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80 consultations avant un diagnostic de la maladie de Lyme: «Mon histoire est celle de milliers d’autres»

Olivia Lepropre
Olivia Lepropre Journaliste au Vif

A 16 ans, Loïc ressent des douleurs dans le bas du dos. Huit ans plus tard, le diagnostic tombe: c’est la maladie de Lyme. Une errance médicale à l’origine de beaucoup de souffrances. Pourtant, la recherche avance.

Avec les beaux jours, gare aux tiques! Elles peuvent transmettre la maladie de Lyme, ou borréliose, par une morsure infectée par la bactérie Borrelia burgdorferi. En 2023, 5.896 morsures ont été rapportées en Belgique. Un nombre plus élevé qu’en 2022, mais nettement inférieur aux années précédentes. On en recense dans toutes les provinces, selon un rapport de l’Institut de santé publique Sciensano basé sur des signalements individuels.

Erythème migrant

«La très grande majorité des infections ne conduisent pas à une maladie, rassure Benoît Kabamba, chef de laboratoire dans le service de microbiologie des cliniques universitaires Saint-Luc. Beaucoup de patients exposés ne développeront jamais de symptômes, même si des anticorps peuvent être produits.»

Les manifestations cliniques varient selon les régions, mais en Europe, l’érythème migrant (EM), qui apparait en trois à 30 jours, prédomine. Il s’agit d’un anneau rouge sur la peau qui s’étend à partir de la morsure. «Il faut le distinguer de la réaction à la morsure, qui disparaît en quelques jours», ajoute-t-il. Si les lésions sont souvent asymptomatiques, on peut observer des douleurs locales, sensations de brûlure ou de prurit, et des symptômes généraux (douleurs musculaires, fièvre modérée, fatigue…). «Si les symptômes du stade primaire ne sont pas traités, cela peut conduire à des symptômes des stades ultérieurs.»

Errance

Le diagnostic de Lyme peut être un vrai parcours du combattant. Comme l’a vécu de Loïc Blaise, qui a attendu huit ans avant d’avoir son verdict. «Cela a débuté à 16 ans par des douleurs dans le bas du dos. Au fil des années, c’est monté dans tout le corps.» Il est alors dirigé vers un rhumatologue, qui soupçonne une scoliose. «J’ai fait beaucoup de kiné, mais cela ne fonctionnait pas.» Vient alors la piste du stress. «L’errance commence. Je vois un neurologue, un posturologue, un podologue… 80 praticiens en tout, estime-t-il. Jusqu’à un spécialiste de la mâchoire, qui distingue quelque chose de bizarre, commun aux patients qui ont la maladie de Lyme.»

Il narre son vécu dans un livre, «Diagnos’tique. Lyme, 8 ans d’errance», (Editions Coquelicot en Hiver). «C’est très fatigant. J’ai souvent eu envie d’abandonner.» Il s’est senti délaissé: «Je me suis retrouvé seul, à devoir faire la démarche d’aller voir tel ou tel médecin. Je ne peux pas conduire, alors mes parents devaient le faire.»

Fiabilité des tests

Le diagnostic est vérifié au moyen de tests. En Belgique, il s’agit d’une recherche d’anticorps dans le sang avec un test Elisa, suivi – en cas de positivité – d’un test Immunoblot (ou Western Blot) pour confirmation. Mais une personne peut développer des anticorps sans devenir malade. «La détection ne suffit pas à conclure à une borréliose de Lyme, il faut des symptômes compatibles et la notion d’exposition», précise Benoît Kabamba. Le diagnostic peut être difficile pour plusieurs raisons. Certaines personnes ne se souviennent pas d’une morsure de tique. Les symptômes peuvent varier d’une personne à l’autre. Enfin, les anticorps peuvent être produits des mois, voire des années après une infection.

Pour Loïc, les tests ne seraient pas suffisamment fiables: «Je les ai faits plusieurs fois, et ils étaient négatifs.» Selon des études, 40% des cas ne seraient pas détectés. «Comme tout test de laboratoire, aucun ne détecte à 100% une maladie, réagit Benoît Kabamba. Mais chez une personne infectée, non immunodéprimée et non traitée de façon précoce, les anticorps doivent être détectés. A fortiori si on suspecte un stade plus avancé.» Le nombre de tests a fortement augmenté en 2013-2014, suite à une attention accrue des médias, pour atteindre un pic en 2016. «Une proportion importante des tests demandés ne correspond pas aux recommandations», précise-t-il.  Le taux de positivité, resté stable, oscille autour de 2%.

Souffrance invisible

En général, la maladie de Lyme se traite avec des antibiotiques. Mais dans le cas de Loïc, malgré le diagnostic, le quotidien reste compliqué. «Vu la longueur du diagnostic, j’ai des séquelles. Je suis bloqué chez mes parents, j’ai toujours beaucoup de douleurs. Il n’y a pas grand-chose qui me soulage. On me conseille d’apprendre à vivre avec, des fractionner les efforts, mais je sais que ma vie ne sera plus normale

Selon lui, il y a une méconnaissance de la maladie, même chez les médecins. «Il n’y a pas beaucoup de spécialistes en Belgique. Le Lyme chronique n’est d’ailleurs pas reconnu.» L’existence de la chronicité de la maladie divise. Un sujet «assez sensible», nous dit-on. «Le terme « maladie de Lyme chronique » ne devrait plus être utilisé car il ne répond à aucune définition clinique claire, n’est pas associée à un diagnostic d’infection active et les symptômes signalés sont communs à une multitude de pathologies», écrivait un groupe de travail belge dans un rapport en 2016. Aux Etats-Unis, si les CDC (Centers for Disease Control and Prevention) estiment que 5 à 10% des patients peuvent présenter des symptômes prolongés, ils déconseillent aussi cette appellation car «cela implique qu’ils sont dus à une infection permanente, alors que la cause n’est pas connue à l’heure actuelle.»

Loïc n’est pas le seul à vivre un enfer: «Mon histoire est celle de milliers d’autres.» S’il veut faire passer un message, c’est surtout celui de l’empathie. «Ma mère m’a cru depuis le début, mais mon père pensait que c’était dans ma tête. Ma sœur a également eu des mots très durs, un jour où je me plaignais un peu trop. Sans compter les amis qui n’en portent que le nom. Je me suis senti très incompris. Quand la souffrance ne se voit pas, il y a souvent beaucoup de jugement.»

Entretemps, la recherche continue d’avancer. «Il y a plusieurs équipes nationales et internationales qui y travaillent, confirme Benoît Kabamba. Nous-mêmes sommes engagés dans ces recherches.»

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