Beckham veut 10 millions/semaine!

Il y a quarante ans, le salaire maximal de 20 livres par semaine pour un joueur professionnel anglais fut aboli.

Vingt livres sterling représentaient à l’époque quatre fois le salaire moyen d’un ouvrier non qualifié. La fédération anglaise avait accepté dans un premier temps un plafond de 30 livres par semaine avant de libéraliser totalement les salaires. Pour ce faire, il fallut que les représentants des joueurs se retrouvent dans une salle des bas quartiers de Manchester pour voter une résolution de grève qui serait immédiatement d’application si on ne leur donnait pas satisfaction. Stanley Matthews en personne avait fait le voyage de Blackpool pour mener la rebellion de l’establishment britannique du ballon rond. Le meilleur dribleur britannique de l’histoire fut écouté et entendu.

Aujourd’hui, personne ne s’est offusqué en prenant connaissance des revendications de David Beckham pour le nouveau contrat qui devrait le lier pour quelques années supplémentaires à Manchester United. Il demande 160.000 livres par semaine (pour arrondir, un peu plus de 10 millions de francs), ce qui, avec un demi-milliard par an, en ferait le joueur de foot le mieux payé de la planète, dépassant nettement l’actuel leader du porte-feuille Alen Boksic sur le compte duquel Middelsbrough verse chaque semaine près de 5 millions.

« Beckham sera le premier joueur dont les gains dérivés de l’exploitation de son image seront supérieurs à ceux générés par ses performances sportives. De nos jours l’image d’un sportif est très importante car les droits de merchandising sont en perpétuelle expansion. Le Spice Boy est une véritable icône: excellent joueur, très attaché à son club et à sa famille, un mariage très people dont les gens sont très friands. A ceux qu’un tel salaire pourraient choquer, je signale que la carrière d’un footballeur est en moyenne de dix ans et que David n’entrera jamais dans le club des 300 plus grosses fortunes d’Angleterre », explique Nick Couchman, un juriste londonien spécialisé dans le marketing sportif.

A Manchester Utd (sept titres en neuf saisons), le club le plus riche de la planète, les joueurs de l’équipe Première étaient tous payés pratiquement de la même façon jusqu’à la saison dernière. « Cela ne peut plus continuer ainsi », dit l’administrateur David Gill. « Si nous devions continuer de la sorte, nous ne pourrions garder nos meilleurs joueurs. Certains doivent donc gagner davantage que d’autres ».

L’écart croît entre les clubs

La spirale inflationniste qui emporte les salaires des joueurs ne fait qu’accroître le fossé qui sépare les grands des petits clubs. En Allemagne, les salaires représentent 43% du budget du club. Suivent l’Espagne (46%), l’Angleterre (52), l’Italie (63) et la France (68). Chez nous, ce pourcentage est proche sinon supérieur à celui de nos voisins hollandais: 77%. C’est dire qu’en nos basses contrées, la rubrique salaires a atteint le sommet de ses limites. D’autant que le budget moyens des clubs belges de D1 est estimé à 240 millions par saison alors qu’en Angleterre la moyenne se situe autour de 1,6 milliard, suivi de l’Italie (1,3), Allemagne (1,2), Espagne (1,1), France (620 millions), Hollande (365).

D’après Deloitte & Touche, si la part des salaires continue à augmenter d’une manière exponentielle, elle sera très proche des 100% du budget dès 2007, si celui-ci devait rester constant.

« Les agents de joueurs sont coupables », dit Sir Alex Ferguson, le manager de Manchester United. « Il est important pour eux que les joueurs reçoivent des salaires énormes pour qu’ils puissent dire devant d’autres clients: voyez ce que j’ai obtenu avec X ou Y ».

Contrairement à ce qu’avait avancé dans un premier temps Gerhard Aigner, le secrétaire de l’UEFA, Joseph Blatter, le président de la FIFA, est opposé à un plafonnement des salaires. « La loi de l’offre et de la demande doit continuer à jouer son rôle dans ce domaine. Actuellement, il y a surchauffe mais les salaires seront bientôt revus à la baisse par des mécanismes simplement économiques suivant un effet de balancier ».

