Bolatmania

Sport/Foot Magazine a vécu avec le gardien du Standard sa première expérience en équipe turque.

T ürkiye Futbol Federasyonu : c’est ça, le nouveau théâtre de Sinan Bolat (20 ans), le héros belgo-turc de la fantastique fin de saison liégeoise. Il a choisi les dürüms plutôt que les frites, Istanbul plutôt que Bruxelles, Fatih Terim plutôt que Dick Advocaat, la concurrence avec Volkan Demirel plutôt que la bagarre avec Stijn Stijnen. Depuis la semaine dernière, il est international turc : il n’a joué aucun des deux matches amicaux contre l’Azerbaïdjan et la France mais le plus dur est fait pour lui, il est entré dans le noyau. Les Turcs ont affronté les Bleus à Lyon, vendredi passé. Nous avons suivi leur préparation et leur match, puis fait le débriefing avec Bolat.

Jeudi après-midi : ambiance surchauffée (on frôle la barre des 30 degrés), la presse turque est présente en masse, les supporters ont déjà sorti leur attirail (mode croissant et étoile) et égayent la ville. Fatih Terim, s’installe face aux micros dans une tente dressée devant le stade de Gerland. Le coach des demi-finalistes de l’EURO 2008 a un look particulier : une grosse attelle entoure sa main droite. Fruit d’un accident récent. En amarrant un yacht à Bodrum, il s’est coincé le doigt dans la corde. Une phalange est tombée à l’eau, des plongeurs l’ont récupérée, Terim et son bout de doigt ont été transférés dare-dare à Istanbul. Les toubibs ont recollé les morceaux et la greffe semble bien prendre. La Faculté lui avait interdit de prendre l’avion pour la France : il n’en a fait qu’à sa tête.

Terim n’échappe pas à une question sur le nouveau phénomène du foot turc, sur le petit gars de la Pro League qu’on ne connaissait pas du tout au pays, sur ce gardien tombé de l’arbre :  » Comment avez-vous découvert ce Sinan Bolat ? ». Réponse de Terim :  » Mon entraîneur des gardiens m’en avait parlé il y a longtemps déjà. Il m’avait dit qu’il y avait en Belgique un jeune qui ne jouait pas beaucoup dans son club mais qui avait un potentiel énorme. Je l’ai suivi. Pour moi, il n’est plus du tout inconnu, il n’est plus au stade de la découverte. Aujourd’hui, nous savons ce qu’il a dans le ventre : en Turquie, tout le monde a vu les images du Standard de Liège, qui est devenu champion de Belgique au terme d’un suspense rare. Bolat a été énorme contre Anderlecht et il avait arrêté un penalty décisif avant cela, alors que la pression était terrible. J’ai profité de nos deux matches amicaux pour lui faire découvrir l’ambiance de la sélection. Sans pression de résultats, c’était une bonne occasion. Une place en équipe nationale n’est pas une question d’âge mais de talent et de niveau du moment. « 

 » Bolat n’a pas choisi d’être coincé entre deux cultures « 

Le tout premier contact direct entre Terim et Bolat remonte très loin, à mai 2006, lors d’un match amical Belgique-Turquie joué à Genk. Après la rencontre, Terim était allé à la rencontre de Bolat et lui avait signalé qu’il avait déjà entendu parler de lui. Le gamin de Genk a dû choisir : la Turquie (pays où il est né et où il a vécu jusqu’à l’âge de quatre ans) ou la Belgique ? Il a été régulièrement sélectionné avec nos équipes de jeunes, des -15 jusqu’aux -19. Puis il a changé de cap et a joué avec les Espoirs turcs.

L’Union belge a essayé de le retenir : trop tard.  » Elle a fait traîner les choses quand Bolat a été appelé en Espoirs turcs « , explique Kismet Eris, l’agent de Bolat qui a assisté la semaine dernière aux deux matches pour lesquels son poulain a été sélectionné.  » J’ai envoyé des fax à l’Union belge, à la Fédération turque et à la FIFA pour signaler que Bolat avait définitivement choisi de jouer pour la Turquie. L’Union belge ne répondait pas, affirmait n’avoir rien reçu, etc. C’était un petit jeu pas bien méchant mais embêtant pour nous. Mais elle a compris pour de bon, il y a deux bonnes semaines, que Bolat ne serait jamais Diable Rouge : la FIFA a officiellement ouvert la voie à Sinan pour qu’il puisse jouer avec les Turcs.  »

