© Anthony Dehez

Benjamin Harmegnies: « Se remettre vite en selle permet d’oublier »

Participer aux Jeux olympiques, le champion de judo en rêvait… jusqu’à ce qu’il soit terrassé par un malaise cardiaque. Contraint de délaisser les tatamis, Benjamin Harmegnies a renoué avec son amour d’enfance: la cuisine.

Son dernier combat s’est soldé par une défaite. Benjamin Harmegnies est déjà éliminé du Championnat d’Europe 2018 quand il s’installe dans les gradins du Shlomo Group Arena de Tel-Aviv pour assister à la finale de son pote Toma Nikiforov. « Je commence alors à transpirer, j’éprouve subitement les symptômes d’une grosse grippe. Quand je me tiens debout, tout tourne autour de moi et je manque de m’effondrer par terre. » Tant bien que mal, le judoka trouve son médecin, qui l’installe sur une table de soin et lui donne un médicament. Pendant ce temps, Nikiforov s’impose. Benjamin relève la tête un instant. Quand il se recouche, le docteur débarque avec quatre membres de l’équipe médicale israélienne, armés d’un électrocardiographe. « Il prend ma tension « pour être sûr », puis m’annonce qu’une ambulance est en route. Comme il n’ajoute pas grand-chose, je rigole, je lui réponds que tout ça n’est pas nécessaire. » A ce moment précis, le docteur Schoonejans a parfaitement conscience de ce qui est en train de se passer. Sur un ton mi-rassurant mi-inquiétant, son diagnostic fuse: le jeune sportif fait un malaise cardiaque. « Là, tu essaies d’accepter ce qui t’arrive. Puis, tu réalises que c’est fini. » C’est douloureux, mais irréfutable: sa carrière pro vient de prendre fin. Quatre jours avant ses 28 ans.

Le volleyeur en kimono

Enfant, le coeur du Borain balance entre volley et judo. Il aime la dynamique du premier, il adore côtoyer sa famille dans la pratique du second. L’ année de ses 12 ans, tout lui sourit: il est sacré champion de Belgique cadet sur les tatamis et, balle à la main, atteint la finale du championnat national avec son club, le VQC Wasmuel. Il apprendra plus tard que c’est à ce moment précis que ses parents refusent une sélection en équipe nationale de volley- ball, préférant laisser le gamin se concentrer sur son autre sport de prédilection. « Je pense que j’aurais pu atteindre un bon niveau au volley, même si je n’étais pas assez longiligne », admet-il.

A l’adolescence, Benjamin tourne définitivement le dos au filet lorsqu’il rallie l’école hôtelière de Namur, en internat. Jusqu’à l’obtention de son diplôme d’études secondaires, il enchaîne préparation physique en semaine et entraînements de judo le week-end. Une faible intensité qui ne l’empêche pas d’accumuler les titres, et d’être sacré une deuxième fois champion de Belgique cadet. « C’est là que la Fédération flamande m’a contacté pour rejoindre la sélection nationale. Mes parents ont hésité: l’école coûtait cher, ils n’avaient pas envie que je flingue tout leur budget. Heureusement, ils ont trouvé un arrangement et j’ai pu participer à mon premier tournoi international, à Belfort, où j’ai remporté l’un ou l’autre combat. » Le Hornutois est lancé sur la voie du sport de haut niveau. Peu désireux de se mettre à étudier après ses six heures quotidiennes d’entraînement, il postule alors à l’Ecole royale militaire (ERM) où il décroche un contrat Top Sport, réservé aux professionnels. « Cela impliquait de participer aux compétitions militaires et, surtout, de prester dans le civil. Je devais, théoriquement, passer une demi-journée par semaine à l’armée et suivre scrupuleusement des programmes d’entraînement le reste du temps. Finalement, je n’ai quitté la salle que lors des visites de gradés. »

Benjamin Harmegnies:
© Anthony Dehez

L’ élève Harmegnies est doué. En 2010, il remporte son premier titre de champion de Belgique, catégorie plus de 100 kilos, chez les seniors. Peu après, il intègre le club du judoka Elco van der Geest, où évolue la majorité de l’équipe nationale néerlandaise. « Lors du premier entraînement, j’étais déjà explosé après les quarante-cinq minutes d’échauffement. Puis Elco a fait commencer les randoris (NDLR: les combats). Je n’en revenais pas du rythme. Heureusement, avec le temps, je m’y suis habitué et ça m’a permis de figurer en tête du classement européen des moins de 23 ans pendant deux ans. » Rien qu’en 2013, le gaillard rafle six médailles, dont le bronze au Championnat d’Europe. Tout se profile parfaitement pour envisager une participation aux JO de Rio. Mais des tensions émergent au sein de la Fédération, Judo Vlaanderen, qui impose des séances collectives « sans s’occuper de moi » et dont la pression de la performance affaiblit le Borain, qui encaisse plusieurs blessures en quelques semaines. Il est dégoûté. « L’ accompagnement psychologique dans le sport est toujours un sujet tabou. Pourtant, à ce moment-là, j’aurais arrêté le judo s’il n’y avait pas eu le soutien de mon coach mental Geoffrey Mahieu. J’étais enfermé dans un tunnel, alors que j’avais besoin de voir ce qui se passait à gauche et à droite. Beaucoup de conversations avec Geoffrey m’ont emmené loin. Je n’avais pas l’impression de travailler, en réalité j’élargissais mon horizon. » Une fois le vide fait dans sa tête, Benjamin se lie à la Fédération francophone et se démène pour obtenir les points nécessaires à sa qualification pour Rio. Las, il se blesse à nouveau. Bye bye, le Brésil et le contrat Top Sport. Pour pouvoir continuer à vivre sa passion, il doit désormais dispenser, en parallèle, trente-huit heures hebdomadaires de cours d’autodéfense à l’ERM. Qu’à cela ne tienne, le jeune homme a du caractère. Il retrouve progressivement le goût du judo, puis signe son retour dans le classement des vingt-cinq meilleurs mondiaux. Ses performances lui assurent même la réattribution de son contrat Top Sport. Mais avant, il y a ce fameux Championnat d’Europe à Tel-Aviv…

