L’application est devenue une mine d’or d’information pour les sportifs, tant amateurs que professionnels. © BELGA IMAGE

Strava, les dérives de l’Instagram des sportifs: «On veut aller toujours plus vite, toujours plus haut»

Nathan Scheirlinckx
Nathan Scheirlinckx Journaliste au Vif

L’application Strava, qui permet d’enregistrer des séances de sport et de les partager avec ses amis, est devenue l’Instagram des sportifs. La plateforme séduit jeunes et moins jeunes, mais entraîne chez la génération Z une course à la performance parfois dangereuse.

«Avant chacune de mes sorties running, je vérifie que mon smartphone est suffisamment chargé pour enclencher Strava. L’application me permet d’analyser mes performances et puis, c’est tout de même satisfaisant de recevoir des « kudos » (NDLR: l’équivalent des like). Je cours avant tout pour moi, mais la reconnaissance des autres apporte un sentiment de fierté.» Strava est devenu le partenaire d’entraînement d’Elise depuis qu’elle a commencé la préparation d’un semi-marathon voici trois mois. Au même titre qu’enfiler ses baskets, enregistrer ses séances de course est désormais devenu un vrai réflexe pour la jeune femme.

Tout comme François, qui s’entraîne tous les jours en vue d’un semi-ironman (un triathlon longue distance) prévu cet été. «J’utilise Strava depuis dix ans pour avoir un aperçu de mes performances. Durant tout un temps, j’étais obnubilé par les chiffres. Je voulais impressionner les autres avec mes sorties. Strava incite à aller toujours plus vite, toujours plus haut. Aujourd’hui, je ne fais plus trop attention à ça. L’enregistrement de mes séances de vélo, natation et running dans l’application sert surtout à mon coach, chargé de la planification de mes entraînements.»

Strava: pourquoi la Gen Z est addict à la performance

Strava est utilisé par la génération Z pour mettre en avant ses performances sportives. © GETTY IMAGES

D’autres se sont inscrits sur Strava un peu par hasard, convaincus par le bouche-à-oreille de leur entourage. «J’ai profité du confinement pour reprendre le sport, confie Martin, amateur de cyclisme et de course à pied. Au début, mes performances étaient carrément nulles. Grâce à l’application, j’ai pu constater une amélioration au fur et à mesure. C’est chouette de voir sa progression.»

«J’ai débarqué sur Strava pour son côté social.»

Liesl

Si Martin estime ne pas être esclave de l’application, Liesl a plus de difficultés à prendre du recul. «J’ai débarqué sur l’appli pour son côté social. C’est motivant de partager ses séances et de voir celles de ses amis. On a envie de se challenger et de s’améliorer. Mais il faut faire attention aux dérives. L’été dernier, en allant au travail à vélo, je poussais parfois sur les pédales pour essayer de prendre un « QOM » (NDLR: queen of the mountains, l’équivalent du meilleur temps sur un segment déterminé pour les femmes). Comme le trajet comportait pas mal de dénivelé, j’arrivais crevée au boulot (rire).»

Elise, François, Martin et Liesl ont au moins deux points en commun: ils font partie des 120 millions d’adeptes de Strava en 2023, et appartiennent à la génération Z (les personnes nées entre 1997 et 2012). Une génération qui utilise l’appli plus pour afficher ses performances que pour bouger pour sa santé, à en croire une enquête réalisée par Strava auprès de 7.000 membres de la communauté.

«Nous savons que les comportements de la génération Z reflètent leurs valeurs et l’influence de la vie dans un monde de plus en plus numérique, ce qui, pour ce groupe, révèle qu’ils sont en fin de compte centrés sur l’activisme, la communauté et la connexion, énonce, dans le rapport, Zipporah Allen, chief business officer de l’application mobile. Au cours de l’année écoulée, nous avons constaté que les athlètes de la génération Z étaient la principale source de croissance de la communauté. Ils ont également contribué à l’augmentation de la pratique de certains sports tels que la course à pied, bien qu’ils soient ceux qui rencontrent le plus d’obstacles à la régularité. Cela montre que l’exercice physique demeurera une valeur centrale pour les sportifs de cette génération, qui considèrent déjà Strava comme la plateforme clé pour rester motivé et connecté.»

«J’étais obnubilé par les chiffres. Je voulais impressionner les autres avec mes sorties.»

François

Strava, un outil précieux pour Van Aert et Evenepoel

Wout Van Aert et Remco Evenepoel cumulent à eux deux plus de 800.000 abonnés sur Strava. © BELGA IMAGE

Strava est la plus grande communauté sportive en ligne, avec des membres actifs dans 190 pays, dix milliards d’activités partagées et 3.000 athlètes professionnels inscrits l’an dernier. La première version de l’application dédiée à l’enregistrement d’activités sportives par la technologie GPS date de 2009. «Au départ, Strava incarnait un outil précieux pour la planification de l’entraînement, contextualise Thierry Zintz, sociologue du sport à l’UCLouvain. Mais il est rapidement devenu le réseau social de sports d’endurance comme le cyclisme et la course à pied.»

A tel point que Strava est parfois appelé l’Instagram ou le Facebook des sportifs, qu’ils soient amateurs ou professionnels. Au sein du peloton, des coureurs comme Wout van Aert (605.403 abonnés) et Remco Evenepoel (220.426) affichent leurs performances hors norme sur la plateforme au design orangé.

«Strava adopte, à la manière des autres réseaux sociaux comme Facebook, une logique de communautés. S’y trouvent des réseaux relationnels, composés de personnes qui pratiquent une activité physique – souvent le vélo et le running – de manière plus ou moins intense», développe Thierry Zintz qui, à 60 ans, utilise Strava pour enregistrer les 10.000 kilomètres qu’il parcourt chaque année à vélo.

«Strava, c’est un peu le McDonald’s des informations sportives.»

Jean-Paul Bruwier, directeur de publication du magazine Zatopek.

Strava: une popularité sans borne, mais à quel prix?

«Dans l’utilisation de Strava, il y a forcément un peu d’ego», estime l’ex-chamion de Belgique du 400 mètres haies Jean-Paul Bruwier. © BELGA IMAGE

«Strava, c’est un peu le McDonald’s des informations sportives, résume Jean-Paul Bruwier, huit fois champion de Belgique du 400 mètres haies. Dans l’utilisation de cette plateforme, il y a forcément un peu d’ego. Mais toutes les données sportives accessibles après une séance représentent une mine d’or pour les athlètes et leurs entraîneurs.»

S’il a pris sa retraite sportive, l’ex-athlète n’en reste pas moins actif dans le domaine. Il est aujourd’hui directeur de publication du magazine de running Zatopek, qui cherche à rassembler une communauté de coureurs en Belgique francophone. «Je continue à utiliser Strava lors de mes entraînements. Ce que je remarque? Désormais, tout est mesuré et mesurable.» Une tendance de la société qui, selon lui, dépasse le seul cas de Strava.

Pourtant, la course à la performance liée à la plateforme a déjà eu des conséquences mortelles. «Je me souviens de cyclistes qui, en voulant absolument obtenir le meilleur temps sur un segment – ces fameux KOM/QOM – ont trouvé la mort dans des accidents tragiques, enchaîne-t-il. Mais l’impact de Strava est avant tout positif: les gens sont motivés pour s’entraîner et bouger. Lors de la pandémie de Covid-19, nous avons réussi à inverser la logique individualiste de l’application, en créant des défis sportifs pour venir en aide aux plus démunis qui, à l’arrivée, ont permis de fédérer et rassembler des dizaines de milliers de gens au sein de la communauté

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