Mauvais comptes de Flandre

« Avant que Bruges ne marque, il n’y avait qu’une équipe sur le terrain: le Standard ». Mais le Club a marqué avant la demi-heure et le coach des Rouches a dû refaire ses calculs.

A pied, à cheval ou en voiture: personne n’empêchera Bruges de franchir la ligne d’arrivée de ce championnat largement détaché. Ceux qui ont assisté à la visite du Standard près des canaux de la Venise du Nord ont, comme d’autres avant eux, compris que ce bolide est sans égal en Belgique. C’est un turbo et tous les autres ont un paquet de chevaux en moins. Trond Sollied est un expert en matière de système, d’automatismes, d’occupation de terrain, etc.

Son 4-3-3 est mieux huilé que la dernière Ferrari de Michaël Schumacher. Et, face au Standard, il avait de fameuses pièces de rechange dans son paddock: Rune Lange, Tjörven De Brul, Sergueï Serebrenikov, Alin Stoica, Bratislav Ristic, etc. Sans oublier Marek Spilar qui est blessé. Et ce qui se trouvait sur le terrain valait évidemment plus que le coup d’oeil. C’est tout dire quant aux potentialités en profondeur de la cavalerie flandrienne. Personne ne possède un tel noyau en Belgique. Le coach norvégien, qui vient de prolonger son contrat pour trois ans, jongle comme un chef avec ses nombreux atouts.

A la fin du match, il fit comprendre que Bruges se renforcerait encore afin de progresser, individuellement et collectivement, dans le cadre belge mais aussi via les épreuves européennes. « Et si Schalke 04 veut Timmy Simons, il faudra un gros chèque », a dit Sollied, afin que Bruges puisse faire des achats. Quand on note cela, Bruges n’a-t-il pas décollé pour plusieurs années?

Malgré tout, le Standard, très déforcé, avec un Michaël Goossens sur le banc mais touché au genou (histoire de rejoindre les grands absents: Ivica Dragutinovic et Jonathan Walasiak), a vécu de bonne plages de match. Moreira aurait même dû déflorer la marque.

A la place de cela, Bruges s’ébroua et plia le match en six minutes: 1-0 à la 24ème minute de jeu, 2-0 trois minutes plus tard sur penalty, 3-0 à la 30ème minute. Sur le premier et le troisième but, le centre de la défense du Standard explosa en mille morceaux lors de phases classiques des futurs champions. Bruges avait su attendre son heure. C’était forcé mais les grandes équipes savent patienter avant de trouver les failles dans la garde adverse. On a fait les comptes de Flandre: le titre est quasiment dans la poche de Bruges et le Standard n’a plus les moyens de penser à l’Europe. Le point avec le coach de Sclessin.

Drago, meilleur stopper de D1?

Compte tenu des circonstances, c’est-à-dire des absences dans votre camp, y avait-il moyen de mieux faire à Bruges?

Dominique D’Onofrio: Le résultat final ne reflète pas la physionomie de Bruges-Standard. Sur un magnifique service de Jinks Dimvula, Moreira aurait dû ouvrir la marque. Il ne restait plus qu’à pousser la balle dans les filets de Dany Verlinden. Quand on rate une telle occasion, il ne faut pas s’étonner de vivre des choses plus compliquées par la suite. Durant 24 minutes, le Standard a été maître des événements et du ballon. Il aura suffi d’un égarement pour que Bruges s’échappe: première occasion, premier but. Quelques minutes plus tard, c’était 3-0. Mon axe central a été roulé trois fois dans la farine. Là, je suis fâché à propos de ce secteur. Pour Bruges, c’était du 100%. Ole-Martin Aarst a fait 3-1 mais je regrette surtout le penalty qui n’a pas été sifflé pour faute évidente sur Moreira. Après le 4-1, mon groupe a continué à jouer et a réduit la marque. Le problème se complique très vite quand on offre des cadeaux à une équipe aussi complète que celle de Sollied.

Il y a eu une innovation tactique à Bruges: le triangle offensif a été retourné. Alors que Aarst et Goossens étaient soutenus par Moreira jusqu’à présent, le Norvégien était cette fois seul en pointe avec deux « infiltreurs »: le petit Portugais et Harald Meyssen.

