessité absolue », dit-il.

Selon le syndicaliste, il convient également de se demander pourquoi la police n’est pas capable de remplir ce rôle. « Ils ont un manque d’effectif, mais nous aussi. Dans certaines unités opérationnelles de la Défense belge, si on avait 90% de nos effectifs, comme c’est le cas pour les policiers d’Anvers, ce serait la fête. »

Enfin, la crainte du syndicat militaire est également qu’on profite de l’armée pour sa disponibilité extensible et son moindre coût. « Veut-on utiliser les militaires parce qu’ils sont moins chers ? Les militaires n’ont pas de limite aux niveaux des horaires de travail. La police a une limite de 50 heures par semaine, qu’on dépasse facilement chez nous. On peut faire ce qu’on veut avec un militaire. Nous devons rester vigilants sur cet aspect », souligne-t-il enfin.

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