Fin avril, l’UEFA a remis le couvert. « Le sujet est à nouveau à l’ordre du jour », dit Mike Lee, porte-parole de la fédération européenne. « La task force créée pour déterminer les conditions de licences à octroyer aux clubs y semble favorable sous certaines conditions car on semble avoir atteint un point de non-retour dans ce domaine ».

Le vice-président du Bayern et porte-parole du G14, Karl-Heniz Rummenige y est particulièrement favorable : « Nous devons trouver une solution qui soit acceptable par toutes les législations nationales. Un plafonnement pur et simple des salaires semble exclu. Nous pensons à une formule de non-dépassement pour la masse salariale d’un club d’un pourcentage déterminé de son budget ».

Une solution, qui, une fois de plus, aggraverait le fossé qui sépare les petites des grands clubs puisque la part des salaires dans les grands clubs belges est presque le double de celle des clubs anglais. La limiter la fragiliserait encore davantage par rapport aux grandes nations. Et ce d’autant qu’à salaire égal, les joueurs ne touchent pas les mêmes sommes. Si les clubs italiens ou espagnols surtout ne payaient pas eux-mêmes la part d’impôts et de sécurité sociale due aux joueurs, les retenues seraient de 39% en Grande-Bretagne, 45% en Italie, 46% en Espagne, 50% en Allemagne, 57% en France et un peu plus en Belgique. Ceci explique le grand attrait de l’Angleterre pour les étrangers qui représentent maintenant un quart des joueurs évoluant en Premier League.

Dans le monde du foot, les Iles sont devenues un petit paradis fiscal. La France et la Belgique auraient en revanche des petits relents d’enfer. C’est d’ailleurs en nos contrées que l’on trouve le plus de joueurs sans emploi (+ 20% en Belgique comme en Hollande cette saison).

Impossible de rattraper Anderlecht

Le salary cap (plafonnement) a fait en partie ses preuves dans les sports d’équipes américains: dans le foot US (NFL), basket (NBA) ou baseball (MLB). Mais le système n’est pratiquement pas applicable dans les championnats de foot traditionnels. Aux States, les compétitions sont fermées: il n’y a pas de descendant et pour y entrer il faut faire preuve d’une très bonne santé financière. Là-bas, le sport tient autant de la compétition que du spectacle. Paradoxalement, la richesse financière d’un club américain de NBA ou MLB a nettement moins d’influence sur ses performances sportives que pour nos clubs de foot : Manchester Utd ou le Bayern Munich sont là pour en attester.

Aux USA, les recettes télé sont équitablement réparties entre tous les cercles participants à la compétition et celles des entrées sont partagées entre club visité et club visiteur. De plus, le système des drafts permet aux clubs les moins bien classés de faire en premier leur marché pour acquérir de nouveaux joueurs dans l’entre-saison et donc de prendre en priorité les meilleurs (cela a permis à notre compatriote Ann Wauters d’être engagée l’année dernière dans le championnat américain de basket), ce qui nivelle la valeur sportive des clubs en début de saison et rend la compétition plus attractive.

En football, les compétitions sont ouvertes. Il y a chaque saison un nombre déterminé de descendants et de montants. Les revenus des clubs et leurs budgets sont très inégaux et la différence tend à s’accentuer, le succès amenant de nouvelles rentrées financières et celles-ci permettant de faire des progrès au niveau sportif.

Le Club Brugeois a-t-il encore une chance de pouvoir rivaliser avec Anderlecht dans les années à venir? Pas sûr. La Ligue des Champions a donné au Sporting des moyens financiers qui devraient lui permettre de s’améliorer au niveau sportif et se qualifier à nouveau pour la lucrative aventure européenne.