C’est exact. J’ai toujours dit qu’il pouvait y avoir des variantes dans une occupation du terrain qui a fait ses preuves. Compte tenu de notre effectif, nous avons beaucoup travaillé sur base d’un 4-3-1-2. Il pouvait y avoir des évolutions à l’attaque et au niveau de la ligne médiane. L’idéal est d’y procéder quand la roue tourne. Dans notre cas, il y a eu obligation de réagir aux blessures, c’est différent. Quand Ivica Dragutinovic s’est retiré du jeu en Coupe de Belgique à La Louvière, j’ai tout de suite dit « ouille. » Je mesurais ce que cela représentait et la suite du programme a, hélas, donné plus d’une fois raison à ma hantise d’un moment. Pour moi, Drago est le patron de notre défense et un des meilleurs, si pas le numéro un, des stoppers de la D1

Stopper: il ne doit pas aimer ce mot-là. Si vous voulez l’arrimer pour de bon au coeur de la défense du Standard, il préfèrera la définition d’arrière central, c’est moins restrictif et plus poétique…

Amusant, c’est une bonne idée mais cela ne changera rien, bien sûr, à son importance sur notre échiquier. A Bruges, son absence a été remarquéeSans lui, l’axe central de notre défense ne fut pas à la hauteur. Un groupe doit être évidemment être capable de se dépasser quand il y a des pépins. Nous en avons eu deux à La Louvière: la blessure de Drago et l’erreur de Fabian Carini. Je m’attendais à une réaction immédiate. Or, il n’y en eut pas et l’équipe a surtout manqué de présence et de personnalité par la suite. Le mental ne fut pas à la hauteur au Tivoli. Après le 3-1 de l’aller, certains ont peut-être cru que c’était dans la poche. Si l’absence de notre capitaine est très importante, il y a aussi celle de Jonathan Walasiak. Lors de notre remontée au classement général, l’équipe varia peu et travailla bien ses automatismes. C’était sa force…

Peut-être sa faiblesse aussi car il suffisait d’une blessure pour que la coque de votre bateau prenne l’eau, n’est-ce pas?

Tout était bien en place avant le voyage à Anderlecht. L’équipe était en phase et pouvait encore franchir un palier dans sa progression. Le match fut remis, en raison des chutes de neige, alors que c’était le moment idéal pour nous d’aller à Bruxelles. Dommage. Le samedi, nous avons disputé un match amical, entre nous, à Sclessin, Jonathan Walasiak a été touché aux testicules… Drago et Wali sont importants pour nous. Ces absences ont perturbé la défense et l’entrejeu. Jonathan apportait son abattage et ses infiltrations à droite. Assez de joueurs offensifs sans Ali?

Avec un ou deux renforts, surtout après le départ d’Ali Lukunku, ces problèmes n’auraient-ils pas pu être évités?

Ali ne voulait pas rester. Il était impossible de le garder dans son état d’esprit mais c’est déjà le passé. Je ne pense pas que son départ ait posé des problèmes de percussion dans notre effectif. Le Standard a un noyau offensif. Ali n’est plus là mais j’ai pas mal de pions dans ce secteur: Ole-Martin Aarst, Michaël Goossens, Cédric Olondo, etc. Je peux avancer Jonathan Walasiak, Moreira, même Gonzague Vandooren en cas de nécessité, etc. Il n’y a pas pénurie et, dans son occupation du terrain, le Standard aligne souvent cinq joueurs offensifs et nos deux backs ont aussi la possibilité de mettre le nez à la fenêtre. Nous avons choisi de faire confiance au noyau, renforcé par l’éclosion des jeunes. C’est prometteur et c’est un bon choix même si nous passons parfois des moments plus délicats. Quand un pilier n’est plus là, cela pose des problèmes de présence. Il nous reste à faire le gros dos en attendant le retour de Drago et de Jonathan dans deux semaines en principe. Avec eux, je suis persuadé que l’analyse aurait été différente. Nous avons joué de malchance au moment le plus délicat finalement. Onder Turaci est un peu dans le creux pour le moment. Mais il n’a pas compté ses efforts et nous tenons, avec lui, un grand arrière qui, s’il continue de la sorte, réalisera une belle carrière, à droite ou dans l’axe

En soulignant plusieurs fois le manque de personnalité du groupe dans les moments délicats, ne dressez-vous pas le même constat que Robert Waseige?

J’ai d’abord affirmé l’importance des absences. Quand une équipe s’envole, comme ce fut le cas lors de notre belle série, il n’y pas de problème. L’équipe ne forme qu’un et tout le monde a alors de la personnalité. Ce résultat, nous l’avions forgé à force de travail, de modestie, d’humilité via un système qui a fait ses preuves.

