Thierry Fiorilli

Le bruit de la semaine : bandes-son particulières (chronique)

Thierry Fiorilli Journaliste

Chaque semaine Thierry Fiorilli évoque un bruit. Cette semaine il revient cet adolescent qui se demande ce que serait une vie où chaque instant serait une scène accompagnée de notes de musique et de mélodies, où chacun aurait ses bandes-son particulières.

C’est un gamin de 16 ans qui dit ça. « Ce serait bien si dans la vie, il y avait de la musique comme dans les films. » Elle serait dans l’air, venant d’allez savoir où, mais réelle. Elle changerait en fonction des moments, des lieux, des humeurs, des événements. Elle nous accompagnerait comme notre ombre. Donc pas pareille pour tout le monde. Chacun « aurait » la sienne, les siennes, comme on a une odeur, une allure, des pensées. Aucune ne s’entrechoquerait. Les notes jailliraient dans la tête mais rien que pour nous. On les entendrait, en vrai, comme si elles remplissaient tout l’espace.

Pour l’ado, là, qui le dit très simplement, comme on expliquerait ce qu’on ferait si on gagnait des millions au lotto, « ça rendrait les choses plus belles ». Plus fortes. Comme avant un match, comme dans les meetings politiques, les parades, les foires, les fêtes, les enterrements, les mariages, les messes. Sans musique, pas d’émotions. Moins d’excitation, de chamade, moins de solennité, de liesse, moins de charisme, de magie, moins de larmes, de ferveur. Le p’tit gars, il voudrait des mélodies quand il arrive à l’école, quand il rentre à la maison, quand il rejoint ses potes, quand il est seul, quand il pense ou parle à une ou à un, quand il a le spleen, quand ça craint dans les parages, quand il réussit, quand il doute, quand il vibre, quand il en a marre, quand c’est injuste, quand c’est merveilleux. Dans le train, dans la rue, dans le vestiaire, dans la nuit. Dans la vie.

Ce serait bien si dans la vie il y avait de la musique comme dans les films.

Il y aurait une bande-son pour chaque existence. Avec des morceaux qui arriveraient, comme ça, bing, depuis une playlist conçue pour chacun, pour chacune, pour chaque situation. Un vaste juke-box sélectionnant automatiquement les airs, qu’on entendrait intérieurement mais qui couvriraient tous les bruits autour. La vie serait un enchaînement de scènes, avec un thème musical différent, ou des fois récurrents. On aurait un coup du Mozart, un autre les Beatles. Ici un rap, ailleurs une valse. Là du Morricone, là Nina Simone. Ce matin, le Tony’s Theme de Scarface, ce soir I Had A Farm de Out of Africa. Entre, pêle-mêle, Danny Elfman, John Williams, Luis Bacalov, Henry Mancini… Et plus tard, sous d’autres ciels, Le Parrain, Game of Thrones, Amélie Poulain, Cinema Paradiso, du punk, du blues, de l’opéra, du bal musette, du transperçant, du martial, du qui fait rouler trop vite, du qui berce, du tragique, du au saxo, du à la harpe, du qui sent la sueur, du qui fait les draps frais.

Pas la musique qu’on entend hurler de voitures qui passent, toujours nulle. Pas celle des autres, les voisins, la bande, là, avec son transistor, qui dérange toujours. Ce serait comme celle qui filtre de quelque part, pas loin, où quelqu’un joue du piano, on connaît pas le morceau mais c’est toujours beau.

Ça couvrirait tout ce qu’on entend et qu’on se dit qu’on n’aurait pas dû tellement c’est quand même culotté, ou bête, ou méchant, ou pathétique. Et quand la bande-son serait partagée, même partiellement, même pour un moment, on saurait qu’on aurait à partager avec celui-ci, avec celle-là, avec ceux-là, avec celles-ci bien plus que quelques notes de musique.

Il a raison, ce gamin. Ce serait bien. On lui a dit, d’ailleurs. Et puis on a remis nos écouteurs.

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