D’après Winners and losers (éd. Viking 1999), la corrélation entre les bons résultats sportifs et le niveau des salaires est évaluée à 92%. Dans les années 80, onze clubs ne faisant pas partie des cinq grandes nations du foot ont remporté une coupe d’Europe. Entre 1995 et 2000, seul le club turc de Galatasaray a enlevé la Coupe de l’UEFA. Les autres étaient anglais, allemands, espagnols ou italiens. C’est ce à quoi on va dans le championnat belge. Le Racing Genk n’a pu se maintenir bien longtemps au sommet. L’annonce du doublement du budget de La Gantoise pour 2001-2002 (un peu plus de 500 millions) pourrait amener les Buffalos dans la cour des grands si la tendance se maintient et si le club est bien géré.

En Belgique, la relation budget-résultats sportifs est prouvée à long terme par les statistiques. Les petits clubs qui viennent se mêler aux grands peuvent le faire pendant une ou deux saisons puis rentrent dans le rang ou en sortent carrément. Chez nous, les salaires des vedettes ont été multipliés par trois (300%) depuis l’arrêt Bosman, alors que la moyenne du budget des clubs n’augmentait en terme réels que de 8% l’an en D1. Ces chiffres sont confirmés par une enquête du Nieuwsblad auprès des joueurs qui ont bien voulu répondre aux questions (trois Anderlechtois anonymes, quatre Brugeois à visage découvert, etc.) et par Dirk Degraen, du bureau de management sportif malinois SEM, qui indique qu’en Belgique les plus gros salaires avoisinent les 20 millions par saison.

Salaires triplés en cinq ans

Ce triplement des salaires en cinq ans dans la plupart des pays d’Europe est à mettre en parallèle avec l’augmentation des montants payés pour des transferts, qui ne valent plus aujourd’hui que pour l’acquisition de joueurs encore sous contrat. Avant l’arrêt Bosman, le total des montants payés pour les cinq plus grosses transactions entre clubs était de 2,741 milliards (le plus cher était le passage de Pirluigi Lentini de Torino au Milan AC en 92 pour 810 millions, suivi de Vialli de la Samp à la Juve la même année pour 748 millions). Après l’arrêt de la Cour de Luxembourg en 1995, le total des cinq plus gros transferts a atteint 9,329 milliards avec en tête du hit parade Luis Figo (2,525 milliards pour son passage de Barcelone au Real), suivi de Crespo (2, 275 milliards pour passer de Parme à la Lazio). Comme pour les salaires, une augmentation de l’ordre de 300%. Ce n’est certes pas un hasard si ces chiffres concordent.

Pour les économistes, cette inflation, tant dans les salaires que dans les sommes de transfert, se situe dans la logique des choses.

« Dans le monde du football, contrairement aux autres domaines économiques, les sentiments prennent plus souvent qu’à leur tour le pas sur la raison. Les dirigeants sont prêts à faire une folie pour acquérir et entretenir la vedette qui fera les beaux jours du club », explique un analyste zurichois. « En football, et sans doute est-ce fort bien ainsi si l’on n’exagère pas, la performance et les résultats sportifs prennent le pas sur les bénéfices financiers. Un peu comme un amoureux qui dépenserait son salaire mensuel pour séduire sa belle, quitte à manger des boîtes de sardines jusqu’à la fin du mois. Et cette tendance, que même des hommes d’affaires sérieux encouragent lorsqu’ils mettent leur casquette de dirigeant de club, on la retrouve du plus bas au plus haut niveau ».

Que les gros salaires lèvent le doigt. Chez nous, ils sont une minorité. Le nombre de footeux au chômage va croissant et sont généralement abandonnés à leur triste sort. Tom Frivaldsky a joué les bons samaritains pour entretenir leur condition. En France, l’UNPF, le syndicat des joueurs organise des stages pour les sans-emploi du ballon rond et tente de les ramener sur le marché du travail. Au Brésil, il y a 12.000 footballeurs professionnels recensés. 44% d’entre eux gagnent le salaire brésilien minimum : 3.000 francs par mois et 3,35% seulement, vingt fois plus (60.000). C’est dire si l’attrait de venir jouer en Europe est grand. Et certains en profitent, leur faisant miroiter monts et merveilles, prêts à leur fournir de faux passeports pour pouvoir toucher une grosse commission s’ils parviennent à les caser dans un club européen…

Guy Lassoie

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