Comment la Gen Z redéfinit la relation au travail: « Le pouvoir de la négociation a changé de camp »
On les dits fainéants, pas assez motivés… La Gen Z a-t-elle vraiment la flemme de travailler ? Ou est-ce le monde de l’emploi qui ne s’adapte pas suffisamment aux attentes de ces nouveaux travailleurs, en quête de sens et d’équilibre ?
Travailler pour vivre, et non vivre pour travailler. Tel pourrait être le mantra de la génération Z, ces jeunes d’une vingtaine d’années qui débarquent sur le marché de l’emploi… avec des exigences précises. Des fainéants, la Gen Z ? Pas de raccourcis hâtifs, selon Joël Poilvache, district director chez Robert Half. Pour lui, il n’y a pas vraiment un manque de motivation, « mais c’est vrai qu’ils mettent plus facilement des limites. Une réalité qu’on doit peut-être à une maturité plus rapide. »
Focus sur la santé mentale
Nés entre le milieu des années 90 et les début des années 2000, leurs points d’intérêt diffèrent de leurs aînés. Une tendance confirmée par une étude menée pour la 12e fois par Deloitte. « Une nouveauté apparaît depuis l’an dernier : un focus sur le bien-être mental, ainsi que sur l’équilibre entre vies professionnelle et privée. Cela s’est confirmé cette année », confirme Nathalie Van Daele, en charge du Human Capital en Belgique et en Europe pour le cabinet d’audit.
La moitié des jeunes disent se sentir épuisés en raison des exigences de la charge de travail. Arthur, qui travaille depuis septembre 2022 dans la consultance, ne pense d’ailleurs pas rester longtemps. Trop de stress. « Je dois livrer des projets régulièrement et il y a souvent des incompréhensions qui font que chaque fin de projet est un rush, avec de la pression. »
Des jeunes en quête de sens
Selon l’étude de Deloitte, 35% de la Gen Z ont déjà refusé un emploi qui ne correspondait pas à leurs valeurs. C’est encore plus prononcé dans la sélection de l’entreprise (44%). Même si tous n’ont pas le choix. Après des études en sciences politiques et relations internationales, Emma, 24 ans, a envoyé près d’une centaine de candidatures, qui n’ont rien donné. Elle a multiplié les initiatives (voyage pour améliorer les langues, master complémentaire…) afin de mieux correspondre aux attentes… sans succès. Une désillusion qui l’a poussée à accepter un travail parce qu’elle y connaissait quelqu’un. Pourtant, « le critère n°1 pour moi, c’est un métier qui correspond à mes valeurs. » Elle pointe du doigt les « bullshit jobs », ces emplois pour lesquels « on ne sait pas trop ce qu’on fait là, pourquoi on est engagé et dans quelle étape de la chaîne on se trouve. »
« Le manque de sens, c’est ce qui touche le plus notre génération, confirme François, diplômé en juin 2022. Certains continuent parce qu’on leur a toujours dit qu’il fallait travailler, un point c’est tout. »
L’emploi, moins central qu’auparavant
Chez les travailleurs de plus de 45 ans, la famille et les amis étaient déjà la préoccupation n°1, mais le travail venait juste derrière, bien devant les loisirs, selon Nathalie Van Daele (Deloitte). « Chez les Millenials, l’emploi était déjà redescendu d’un cran, mais chez la Gen Z, il se trouve encore plus bas », au même niveau que les loisirs et le sport. De plus en plus de jeunes ont par ailleurs, en plus de leur fonction principale, une autre source de revenu, sorte de « 2e job », cette fois liée à un hobby. Un héritage de la période Covid.
Emma se voit « avec plein de petites planètes » autour d’elle : « Mes amis, ma famille, le travail… mais ce dernier n’est pas du tout le plus important. » Pour elle, les précédentes générations se définissaient davantage par leur travail que les jeunes d’aujourd’hui, qui aspirent à un meilleur équilibre entre vie privée et vie professionnelle. « On peut toujours dire que les jeunes ne veulent plus travailler, mais requestionner sur la place du travail dans sa vie, c’est vraiment positif », estime François.
