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Dix ans plus tard, de nombreuses questions restent sans réponse

Le Vif

Le 1er mars 2004, la cour d’assises d’Arlon entamait le procès de Marc Dutroux, Michelle Martin, Michel Lelièvre et Michel Nihoul. La Belgique s’apprêtait à vivre le procès le plus retentissant et le plus douloureux de son histoire moderne, plus de 2.500 jours après l’arrestation de Marc Dutroux et de ses complices présumés.

Un épisode judiciaire aux statistiques extravagantes: 569 témoins, 450.000 pages de dossier et 17 semaines d’audience. Dix ans plus tard, malgré les condamnations, de nombreuses questions restent toujours sans réponse.

Ce fut le procès d’un fait-divers pas comme les autres. Tout s’était accéléré le 9 août 1996. Laetitia Delhez, 14 ans, avait disparu à Bertrix sur le chemin de la piscine. Les pistes suivies par les enquêteurs les avaient rapidement conduit à Marc Dutroux, déjà condamné en 1989 pour enlèvements et viols de mineures de moins de 16 ans. Le 13 août, Marc Dutroux, son épouse Michelle Martin et Michel Lelièvre, un toxicomane, étaient arrêtés et passaient aux aveux. Laetitia et Sabine Dardenne, disparues quelques mois plus tôt, sont retrouvées vivantes au domicile de Marc Dutroux à Marcinelle, dissimulées dans une cache aussi exiguë que funeste. La Belgique découvrait alors le visage de celui qui deviendra « le monstre ».

Le fait-divers sordide s’était transformé en traumatisme national lorsque les enquêteurs avaient découvert les cadavres de Julie Lejeune et Mélissa Russo, disparues depuis juin 1995, dans le jardin de la maison de Marc Dutroux à Sars-la-Buissière. Les corps d’An Marchal et d’Eefje Lambrecks, enlevées en août 1995, étaient ensuite retrouvés début septembre.

Il y a dix ans, le 1er mars 2004, l’ennemi public numéro 1 franchit donc pour la première fois les portes de la cour d’assises d’Arlon. Marc Dutroux doit désormais affronter la réalité des faits, souvent accablants, ses mensonges, une Belgique en colère qui réclame sa tête mais surtout les victimes et les 14 personnes portées parties civiles. Tous veulent enfin savoir. Le procès doit apporter les réponses aux nombreuses questions soulevées par plus de sept ans de rumeurs, de paranoïa et de méfiance générale envers une Justice défaillante.

Marc Dutroux prend place dans le box des accusés aux côtés de Michelle Martin, sa femme, Michel Lelièvre, considéré comme son homme de main, et Michel Nihoul, un homme d’affaires bruxellois connu pour escroquerie mais dont le rôle dans l’enlèvement des jeunes filles reste incertain. Il clame d’ailleurs son innocence depuis son arrestation. Carine et Gino Russo, les parents de Julie, refusent finalement de participer au procès, doutant déjà de son épilogue. « Un cirque », selon ses détracteurs. D’autres croient toujours en la pertinence des explications judiciaires et gardent l’espoir d’une vérité enfin révélée. « C’est maintenant ou jamais », déclare d’ailleurs Paul Marchal à son arrivée à la première audience.

Dès le début du procès, Marc Dutroux utilise son box de verre comme une tribune pour partager ses théories les plus extravagantes. Lors de son interrogatoire introductif, il évoque pour la première fois un « réseau Nihoul », désigné comme le commanditaire des enlèvements. Il assure avoir enlevé sous la menace An, Eefje, Sabine, Laetitia et certifie avoir gardé Julie, Mélissa, Sabine et Laetitia pour les protéger. A plusieurs reprises, il clame son innocence, affirme qu’il n’a ni violé ni commis les meurtres des quatre victimes décédées.

Michelle Martin, elle, se confond en remords et regrets tandis que Michel Lelièvre se mure dans le silence.

Les experts psychiatres et les témoins de moralité appelés à la barre dressent pourtant de Marc Dutroux le portait d’un psychopathe pur, dénué de tout remord. Face aux non-dits et aux explications lacunaires des accusés, les audiences se transforment par moments en procès des forces policières et des autorités judiciaires, défaillantes à plusieurs reprises lors de l’enquête.

