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« Si je le disais, les gens ne me croiraient jamais » : Zoé, 54 ans, accompagnante sexuelle (témoignage)

Elise Legrand
Elise Legrand Journaliste

Depuis deux ans, Zoé est accompagnante sexuelle. De par ses services, les personnes en situation de handicap (re)découvrent les plaisirs de la vie intime et affective. « La base, c’est le don de soi », insiste la quinquagénaire. Rencontre.

Une après-midi pluvieuse du mois d’août. Les passants zigzaguent entre les gouttes qui font transpirer l’asphalte des ruelles ixelloises, quand Zoé débarque en trombe. « Désolée, mon bénéficiaire à Alost avait du retard », souffle-t-elle, en reclaquant violemment la portière de sa voiture.

« Ce n’est pas vraiment chez moi », indique-t-elle après être entrée dans l’immeuble. « Je fais du cat-sitting pour une amie », précise-t-elle, comme pour s’excuser du désordre qui règne dans le salon. Pour se faire pardonner de l’attente, elle pose un verre d’eau sur la table de la cuisine. Un grand chat tigré fait irruption, vite chassé des genoux où il s’était installé. Une première question, mal à l’aise: « Comment ça a commencé ? Qu’est-ce qui vous a donné envie de vous lancer ? » Comme si prononcer « accompagnante sexuelle » était encore trop tabou à ce stade de la conversation.

Zoé, elle, se montre bien plus sereine. « Un de mes amis est en situation de handicap. Il a fait appel à une accompagnante. Il m’a raconté comment ça s’était passé et… combien il avait payé », se remémore-t-elle, les yeux écarquillés. « Je me suis dit : tiens, c’est peut-être une activité qui me plairait. Financièrement, c’est intéressant. Et puis, surtout, je n’ai pas de soucis avec la sexualité : je fais bien la part des choses entre les organes d’un corps et l’affectif. J’ai déjà donné du sang, des cheveux, donc mon intimité, pourquoi pas ? »

Une nouvelle histoire, un nouveau handicap

Zoé (c’est son pseudo professionnel) raconte les démarches entreprises avec Aditi, l’ASBL qui chapeaute les services d’accompagnement sexuel. Candidature, questionnaires, entretien, formation : elle revient sur toutes les étapes qu’elle a dû franchir avant de pouvoir officiellement débuter ses prestations. « Et avec votre premier client, c’était comment ? ». Elle corrige sur le champ. « Ce ne sont pas des clients, ni même des patients. On parle de bénéficiaires. C’est très important. »

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« Evidemment, pour ma première rencontre, j’étais stressée, continue-t-elle. C’est presque comme un premier rendez-vous amoureux ou comme un premier jour de travail. J’étais tellement anxieuse que j’ai griffé ma voiture en me garant devant chez lui … Ça commençait fort ! Je ne lui ai pas dit que c’était ma première fois, car je ne voulais pas qu’il pense que j’étais débutante. Finalement, ça s’est très bien passé. Aditi a fait attention à me donner un bénéficiaire avec un trouble très léger. Ensemble, on a parlé littérature. Et puis, au lit, ça s’est plutôt bien passé. Je me suis adaptée. A la fin, il a dit qu’il voulait me revoir. J’étais contente, car je sentais que je lui avais fait du bien. »

Est-ce que je vais répondre à sa demande, le satisfaire ? Ou, simplement, est-ce qu’il aura envie d’avoir une relation sexuelle avec moi ?

