Pour Elise Degrave, professeure de droit de l'UNamur, "le CST n'est pas vraiment satisfaisant et les risques de dérives sont bien réels". © BELGA IMAGE

Covid Safe Ticket: « Les risques de dérives sont bien réels »

Ludivine Ponciau
Ludivine Ponciau Journaliste au Vif

Reprendre une vie sans pass sanitaire n’est pas pour tout de suite. Alors que le CST+ entre en vigueur le 20 novembre, son imposition sur les lieux de travail est dans l’air. Pourtant, cet outil pose plusieurs questions éthiques. Et il a été politiquement élaboré dans des circonstances qui posent question.

L’obligation de présenter son QR code pour accéder à un lieu ou participer à un événement a divisé la population en deux catégories: ceux qui entrent et ceux qui restent sur le pas de la porte, quand bien même la personne habilitée à vérifier votre Covid safe ticket (CST) n’est elle-même pas vaccinée. Initialement créé en vertu d’un accord de coopération entre le fédéral et les entités fédérées pour pouvoir organiser de manière sûre les événements de masse, le CST est aujourd’hui applicable aux établissements de soins, à l’Horeca, aux infrastructures sportives, aux night-clubs et aux événements culturels et festifs. Le dernier Comité de concertation (Codeco) a par ailleurs instauré, dès le 20 novembre et au moins jusqu’au 28 janvier, le « CST+ »: il faudra toujours présenter son pass sanitaire pour accéder aux lieux précités, mais il faudra par ailleurs y conserver son masque (sauf à table au restaurant).

Ce qu’on peut craindre, c’est qu’on finisse par lier le CST u0026#xE0; la carte d’identitu0026#xE9; u0026#xE9;lectronique.

Pourtant, le deal avec le CST était d’en finir avec l’obligation du port du masque dans les lieux où il était exigé. Promesse tenue? Récemment, Frédérique Jacobs, cheffe du service infectiologie à l’hôpital Erasme, rappelait, sur les ondes de la RTBF, l’importance des gestes barrières et adressait une mise en garde à l’attention des vaccinés: « Le Covid safe ticket ne doit pas être synonyme d’un laisser-aller. Quand vous êtes dans un grand groupe, il faut penser au masque et aux gestes barrières. Le CST n’est pas la mesure absolue qui permet de faire n’importe quoi. » Une vision que partage le virologue Steven Van Gucht: « Le CST est un instrument qu’on peut utiliser mais il ne dispense pas d’appliquer les gestes barrières. Il faut rester conscient qu’il est toujours possible d’être infecté. Heureusement, la situation est quand même moins grave que lors de la deuxième et troisième vague. » Mais si ce virus est saisonnier, combien de vagues faudra-t-il traverser avant de pouvoir reprendre une vie sans pass? Et en cas de vaccination obligatoire, quelle serait encore son utilité? « Ça, c’est une décision politique », esquive Steven Van Gucht. D’un point de vue scientifique alors? « Le raisonnement, c’est de dire qu’il faut garder les mesures jusqu’à ce que les hôpitaux ne soient plus dans le rouge. »

Un choix politique

Yves Van Laethem est lui aussi favorable à l’application du CST+.Car, développe-t-il, bien que le vaccin soit une arme indispensable pour faire reculer l’épidémie, il a perdu en efficacité sur les infections sévères. « Avant, les gens vaccinés n’excrétaient pas le virus, ou peu, et durant peu de temps. Mais le vaccin commence à s’user et devient une barrière de transmission de moins en moins performante. »

Ce qui est aussi dans l’air, c’est la très épineuse question de l’application du CST à tous les lieux de travail, dans le privé comme dans le public, comme c’est le cas en Italie. La fédération des entreprises Agoria y est favorable, ainsi qu’Unizo, qui défend les intérêts des indépendants. Ceux qui refuseraient, se projette déjà Bart Steukers, le patron d’Agoria, dans Het Laatste Nieuws, « devraient être renvoyés chez eux sans être rémunérés« . Les syndicats, eux, ne veulent pas entendre parler de cette mesure qu’ils jugent « irréaliste » et « disproportionnée ».

Un avis que partage le politologue de l’UCLouvain, Vincent Laborderie: « Le CST peut prendre des formes très différentes et certains pays comme la Royaume-Uni, l’Espagne, la plupart des pays nordiques et d’Europe centrale n’utilisent pas ce dispositif, ou alors de manière restreinte. L’Italie, où les salariés doivent présenter le pass pour travailler est un cas extrême. On voit d’ailleurs que cela entraîne des mouvements de protestation comme la grève des dockers du port de Trieste. En Belgique, l’accord de coopération stipule qu’on ne touche pas au monde du travail, sauf pour le personnel soignant car les syndicats ont fait pression. Parce qu’il ne s’agit plus ici de viser les loisirs mais les moyens de subsistance, ce qui peut être assimilé à une forme de persécution, à une atteinte à la dignité… Les manifestations contre le CST en Italie traduisent cette perception. » Au-delà de ces divergences idéologiques, l’extension du CST est aussi devenue en Belgique un enjeu communautaire entre des Régions qui affichent des stratégies et des résultats différents, note encore Vincent Laborderie.

Autre écueil: comme pour la vaccination obligatoire, le cadre légal entourant le CST n’est pas vraiment satisfaisant, pointe la professeure de droit de l’UNamur, Elise Degrave. Et les risques de dérives sont bien réels. Des failles dans le fonctionnement de l’application ont déjà été dénoncées mais nous ne sommes pas à l’abri d’autres mauvaises surprises. « Est-ce qu’il y a eu un débat démocratique aboutissant à une loi? Non! , regrette-t-elle. Le texte a été rédigé dans les cabinets et soumis aux entités fédérées qui devaient dire oui ou non. Il n’a pas été soumis à l’Autorité de protection des données alors que c’était obligatoire. Ça n’inspire pas vraiment confiance. Ce qu’on peut craindre aussi, c’est qu’on finisse par lier le CST à la carte d’identité électronique. Or, sur la puce se trouvent aussi nos empreintes digitales… Ce qui est certain, c’est que le CST nous mène vers un nouveau type de société. »

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