Le procès est par ailleurs marqué par plusieurs moments forts. Le 19 avril, Sabine Dardenne, alors âgée de 20 ans, témoigne de ses 80 jours de calvaire, entre mai et août 1996. Durant 30 minutes elle partage avec calme le récit de son enlèvement, de sa séquestration, de sa libération. Laetitia revient également sur ce douloureux épisode le lendemain.

La semaine suivante, les deux victimes de Marc Dutroux plongent à nouveau dans l’horreur. Le 27 avril, la cour d’assises d’Arlon se déplace à Marcinelle pour visiter la maison de Marc Dutroux, lieu de séquestration des victimes et théâtre de l’indicible. La cache où vivaient les enfants, située dans la cave, est minuscule: un tout petit réduit long de 2m34, large de 99 centimètres, haut de 1m61 et masqué par une petite porte blindée coulissante. Sur un mur, on devine encore la trace du prénom « Julie » écrit par la Liégeoise lors de son passage. Sabine et Laetitia, âgées de 20 et 22 ans, n’y étaient pas retournées depuis le jour de leur libération, le 15 août 1996.

Après l’audition des 569 témoins et trois mois de procès, de nombreuses questions restent cependant sans réponse. Certaines zones d’ombre du dossier se sont étendues. Le lieu exact de l’enlèvement de Julie et Mélissa reste incertain et ce qu’elles ont vécu entre leur enlèvement le 24 juin 1995 et la sortie de prison de Dutroux en mars 1996 n’est toujours pas établi. Sabine et Laetitia ignorent également quel sort leur aurait été réservé si elles n’avaient pas été retrouvées à temps. Sept ans et demi après les premières déclarations des accusés, les faits manquent de clarté.

Ces incertitudes contribuent d’ailleurs aux positions divergentes adoptées par les parties civiles. Les avocats de la famille d’An Marchal et de Laetitia rejoignent le ministère public en prônant la thèse de la bande organisée. Mais ceux de la famille Lambrecks et de Sabine doutent fortement de la participation de Nihoul. Les parties civiles se déchirent à son sujet. Après plusieurs semaines d’audience, les conseils de la famille Lambrecks retirent leur plainte contre lui, le décrivant comme un escroc sans aucun penchant pédophile. La défense de Laetitia, notamment, pense toujours le contraire.

Le 13 juin, le président de la cour d’assises d’Arlon Stéphane Goux referme enfin les quelque 450.000 pages du dossier après 56 jours de procès hautement médiatisé, 15 semaines d’audience, plus de 360 heures consacrées à l’instruction d’audience et environ 75 heures aux réquisitoire et plaidoiries. Le procès n’a pourtant pas livré tous les secrets de cette affaire. Marc Dutroux a préféré jouer la carte de la provocation, adoptant parfois une attitude arrogante, relançant la thèse des réseaux. Il ment, revient sur ses propos, change de version.

Le 22 juin, deux jours avant le neuvième anniversaire de l’enlèvement de Julie et Mélissa, la cour d’assises d’Arlon rend son arrêt. Marc Dutroux, reconnu coupable de pratiquement tous les faits par les douze jurés, écope de la réclusion à perpétuité, la peine la plus sévère. La cour prononce également sa mise à disposition du gouvernement pour une durée de 10 ans, compte-tenu de la multiplicité et de la gravité des faits, de ses antécédents judiciaires, de sa persistance dans la délinquance ainsi que de sa dangerosité pour la société.

Le tribunal condamne Michelle Martin à 30 ans de prison et Michel Lelièvre à 25 ans. Nihoul écope lui d’une peine de 5 ans d’emprisonnement pour trafic de drogue et association de malfaiteurs. Il est donc blanchi pour tous les faits liés aux enlèvements d’enfants.

Plusieurs parties civiles se disent satisfaites des peines infligées aux accusés. Jean-Denis Lejeune, le père de Julie, partage cependant son inquiétude quant à l’éventuelle libération à moyen terme de Michelle Martin et de Michel Lelièvre. Il doute de leur capacité à se réinsérer. Dix ans plus tard, après de nouvelles procédures judiciaires et la libération sous conditions de Michelle Martin, le doute ne l’a toujours pas quitté.

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