Thierry Fiorilli

Le bruit de la semaine: motus et bouche cousue (chronique)

Thierry Fiorilli Journaliste

Chaque semaine Thierry Fiorilli évoque un bruit. Cette semaine, il revient sur le silence.

C’était un samedi, cet été. Depuis tôt, on entendait un moteur. Ça venait de derrière, pas de la rue. A l’oreille, on avait compris que ce n’était ni une tondeuse ni un taille-haie. Quand on a regardé, on a capté. Un type coupait les branches du grand cerisier, qu’on apercevait bien d’où qu’on soit, versant jardin. Vieux, le cerisier. Tignasse clairsemée, dos tout bossu, et des branches qui gémissaient comme sous l’arthrose quand elles bougeaient. On voyait le blanc des fleurs, le rouge des fruits ou la peau fripée, selon la saison. Les oiseaux, plein d’espèces, qui s’y goinfraient, s’y juchaient, y vocalisaient ou, comme les pies, y criaient façon chiffonnier d’humeur pas commode.

Le silence, quand il u0026#xE9;ventre, c’est toujours mieux si on est seul.

Ça a duré jusqu’au soir. Le rugissement de la tronçonneuse, c’était comme des bolides sur la piste et qu’on est à une centaine de mètres. Mais comme l’exécution se déroulait deux murs plus loin, on distinguait très nettement le craquement du bois, chaque fois qu’un morceau tombait. Et puis la silhouette s’est de plus en plus effilée. Et puis il n’y a plus rien eu. Juste les autres arbres, autour. Qui étaient immobiles, tous. Comme pétrifiés. C’était peut-être pas leur ami, il avait peut-être un sale caractère, prétentieux, parce qu’il était là depuis plus longtemps et qu’il savait tout mieux, il leur refilait peut-être des maladies, ou voulait toujours tout garder pour lui, la lumière, l’eau, les couleurs. En tout cas, ils semblaient tous assister à la mise à mort. Atterrés.

Et quand ça été fini, il y a eu un silence incroyable. Les animaux, le vent, les gens, même le bourreau, personne n’a bronché ni pipé mot. Un long silence, où se pressaient consternation, hommage, excuse et affliction. Un vrai silence de deuil, devant le cercueil, et qu’on songe que c’était quelqu’un de très très cher, que quelque chose d’essentiel est terminé, que ça aurait pu être nous, qu’un jour ce sera nous, que merde quand même, qu’on se devait de venir mais qu’on préférerait être loin, loin, loin, sans personne, parce qu’on est fendu et béant de partout.

Celui qui entourait la chute du vieux cerisier resurgit souvent. A l’improviste. Comme le 14 septembre dernier, avec le post Instagram de Roger Kluge, lanterne rouge du Tour de France qui vient de se boucler. C’était la deuxième journée de repos et le coureur allemand publiait une image des Alpes, avec, en commentaire, comme on s’abandonne sous la douche après une épreuve de force, « Pas de peloton, pas de motos, pas de voiture, pas d’hélicoptères, juste le silence« . Du coup, on s’est remémoré cet autre Tour, qu’on avait couvert il y a des années où, en effet, le vacarme de la course était saisissant. Une étape où on suivait un mécano d’une équipe. Un de ses coureurs, Jeroen Blijlevens, avait abandonné au moment du ravitaillement. Le sprinter hollandais était entré dans la voiture, à l’arrière. Le mécano avait murmuré : « Laisse-le tranquille, il est détruit, là. » Et on avait roulé cent kilomètres motus et bouche cousue, comme dans un cortège funèbre. Blijlevens avait regardé défiler le paysage sans desserrer les dents jusqu’à l’arrivée, où il avait quitté les clameurs de la caravane.

Le silence, quand il éventre, c’est toujours mieux si on est seul.

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