La Louvière et Bruges vous ont battus en trouvant la parade: un 4-3-3 avec une forte pression sur vos backs de façon à écarter le jeu, à créer des espaces dans la ligne médiane et au coeur de votre défense…

A la Louvière, c’est vrai, Kenmonge a beaucoup pesé sur Onder Turaci. Odemwingie s’est bien débrouillé de l’autre côté mais cette option tactique était attendue. Il y a eu des problèmes de coulissements et, à gauche, Vandooren a parfois été assis entre deux chaises. Après le retrait de Drago, j’ai fait confiance au système en ne changeant pas grand-chose, c’est-à-dire en installant Afolabi au centre de la défense. L’autre option, avec Turaci au centre de la défense tient aussi la route, mais, dans les deux cas, à La Louvière et à Bruges, il y a un problème de rigueur qui a facilité le travail de l’adversaire. Avec Drago, nous avons un gaucher au centre de la défense. C’est important car tous les autres arrières centraux sont droitiers. C’est une complémentarité idéale. Cela saute aux yeux quand, par exemple, Drago et Godwin Okpara évoluent de concert.Tout le monde aimerait avoir Bangoura

Star du Standard et du championnat, Moreira répond-il totalement à l’attente sur le plan tactique?

Notre petit meneur de jeu est une des grandes attractions du championnat. C’est un artiste de haut vol. Mais je lui ai déjà demandé de ne pas se replier sur la gauche comme il le fait parfois. Il y a Johan Walem dans ce secteur et si on y ajoute Moreira, Vandooren n’y a plus d’espaces pour tenter ses raids. Moreira doit rester dans l’axe, près des attaquants, car c’est là qu’il est le plus surprenant, donc le plus dangereux. Il peut le faire en étant le seul soutien immédiat des deux attaquants ou dans une formule avec un pivot et deux relais comme à Bruges.

C’est le Buffel du Standard?

Les deux joueurs peuvent être comparables. Il y a des similitudes dans les deux systèmes, en effet.

En Algérie, il y avait quatre « anciens » Standardman en équipe nationale: les frères Mpenza, Van Buyten, Thijs. Et aucun de la génération actuelle…

Nos jeunes sont tout près ou vont y arriver: Turaci et Walasiak, pour ne citer qu’eux. Van Buyten est l’exemple à suivre, la consécration du boulot bien fait. Faisant partie du staff technique, je l’ai vu progresser. Mais en Belgique, on doute sans cesse de tout. Certains ont donc douté de Van Buyten. Je ne lui ai dit qu’une chose: – N’écoute pas les autres et tu deviendras un des meilleurs arrières du monde. Daniel Van Buyten n’est qu’au début de sa grande aventure. C’est remarquable car c’est basé sur la simplicité et le travail. C’est un exemple fabuleux pour tous les jeunes joueurs.

Michaël Goossens n’a pas joué à Bruges en raison de sa blessure au genou: son agressivité n’aurait-elle pas été utile?

Oui, c’est sûr. Michaël Goossens travaille beaucoup pour le groupe, et c’est appréciable, mais il faudrait qu’il soit plus concret à la réalisation. Mika doit marquer plus de buts.

Bangoura s’occupera de ce problème la saison prochaine, non?

Ah bon…

Le frappeur de Lokeren a signé un contrat pour la saison prochaine même si les deux parties ne me confirment pas…

Je ne sais pas. Tout le monde aimerait avoir Bangoura. Je ne m’occupe pas de cela car j’ai assez de travail au quotidien avec ce groupe. Le Standard, c’est spécial. En Belgique, il n’y a pas plus difficile à coacher que le Standard et Anderlecht. Quand je vois les problèmes que Hugo Broos doit gérer à Bruxelles, c’est assez gratiné aussi.

Un petit mot sur cette Europe que vous pouviez atteindre via la Coupe de Belgique ou un des trois premières places en championnat: le Standard peut lui dire adieu…

On verra dans un mois pour le bilan chiffré. En attendant, je retiens la qualité de notre jeu à Bruges. Avant que le Club n’ouvre la marque, il n’y avait qu’une équipe sur le terrain. Nous avons monopolisé la circulation de la balle. Il faut retenir cette évidence, même si le résultat nous fut défavorable, afin de continuer à construire cette équipe. Le travail paye toujours: c’est un de mes messages.

Pierre Bilic

« Moreira et Buffel, c’est un peu kif kif »

« Nos jeunes deviendront internationaux »

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