Le salaire toujours, et l’indispensable flexibilité
La Gen Z est aussi celle de la flexibilité, acquise lors de la crise du Covid. Arthur estime « inenvisageable » de repasser à 100% en présentiel. Comme 87% des jeunes, selon l’enquête Deloitte.
La Gen Z va être dans une position privilégiée. Ils mettent la barre plus haut, parce qu’ils ont davantage le choix
Frank Vander Sijpe, Director HR Trends & Insights chez Securex
Les cabinets de recrutement et les spécialistes des ressources humaines observent néanmoins une grande constante : la rémunération revêt toujours un caractère important, même si la composition du package salarial évolue. Moins d’attrait pour la voiture de société, mais davantage pour un budget mobilité, par exemple.
Surtout, selon Frank Vander Sijpe, Director HR Trends & Insights chez Securex, le pouvoir de la négociation aurait changé de camp. « La Gen Z va être dans une position privilégiée. Ils mettent la barre plus haut, parce qu’ils ont davantage le choix. Si l’employeur ne satisfait pas le candidat à l’entretien, ce dernier peut toujours dire qu’il a d’autres pistes, ou qu’il va y réfléchir. Et il ne fait aucun doute qu’il trouvera ailleurs. »
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Fini le CDI à tout prix
Les jeunes recrues se sentent en décalage avec leurs collègues plus anciens. Pour Arthur, le plus flagrant, c’est la différence d’implication : « Ils travaillent comme si c’était leur entreprise. Si elle ne va pas bien, c’est comme si toute leur vie allait en pâtir. » Si sa boîte ne performe pas, « ce n’est pas mon problème, je ne lui dois rien. »
Occuper le même poste 5 ou 10 ans ? Très peu pour Emma. « On veut aller 2-3 ans quelque part, puis bouger ailleurs. » François abonde. « Quand j’ai quitté mon travail de 9 mois, j’avais l’opportunité d’y rester deux ans de plus, mais j’avais prévu un voyage. Un projet personnel plus important pour moi que de rester ‘dans l’espoir d’avoir un jour un CDI’. Avoir un CDI, oui, mais pas par-dessus tout ».
Si le CDI représente toujours une valeur sûre, il y a un regain d’intérêt pour les missions temporaires. Des statuts intéressants, selon Frank Vander Sijpe (Securex), car « cela permet de se tester dans un certain environnement, dans une fonction… et puis décider de s’établir si cela plait. A l’inverse, si cela ne leur correspond pas, leur décision de changer d’emploi est plus rapide. »
Avoir un CDI, oui, mais pas par-dessus tout
François, diplômé depuis juin 2022
Être à l’écoute… et les impliquer davantage
Les entreprises devront s’adapter, au risque de perdre leurs jeunes recrues. « Les gens savent ce qu’ils valent et ce qu’ils veulent, ils ne vont pas se laisser marcher dessus », confirme Arthur. Frank Vander Sijpe conseille aux entreprises de « bien expliquer au travailleur pourquoi il est là. Ainsi que d’offrir des défis à relever, et des opportunités de développement et de formation. » Sans oublier de mettre en avant les valeurs de l’entreprise, notamment sur la durabilité et le climat, thématiques chères à la Gen Z.
Pour Nathalie Van Daele, les jeunes ont « une grande volonté de participer, mais il faut aussi les impliquer davantage. » De nombreuses initiatives existent, indique Joël Poilvache (Robert Half), comme des groupes de réflexion transgénérationnels ou du mentoring inversé. Pour lui, « la richesse, c’est l’échange entre les générations. Les jeunes sont digital native et apportent une manière de voir les choses plus en phase avec la société. »
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