Avec des gants sur lesquels Bolat a demandé à son équipementier de floquer, outre son nom, les drapeaux des deux pays !  » Il n’a pas choisi d’être coincé entre deux cultures « , dit son agent.  » Mais à partir du moment où les deux pays le voulaient, il a choisi la crème de la crème. « 

Tout s’est précipité le vendredi 29 mai. Bolat était en vacances à Bodrum avec sa copine flamande. Il pensait pouvoir souffler jusqu’au 22 juin, date de la reprise des entraînements au Standard. Eris a reçu un coup de fil du gardien des Espoirs turcs qui lui demandait si Bolat était opérationnel. Ensuite, c’est le médecin de la Fédération qui a appelé le joueur pour savoir s’il n’avait pas l’un ou l’autre bobo. Et le troisième coup de téléphone fut le bon : un employé de la Fédération l’informait officiellement qu’il était repris pour les matches contre l’Azerbaïdjan et la France. Le samedi soir, Bolat ramenait sa copine en Belgique : une façon de se faire pardonner pour ces congés tronqués. Le lendemain matin, il rejoignait Kayseri. C’est là que le noyau avait rendez-vous. Justement dans la ville natale de Bolat : clin d’£il du destin. Une bonne partie de sa famille vit toujours dans cette partie d’Anatolie : ses oncles et tantes travaillent la terre, élèvent du bétail ou fabriquent des tapis, certains ont même le bonheur de bosser dans les rares industries plus ou moins développées de la région. Et le gardien du Standard y passe encore régulièrement une partie de ses vacances.

Talent, jeunesse, culture du succès :un staff conquis

Les journalistes turcs ont encore tout à apprendre du nouveau phénomène. Ils l’ont directement assailli de questions.  » Tous les Turcs qui suivent le foot savent qu’il a arrêté un penalty décisif de Bryan Ruiz et qu’il a été très bon contre Anderlecht parce que nous avons vu ces images « , dit Türker Tozar, l’attaché de presse de la Türkiye Futbol Federasyonu.  » Mais pour le reste, nous ne savions rien de lui : quels clubs l’ont formé, qu’a-t-il déjà réussi en championnat de Belgique avant d’être champion, comment s’est-il retrouvé au Standard de Liège en pleine saison, pourquoi est-il subitement devenu titulaire en pleine lutte pour le titre ? Bolat tombe au bon moment : il faut rajeunir les cadres au niveau de nos gardiens. Reçber Rüstü a 36 ans, il a joué près de 120 matches en équipe nationale et il ne souhaite plus être appelé. Il nous reste évidemment Volkan Demirel, un dieu à Fenerbahçe et dans tout le pays, mais derrière lui, il y a des places à prendre. Ufuk Ceylan, l’autre gardien qui entre en ligne de compte pour le moment, a encore beaucoup de choses à prouver. Il va seulement découvrir notre première division avec Manisaspor. Bolat a plusieurs atouts aux yeux du staff technique de la Fédération : il est jeune et bourré de talent, il vient de commencer à assimiler une culture du succès en devenant champion de Belgique et il a prouvé avec le Standard qu’il pouvait être au top de sa forme dans des conditions de stress extrêmes. Il va aussi jouer en Ligue des Champions la saison prochaine : c’est encore une arme en plus dans l’esprit de Terim. Je ne le vois pas prendre la place de Volkan Demirel dans l’immédiat mais il a tout le temps pour lui. J’ai été un des premiers à l’interviewer en Turquie, il m’a accordé un long entretien qui sera publié dans le magazine de la Fédération. J’ai été frappé par sa sagesse, sa simplicité et son côté zen. Il ne donne pas du tout l’impression de s’emballer sous prétexte qu’il vient de vivre plusieurs moments forts en peu de temps. Mais il ne se sous-estime pas non plus : il dit lui-même qu’il est très fort dans le jeu au pied et qu’il anticipe très bien. Sans en rajouter. Ceux qui l’ont suivi cette semaine à l’entraînement ont aussi été frappés par la sûreté qu’il dégage quand il capte les balles hautes.  »

Levent Ozcelik est journaliste pour la chaîne de TV turque TRT :  » Je suis un des journalistes turcs qui connaît le mieux Bolat vu que je commente régulièrement des résumés de matches belges. Je l’avais déjà vu à l’£uvre en Espoirs, mais ce qu’il a fait avec le Standard, c’était encore autre chose. C’est super qu’il ait choisi la Turquie plutôt que la Belgique : chez nous, on le considère maintenant comme un gars hyper correct…  »

par pierre danvoye

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