Frappes de l'aviation américaine sur la ville de Kobane, le 8 octobre. © Reuters

Etat islamique : inefficaces, les frappes aériennes ?

Gérald Papy
Gérald Papy Rédacteur en chef adjoint

La perte annoncée de la ville syrienne kurde de Kobane interpelle sur la stratégie de la coalition internationale. Elle confirme surtout que le résultat des bombardements aériens est beaucoup plus aléatoire en Syrie qu’en Irak.

La conquête annoncée de la ville de Kobane, au nord-est de la Syrie, par les djihadistes de l’Etat islamique pose clairement la question de l’efficacité des frappes aériennes dans le combat contre le groupe terroriste. Revue des interrogations et des enjeux.

Les frappes aériennes sont-elles suffisantes pour mettre fin aux agissements de l’Etat islamique ? Non.

Politiquement, le succès de l’opération de la coalition internationale dépend au moins de trois facteurs. 1. La capacité du gouvernement irakien à représenter et à défendre toutes les composantes de la population, y compris les sunnites marginalisés depuis la chute de Saddam Hussein en 2003. 2. La capacité des sunnites irakiens de se distancier des djihadistes parce qu’ils auront retrouvé une certaine confiance en l’appareil d’Etat, peut-être décentralisé. 3. La capacité des Syriens, au-delà de la confrontation militaire, à trouver un consensus sur un avenir politique commun, incluant les sunnites majoritaires, les alaouites (chiites) aujourd’hui au pouvoir à travers Bachar al-Assad et les minorités kurdes et chrétiennes.

Les frappes aériennes sont-elles pour autant inefficaces ? Non.

A tout le moins, on peut imaginer qu’elles affaiblissent l’Etat islamique, par les pertes en combattants et en matériel qu’elles entraînent. Et il est trop tôt pour en tirer un bilan définitif.. Mais elles ne pourront être véritablement efficaces que si elles s’accompagnent de reconquêtes des terrains occupés par des troupes locales au sol. Elles existent en Irak : l’armée régulière et les peshmergas kurdes, même si leurs avancées ne sont pas encore à la hauteur des attentes. Elles sont moins solides en Syrie : l’Armée syrienne libre, rébellion adoubée par la coalition, n’est qu’un tigre de papier; les plans prévoient sa formation, et les peshmergas kurdes syriens, mais la coalition n’a pas encore pu – ou voulu – les armer au contraire de leurs coreligionnaires irakiens.

Pourquoi les frappes aériennes risquent-elles de ne pas suffire à sauver Kobane ?

Le porte-parole du Pentagone, le contre-amiral John Kirby, en a été réduit à reconnaître un piteux aveu d’échec : « Les frappes aériennes seules ne sauveront pas la ville de Kobane. Nous le savons. Nous sommes très honnêtes sur les limites de la force aérienne. Nous n’avons pas de partenaire volontaire, compétent, efficace au sol en Syrie en ce moment. » Une explication technique à cette absence de « partenaire efficace » dans le nord-est de la Syrie : le temps n’a pas suffi pour acheminer du matériel militaire aux Kurdes de Syrie. Une autre est plus politique et plus sujette à controverse : le principal mouvement des Kurdes de Syrie, le Parti de l’union démocratique (PYD), est lié au Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), formation des Kurdes de Turquie et ennemi irrédentiste du pouvoir à Ankara. D’où ce soupçon : les Kurdes de Kobane sont abandonnés à leur sort, les Kurdes de Turquie et d’Irak sont empêchés de leur venir en aide par les autorités turques parce que Ankara ne veut pas d’une coalition, même de circonstance, avec le PKK et ses alliés afin de ne pas renforcer in fine son pouvoir. Et les Américains, pour ne pas froisser leur partenaire turc, agiraient peu ou prou dans le même sens. L’inefficacité supposée des frappes aériennes contre l’Etat islamique à Kobane est donc à remettre dans un contexte politique syrien pour le moins tortueux. Si, comme d’autres pays, la Belgique limite sa contribution à l’opération contre l’Etat islamique au territoire irakien, ce n’est pas sans raison.

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