Entre 1991 et 2019, un cinquième des catholiques ont quitté leur Eglise. Des départs massifs, accélérés par les scandales de pédophilie. © BELGA IMAGE

Coût des cultes: l’impôt qui fait vivre les Eglises en Allemagne

Nathalie Versieux Journaliste, correspondante en Allemagne

Les salariés allemands sont soumis à l’impôt religieux, à moins de « sortir » de l’Eglise, une démarche qui les prive des « prestations » religieuses que sont le baptême des enfants, le mariage à l’église ou l’enterrement religieux. La Kirchensteuer rapporte onze milliards d’euros par an aux Eglises catholique et protestante. Une manne financière menacée par la crise démographique.

Lorsque Christian a découvert qu’il réglait l’impôt pour l’Eglise, il avait 18 ans et venait de recevoir sa première fiche de paie, après avoir travaillé un mois comme serveur dans un café, un petit job d’été. Baptisé protestant à la naissance, Christian se définit comme « athée », même s’il lui arrive de fréquenter la messe de Noël ou de se rendre à l’église en famille, à Pâques. Refusant de payer l’impôt religieux, Christian a dû se rendre au tribunal administratif pour demander à « sortir » de l’Eglise. A ce titre, il ne pourra plus, s’il le voulait, profiter d’aucune « prestation » de l’Eglise évangélique d’Allemagne. Ses gosses ne pourront se faire baptiser, ni fréquenter un jardin d’enfants géré par une association protestante. Lui-même ne pourra ni se marier à l’église, ni être enterré religieusement. En Allemagne, l’appartenance religieuse est aussi, voire d’abord, une affaire de gros sous.

Jusqu’au milieu du XIXe siècle, les différents princes des provinces de langue allemande finançaient le clergé. Avec l’explosion démographique liée à la révolution industrielle et aux courants migratoires en provenance de Pologne et d’Italie, la charge financière des Eglises devient trop lourde pour les princes. La principauté de Lippe, au bord du Rhin, est la première à instaurer en 1827 un impôt religieux pour survenir aux besoins colossaux de ses prêtres et pasteurs. Les provinces de Rhénanie et Westphalie suivent en 1835. En 1905, le principe de l’impôt religieux se généralise dans toute l’Allemagne. Il sera inscrit dans la Constitution de la République de Weimar en 1919. En 1907, les financements en provenance de l’Etat sont encore supérieurs aux recettes de l’impôt religieux. En 1939, la tendance s’inverse: l’impôt payé par les fidèles rapporte deux fois plus aux Eglises que la contribution des Länder. Aujourd’hui, le revenu net d’un fidèle est prélevé à la source de 9% supplémentaires au titre de l’impôt religieux ; 8% en Bavière et dans le Bade-Wurtemberg. L’impôt, collecté par les fiscs régionaux puis reversé aux Eglises (amputé d’un pourcentage destiné à financer cette collecte par les fonctionnaires de l’Etat) rapporte onze milliards d’euros par an aux deux principales Eglises du pays, une somme colossale que même les aléas économiques liés à la crise sanitaire et le scandale de pédophilie au sein de l’Eglise catholique n’ont pas mise à mal, malgré la diminution du nombre des fidèles. La crise démographique que traverse le pays menace toutefois l’avenir.

57% des Allemands s’acquittent de l’impôt religieux et sont donc à ce titre « membres » d’une des deux communautés chrétiennes, ce qui atteste d’une popularité certaine de cette taxe. D’autant que seuls 2,2 millions de catholiques (10% du total) et 800 000 protestants (3%) prennent part à la célébration dominicale. L’impôt pour les Eglises serait considéré comme une sorte de « forfait » pour prestations religieuses – permettant de faire baptiser ses enfants, de leur faire recevoir la première communion, de se marier devant l’autel, ou d’avoir un prêtre à son enterrement -, une « assurance » ouvrant la porte de l’Au-delà « au cas où », un moyen d’acquérir une forme de bonne conscience…

Interrogés à ce sujet, de nombreux fidèles athées expliquent vouloir soutenir les Eglises dans leurs oeuvres sociales: les Eglises chrétiennes gèrent en effet quantité de jardins d’enfants, d’écoles, d’hôpitaux, d’hospices, d’établissements pour personnes handicapées ou malades psychiques à travers le pays… Dans les faits, l’impôt finance en premier lieu les salaires des prêtres, des pasteurs et de leurs employés, payés suivant les mêmes grilles tarifaires que la fonction publique. Les deux chefs des Eglises catholique et protestante d’Allemagne gagnent chacun 13 000 euros brut par mois, le salaire d’un fonctionnaire de catégorie B10.

Départs massifs

Les fidèles qui, comme Christian, tournent le dos aux Eglises d’Allemagne sont nombreux. Entre 1991 et 2019, neuf millions de protestants et un cinquième des catholiques ont quitté leur Eglise, en moyenne 360 000 départs par an et par confession.

Malgré ces départs massifs, accélérés du côté catholique par les scandales de pédophilie, les recettes fiscales des Eglises ont augmenté de 70% pendant cette période. Un paradoxe lié à l’aggravation des disparités sociales en Allemagne pendant la phase de forte croissance économique que vient de traverser le pays. La moitié des fidèles allemands, exemptés d’impôts sur le revenu, ne sont pas non plus soumis à l’impôt religieux tandis que 15% des fidèles versent 77% de la taxe. Souvent âgés et conservateurs, ceux-ci ne songent guère à « quitter » leur Eglise.

Les perspectives d’avenir sont pourtant sombres pour l’impôt religieux en Allemagne, du fait de l’évolution démographique. Selon une étude réalisée en 2018 par le synode protestant, seuls 19% des 19-27 ans se considèrent comme « religieux ». La disparition dans les décennies à venir des baby-boomers, aux revenus élevés, privera les Eglises de revenus difficiles à compenser auprès de classes d’âge jeunes, moins nombreuses et peu religieuses. Aujourd’hui déjà, on compte chaque année 240 000 baptêmes de moins que de décès. Dans les diocèses, de douloureux plans d’économies et de restructuration dorment déjà dans les tiroirs, en prévision de jours difficiles.

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