La théorie au fourneau

Ce soir du 28 avril 2018, Benjamin est immédiatement pris en charge par un cardiologue israélien. « Il est passé par l’artère pour me poser un stent. Cela le faisait bien rire, il me montrait à l’écran où il se situait précisément dans mon coeur. Je ne ressentais absolument rien, à part la sensation très étrange de savoir que tout se faisait en moi. » Dans la foulée, le Belge fête son anniversaire, perfusion au bras. Je me réjouissais surtout d’être encore là pour le vivre » – puis voit une kyrielle de spécialistes débarquer à son chevet, sans saisir l’origine de son malaise. « Ils m’ont demandé si j’avais pris des produits dopants. Ce n’était pas le cas, mais aucun ne voulait me croire puisqu’ils n’avaient pas d’autre hypothèse. » De retour en Belgique après une dizaine de jours, le jeune homme fait une croix sur la compétition de haut niveau ; il n’aura plus jamais la résistance nécessaire pour titiller les plus grands. Au début de sa convalescence, il est KO après avoir monté dix marches d’escalier et met une heure pour parcourir deux kilomètres à pied. « C’était dur, mais ça m’a aussi permis de me retaper rapidement. Le 1er juin, soit un petit mois après le malaise, j’étais à l’ERM en train de donner cours d’autodéfense. Se remettre vite en selle permet d’oublier, de penser à autre chose. » Mais ça ne suffit pas toujours. Alors, Benjamin contacte Georges Baghdi Sar, son meilleur pote à l’école hôtelière, aujourd’hui à la tête d’une chaîne de street food syrienne. « Il m’a proposé de faire des grillades deux à trois soirs par semaine dans un de ses restos. Un jour j’étais commis, l’autre j’étais chef. Je me suis revu enfant, quand j’allais cuisiner le mercredi après-midi chez ma marraine, traiteure. A l’époque, je parvenais à inventer plein de trucs en pâtisserie et je me disais que j’allais ouvrir un resto. Mais une fois diplômé, j’ai préféré d’abord profiter des belles années qui s’offraient à moi en judo. »

C’est son passage chez Baghdi Sar qui convainc Benjamin de ressortir son projet Horeca des tiroirs. Entre les confinements, il suit une miniformation accélérée dans une friterie de Ghlin. Puis, il retape une bicoque à La Bouverie, dans l’entité de Frameries, pour y installer son appartement au premier étage et sa surface commerciale au rez-de-chaussée. Côté assiette, il s’inspire de son passage dans la cantine orientale de son ami et en revisite les fondamentaux en y intégrant ce qu’il a apprécié dans la cuisine des pays par lesquels il a transité durant sa carrière sportive. Ouvert en 2020, Big Ben Theory est une adresse street food, avec ses plats à emporter et à manger sur le pouce, dont le nom n’est pas qu’une référence à la célèbre série américaine. Il s’agit plutôt de la « méthode d’un Hennuyer massif », qui consiste à réaliser les plus beaux mariages culinaires. « J’essaie d’associer certaines spécialités de l’étranger à des mets de chez nous, comme les frites. Dernièrement, j’ai ajouté à la carte un boeuf coréen mariné avec des oignons et une sauce pimentée. Une tuerie, mais je dois encore le travailler pour qu’il se rapproche des standards appréciés en Belgique. On ne peut pas faire n’importe quoi: des nouilles avec des frites, c’est évidemment non », s’amuse-t-il.

Pour l’ancien judoka, renouer avec les fourneaux après pratiquement dix années d’arrêt est un vrai challenge. « C’est un peu comme le vélo: tu retrouves vite certaines habitudes, mais après une si longue parenthèse, tu ne peux plus jamais gagner le Tour de France. En cuisine, c’est pareil. » Aucun regret pour autant, puisque Benjamin Harmegnies a surtout l’ambition de proposer « un petit truc sympa », qu’il gère en famille, avec son frère. « Je ne veux pas juste lancer un resto pour le laisser ensuite tourner: j’aime cuisiner, c’est mon dada. »

Sa plus grosse claque

« Faire un malaise cardiaque qui met fin à ma carrière et à mes rêves de JO, c’est une sacrée baffe. »

Son mantra

« Il faut passer par le pire pour obtenir le meilleur. »

Ses dates clés

1995 « Je découvre la cuisine en suivant chaque semaine des ateliers auprès de ma marraine, traiteure. »

2011 « Lors d’un tournoi à Rio, je rencontre Daria Pogorzelec, une judokate polonaise. Elle est aujourd’hui ma compagne et la mère de mon fils, Cezary. »

2016 « Je deviens partenaire d’entraînement du multiple champion du monde poids lourd français, Teddy Riner. »

2018 « L’Ecole royale militaire accepte de me rendre un contrat Top Sport que j’avais perdu deux ans plus tôt. Quinze jours plus tard, je fais mon malaise. »

2021 « Mon restaurant, Big Ben Theory, est repris parmi les 100 adresses coups de coeur de l’édition Black Food du Vif Weekend. »

Son plus gros risque

« En 2014, j’ai ressenti une douleur au genou pendant un combat. Sous la pression de la Fédération flamande, j’ai continué à lutter. Cela m’a occasionné une rupture des ligaments croisés, qui a contribué à me faire rater les Jeux de Rio. »

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