Caroline Sägesser

Aucune réforme de notre régime des cultes à l’horizon… (carte blanche)

Caroline Sägesser Chargée de recherches au Crisp

L’actualité est riche de développements touchant aux relations des pouvoirs publics avec les cultes, que ce soit au niveau fédéral ou des entités fédérées. Elle est également marquée au quotidien par des faits religieux, au sens large. En dépit de cela, notre régime des cultes repose sur des fondations qui remontent aux débuts du 19e siècle et plus personne ne semble songer à en changer, regrette Caroline Sägesser, chargée de recherches au Crisp.

Le PS vient de déposer à la Chambre une proposition de déclaration de révision de la Constitution visant notamment à « consacrer la laïcité de l’État belge ». Celle-ci vient rejoindre deux autres propositions à l’objectif similaire déposées respectivement par Défi et par des députés du MR (qui préfèrent toutefois la notion de « neutralité »). Le débat autour du renforcement de la laïcité ou de la neutralité de l’État n’est pas neuf ; il a d’ailleurs été l’objet d’auditions et s’est retrouvé au coeur d’un rapport parlementaire sous la précédente législature, à l’initiative de Patrick Dewael (Open VLD). Cette année, il a été en outre alimenté par le dossier concernant le port de signes convictionnels à la STIB et par celui de la désignation, finalement avortée, d’Ihsane Haouach au poste de commissaire du gouvernement à l’Institut pour l’égalité des femmes et des hommes. Un point commun des trois propositions de révision évoquées ici est de ne proposer aucun changement de l’article 181 de la Constitution qui institue le financement public des cultes.

Parallèlement, ce financement public va se trouver conforté dans ses fondements par de nouvelles normes législatives. En effet, les Régions bruxelloise et flamande sont en train d’élaborer de nouveaux textes pour organiser la reconnaissance et le financement des communautés cultuelles locales, et la Chambre devrait bientôt examiner un projet de loi reconnaissant le bouddhisme comme organisation philosophique non confessionnelle, conformément à l’accord de gouvernement. Le Parlement bruxellois examine un projet d’ordonnance qui innove à plusieurs égards de façon significative, et notamment en transférant toutes les obligations financières des communes à la Région (subsides du fonctionnement des établissements, travaux aux édifices du culte et logement du ministre du culte) et en prévoyant dorénavant un plafonnement de ces interventions. Pour sa part, le Parlement flamand se penche sur un texte qui a principalement les mosquées en ligne de mire puisqu’il vise à édicter de nouvelles conditions de reconnaissance, plus strictes, pour les nouvelles communautés – or le culte islamique est celui qui sera amené à déposer le plus de demandes de nouvelle reconnaissance de communautés locales, largement devant le culte protestant-évangélique et le culte orthodoxe, qui connaissent également une croissance de leur nombre d’implantations

Incongruités et archaïsmes

Dans tous les cas, ces instruments ne vont pas révolutionner le système de financement public des communautés convictionnelles, qui demeure frappé d’un certain nombre d’incongruités ou d’archaïsmes. Citons-en quelques-uns.

Le financement public des cultes a été partiellement régionalisé le 1er janvier 2002, alors que celui des organisations philosophiques non confessionnelles (c’est-à-dire la laïcité dite organisée et, demain sans doute, le bouddhisme) est demeuré intégralement de compétence fédérale.

À ce jour, seuls les cultes catholique, protestant-évangélique, anglican, israélite, islamique et orthodoxe sont reconnus et financés, ainsi que la laïcité organisée, et il n’existe pas de législation organique qui définisse les conditions auxquelles un culte ou une organisation philosophique non confessionnelle doit satisfaire pour être reconnue. La « procédure » de reconnaissance actuelle consiste à écrire au ministre de la Justice et à espérer un aboutissement favorable.

Les ministres des cultes (et les délégués laïques) sont payés par le SPF Justice, qui ne dispose cependant d’aucun droit de regard sur leur recrutement, et ce alors que les ministres du culte travaillent bien souvent sans contrat (et donc sans définition précise de leurs horaires ou de leurs congés, par exemple).

Les montants alloués aux différents cultes et à la laïcité organisée n’obéissent à aucune clé de répartition basée sur des éléments objectifs, ils sont le reflet d’une situation établie ou le fruit d’une négociation bilatérale avec les autorités.

Les communautés locales reconnues sont gérées par des établissements publics (alors qu’elles ne remplissent à proprement parler une mission de service public) qui, parfois, ne sont que peu contrôlés.

Tous ces éléments sont apparus de façon criante il y a une vingtaine d’années, dans un contexte sociétal où la sécularisation, la baisse de la pratique religieuse constatée au sein du culte autrefois dominant et l’apparition et la croissance d’autres religions faisaient désirer un changement que le recul du poids politique des partis sociaux-chrétiens rendait sans doute plus atteignable que dans le passé. De nombreuses propositions furent formulées, et deux commissions d’experts travaillèrent même de façon approfondie au sein du SPF Justice. Leurs conclusions, toutefois, restèrent lettre morte.

Aujourd’hui, la nécessité d’une réforme est intacte, et s’est peut-être même renforcée. À intervalles réguliers, les crises qui secouent l’Exécutif des musulmans de Belgique viennent nous rappeler que le modèle d’organisation du culte conçu pour l’Église catholique à l’époque de Napoléon n’est pas adapté à l’islam pluriel de notre pays. Il n’est d’ailleurs pas très adapté non plus à la diversité des mondes protestant et orthodoxe. Par ailleurs, les propositions d’inscription du principe de laïcité dans la Constitution évoquées ci-dessus ne pourront pas être discutées sereinement, tant le principe du financement public direct semble constituer une négation du concept même de laïcité. Une difficulté se présente également dans le débat autour de l’enseignement des religions, de la philosophie et de la citoyenneté à l’école. Celui-ci est enfermé dans le prescrit constitutionnel relatif à l’enseignement des religions reconnues qui, dans un avenir proche, pourrait contraindre les écoles publiques à organiser une dizaine de cours différents…

Quelle réforme ?

Dans quel sens faudrait-il réformer la matière ? Certaines voix plaident avec constance pour l’abolition du financement public des cultes. C’est largement un leurre. Car il s’agirait dans cette perspective de l’abolition du financement direct pour le remplacer par un financement indirect, via la déductibilité fiscale des dons. Si confier le financement des religions à leurs seuls fidèles peut paraître un juste principe, que ce soit via la déductibilité des dons ou bien un impôt philosophiquement dédié, selon le modèle adopté par l’Italie par exemple, il n’est toutefois pas dénué d’inconvénients, principalement en ce qu’il favorise les cultes dont les adeptes sont fortunés, et n’offre pas toutes les garanties souhaitables en matière de confidentialité des opinions et de contrôle des fonds alloués.

Il faudrait sans doute innover davantage. Et après tout, la Belgique est une terre fertile pour les innovations institutionnelles. Un système qui assurerait la séparation des religions et de l’État, tout en s’assurant que les premières respectent bien les règles du second, qui traiterait tous les groupes sur un pied d’égalité et selon les mêmes critères, qui veillerait à ce que celles et ceux qui n’appartiennent à aucun d’entre eux ne soient en rien lésés, qui aiderait les organisations à l’utilité sociale démontrée et développerait l’ancrage national de toutes les religions ou philosophies présentes sur le territoire… Au fond, ne serait-ce pas aussi un chantier à ouvrir par la septième réforme de l’État ?

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