Jules Gheude

« L’obsession unitariste de Georges-Louis Bouchez » (carte blanche)

Jules Gheude Essayiste politique

Pour Jules Gheude, essayiste politique, la volonté du président du MR de renouer avec son parti frère flamand est illusoire, alors que le nord du pays va vers toujours plus d’indépendance. « Et si l’on arrêtait les frais, en actant, une fois pour toutes, le divorce belge ? », questionne-t-il.

Rien n’est pire, pour un responsable politique, que de refuser de voir la réalité en face et de ramer à contre-courant de l’histoire.

Or, c’est ce que fait le président du MR, avec son obsession unitariste, qui l’amène aujourd’hui, à l’occasion des 175 ans du parti libéral, à rêver de reformer la « famille », divisée depuis 1972.

Georges-Louis Bouchez semble ignorer que la Flandre a tout fait, dès le milieu du 19ème siècle, pour se libérer de ce carcan unitaire belge qui la plongeait dans l’abâtardissement culturel et l’empêchait de jouer pleinement son rôle sur l’échiquier politique.

La lutte du Mouvement flamand fut longue et âpre. Mais elle a porté ses fruits en permettant d’engendrer ce sentiment d’appartenance collective qu’on appelle la « nation ». Oui, aujourd’hui, la Flandre est une nation, qui a vocation à devenir un Etat. Et ce fait, à lui seul, compromet la survie même de la Belgique.

En refusant de l’admettre, Georges-Louis Bouchez méconnaît profondément la Flandre.

Le fait qu’il n’existe plus de « famille politique » en Belgique est le résultat d’une évolution inéluctable. La fixation définitive de la frontière linguistique, en 1962, fut le premier coup porté à l’unitarisme. La preuve était ainsi apportée qu’il n’y avait plus unité, mais bien dualité.

On vit ensuite les partis dits traditionnels, jusque-là gérés de façon unitaire, se scinder l’un après l’autre en deux ailes linguistiques : le PSC-CVP en 1968, dans la foulée du « Walen buiten » de l’Université de Louvain, le PLP-PVV en 1972, et le PSB-BSP en 1979, après l’échec du pacte communautaire d’Egmont.

Ainsi, au fil des années, le Royaume vit son visage se transformer radicalement, jusqu’à prendre officiellement les traits du fédéralisme en 1993. Mais il ne fallut pas longtemps pour s’apercevoir que ce fédéralisme, que les francophones considéraient comme un aboutissement, n’était pour la Flandre qu’une étape devant lui permettre de progresser sur la voie de l’indépendance. L’encre de l’acte fédéral n’était d’ailleurs pas encore sèche que le ministre-président flamand Luc Van den Brande (CVP) proposait une nouvelle intervention chirurgicale de type confédéraliste.

En portant le cartel CD&V/N-VA sur les fonts baptismaux en 2004, l’ex-Premier ministre démocrate-chrétien Yves Leterme contribua à l’ascension du parti nationaliste. Pragmatique, et sachant fort bien que l’objectif de sa formation -l’émergence d’une République flamande au sein de l’Europe -, ne pouvait être atteint à court terme, Bart De Wever relaya cette option confédéraliste : deux Etats, Flandre et Wallonie, cogérant Bruxelles (chaque Bruxellois, indépendamment de sa langue et de son origine, étant invité à choisir, pour ce qui concerne les matières « personnalisables » – impôt sur la personne, sécurité sociale… – entre le paquet flamand et le paquet wallon). Dans cette optique, il est clair que la Flandre ne manquerait pas de considérer très vite comme superflu un Etat central belge, réduit à sa plus simple expression. Bye bye Belgium !

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Lors de la crise politique de 2010 – 541 jours sans gouvernement de plein exercice -, la commission des Affaires étrangères de l’Assemblée nationale française s’était inquiétée de la situation et avait chargé deux de ses membres de faire rapport sur le sujet. Pour les intéressés, il ne faisait aucun doute que la division du pays en deux groupes linguistiques de plus en plus cohérents et dissemblables rendait son existence de moins en moins probable.

Aujourd’hui, ce constat se révèle plus criant que jamais.

L’envie de Georges-Louis Bouchez de recréer la « famille libérale » ne peut que prêter à sourire. Hervé Hasquin, lui, a bien perçu la réalité, lorsqu’il déclare : « Croyez-moi, un libéral flamand est un nationaliste flamand ». Trois rappels suffisent à le démontrer.

  • N’est-ce pas l’ancien président des libéraux flamands, Karel De Gucht, qui déclara en 2002 : « La Belgique est condamnée à disparaître à terme, à s’évaporer et, en attendant, n’apporte plus aucune valeur ajoutée à la Flandre ? »
  • N’est-ce pas le ministre-président flamand Patrick Dewael (VLD) qui, en 2003, présenta un cahier de revendications institutionnelles visant à scinder quasi tout l’éventail des compétences restées fédérales, dont les soins de santé ?
  • N’est-ce pas Bart Somers, aujourd’hui membre du gouvernement flamand, qui, alors qu’il présidait le VLD, déclara : « Dans ma génération, nous donnons priorité aux intérêts régionaux flamands. (…) Nous n’acceptons plus que notre croissance et notre emploi soient freinés parce que la Wallonie ne veut pas rencontrer nos demandes. »

Et si l’on arrêtait les frais, en actant, une fois pour toutes, le divorce belge et en se mettant à table pour en discuter les modalités pratiques ? Dans son livre La Belgique est morte, vive la Belgique ! (Fayard, 2009), José-Alain Fralon, l’ancien correspondant du journal Le Monde à Bruxelles, s’était permis de donner au roi le conseil suivant : « Et si (…) vous la jouiez plus finement ? En admettant, comme nous le ferons tous tôt ou tard, que rien ne pourra arrêter la marche de la Flandre vers son indépendance, et en accompagnant celle-ci au lieu de tenter en pure perte de la stopper ? »

Un conseil de bon sens, dont Georges-Louis Bouchez ferait bien de s’inspirer.

Ce n’est pas une 7ème réforme de l’Etat qu’il faut préparer, mais l’avenir post-belge. Pour feu Jean Gol, dont le Centre d’Etudes du MR porte aujourd’hui le nom, cet avenir, pour la Wallonie, ne pouvait passer que par une intégration à la République française.

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