Zoé

Elle marque une pause, poursuit. « Pour tous les premiers rendez-vous, en fait, c’est le même état de stress. C’est à chaque fois une nouvelle personne, une nouvelle histoire, un nouveau handicap à appréhender. » Pourquoi cette angoisse ? « C’est surtout une peur par rapport à moi-même, en fait. De ne pas être à la hauteur. De décevoir. Est-ce que je vais répondre à sa demande, le satisfaire ? Ou, simplement, est-ce qu’il aura envie d’avoir une relation sexuelle avec moi ? » Un brin émue, elle a besoin d’une pause. Elle avale une gorgée d’eau, toussote. Se ressaisit. « Qu’est-ce que tu veux savoir d’autre ? »

Depuis le début de l’année, elle indique avoir eu une trentaine de rendez-vous, parfois en soirée ou le week-end. Calcul rapide. « Environ un par semaine, c’est ça ? » Zoé acquiesce. « En ce moment, comme c’est les vacances, je fais des back-up. Donc c’est plutôt deux par semaine. Ca m’est déjà arrivé d’avoir quelqu’un tous les jours, voire même trois bénéficiaires à la suite dans une institution, mais c’était exceptionnel. Ce n’est pas l’idéal pour la qualité de la prestation, ni pour l’impact émotionnel. »

« Une double vie »

Comment, mentalement, faire la part des choses ? Elle sourit. « Au début, j’avoue que je mettais du temps à décompresser après une prestation. Maintenant, je suis habituée. Je peux très bien avoir un rendez-vous puis aller voir ma mère quinze minutes plus tard. Comme si de rien n’était ! »

Souvent, ça ne pose pas problème. Mais il est déjà arrivé que ça remonte à la surface au cours d’une dispute. J’ai déjà eu droit à des piques très violentes, comme ‘Toi, t’es juste bonne à baiser des handicapés.’

Son visage se referme quand elle avoue que, dans son entourage, presque personne n’est au courant de son activité. « C’est un peu compliqué, cette double vie. Je suis sûre que si je le disais, les gens ne me croiraient jamais, car ça ne se lit pas sur ma figure. »

Ses amants font par contre partie des rares personnes à qui elle révèle cette activité complémentaire. « Je me dois de leur dire. Ils doivent savoir qu’ils ne sont pas seuls dans ma vie de femme. C’est à prendre ou à laisser. Souvent, ça ne pose pas problème. Mais il est déjà arrivé que ça remonte à la surface au cours d’une dispute. J’ai déjà eu droit à des piques très violentes, comme ‘Toi, t’es juste bonne à baiser des handicapés.’ Ces personnes-là, je les ai rayées de ma vie. Si elles ne comprennent pas ce que je fais, je coupe les ponts. »

Entre ses meilleurs et ses pires souvenirs, difficile de ne pas imaginer qu’elle ait pu vivre certaines expériences traumatisantes. « Ca m’est déjà arrivé de me dire : ‘Je vais arrêter, parce que c’est quand même bizarre, ce que je fais. Ce n’est pas très éthique. On touche à trois sujets super tabous, qui sont la sexualité, l’argent et le handicap. C’est quand même chaud boulette.’ »

« Mais le retour des bénéficiaires est très valorisant, reprend-elle. Un jour, j’ai eu rendez-vous avec un homme. Il n’avait pas eu de relations depuis quatre ans à cause d’un AVC, alors que par le passé, il était libertin et très actif sexuellement. Au début, il était déprimé, il se laissait aller. Au fil des rencontres, je l’ai vu se transformer. Il se faisait tout beau quand je venais le voir, il reprenait confiance en lui. ‘Tu as remis du soleil dans ma vie, m’a-t-il avoué. Tu m’as fait redevenir homme, parce que je n’étais plus entier. J’étais devenu un malade.’ Quand j’entends ces réactions-là, je ne peux être que convaincue par le bien fondé de mon activité », murmure-t-elle, la voix à nouveau légèrement nouée par l’émotion. Elle tousse. Puis conclut. « Donner mon intimité, c’est quand même la plus belle des choses que je puisse faire. Ça ne coûte rien, une heure de caresse. Et rendre une personne heureuse, ça n’a pas de prix. Je suis quelqu’un de très généreux de nature, donc je trouve du sens dans ce que je fais. Cela me nourrit beaucoup. »

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