Maladie mentale, troubles psychiques: c'est aussi une épreuve pour les proches
Les troubles psychiques représentent aussi une épreuve pour l’entourage. © Getty Images/Westend61

Burnout, dépression… Comment les proches sont affectés, entre culpabilité et stigmatisation: «Il me reproche d’être pénible à vivre»

Benjamin Hermann
Benjamin Hermann Journaliste au Vif

Partager le quotidien d’une personne souffrant de troubles psychiques est éprouvant. Pourtant, les proches ne sont que peu pris en considération lorsque survient la maladie mentale, dans une société où le sujet demeure sensible.

«Et toi, comment vis-tu cette situation?» La question semble anodine, mais n’est que rarement posée aux proches, à ceux qui partagent le quotidien de personnes souffrant d’un trouble psychique. L’attention est souvent portée, c’est compréhensible, sur les premiers concernés, qu’ils souffrent d’un burnout, d’une dépression, de troubles anxieux, voire de troubles psychiques chroniques et très invalidants, comme la schizophrénie ou la bipolarité. Lorsqu’on s’adresse à leur entourage, il est davantage question d’accompagnement, de comportements à adopter ou à éviter à l’égard du patient, de choses à dire ou à proscrire. Rarement, le vécu de l’entourage se trouve au cœur des préoccupations.

«Et pourtant, si une branche de l’arbre est malade, il faut peut-être se soucier de l’arbre entier», illustre Mathieu (1), dont le conjoint traverse actuellement une période de burnout. Il peut en témoigner: si la personne directement concernée souffre, l’expérience est éprouvante également pour les proches.

«On a tendance à voir les choses sous un angle individuel. Or, un individu n’est pas seul sur une île déserte. Il se évolue dans tout un système familial, professionnel, social, amical, etc.», observe Quentin Vassart, psychologue clinicien. «Les conséquences sur les proches sont multiples, ajoute Martin Desseilles, médecin psychiatre, psychothérapeute et professeur à l’UNamur. Elles peuvent être biologiques, très factuelles, avec le stress généré, les efforts fournis et l’énergie déployée. Elles peuvent être sociales, parce que les liens avec les autres sont entamés. Elles peuvent aussi être psychologiques, naturellement.»

Posé de la sorte, le constat semble évident. Pourtant, les témoignages des proches se ressemblent. Leur ressenti est peu pris en compte, que ce soit par leur propre entourage ou les professionnels. «Du chemin reste à parcourir. Mais reconnaissons aussi que les pratiques ont évolué, par rapport à une approche qui, historiquement, était assez paternaliste, culpabilisante, avec une absence d’écoute des familles, voire une mise à l’écart de celles-ci», poursuit Martin Desseilles.

Il n’est pas illogique que l’attention se porte en priorité sur la personne concernée au premier chef, mais il faut reconnaître le manque de connaissances, en général, et de prise en compte du vécu de l’entourage, considère Isabelle Roskam, professeure de psychologie du développement à l’UCLouvain. «Cela s’explique notamment par le fait que beaucoup de sous-domaines de la psychologie et de la psychiatrie sont très centrés sur la personne, moins sur les aspects collectifs. Il n’y a pas de véritable approche écosystémique (NDLR: qui tient compte de l’individu mais aussi de la famille, des services, de la société…), en quelque sorte.»

Aider l’autre, s’oublier soi

Qu’il s’agisse du ménage, du cercle d’amis ou du milieu professionnel, le système est nécessairement affecté lorsqu’à l’intérieur de celui-ci, une personne est atteinte de troubles. Les conséquences se manifestent même parfois là où on les attend le moins. «Lorsque quelqu’un souffre d’un burnout, par exemple, cela engendrera une redéfinition des fonctions dans le système familial. C’est le cas au moment de la maladie, certainement, mais également pendant la récupération ou à la guérison. Il ne faut pas négliger cette dimension», prévient Pauline Chauvier, psychologue clinicienne, formée à l’approche systémique.

Ainsi, une cellule familiale peut se reconfigurer lorsqu’un de ses membres traverse un burnout, chacun endossant une fonction dans ce nouvel équilibre. Cela concerne des parents, des enfants, des grands-parents, d’autres proches. Une fois la personne sur la voie du rétablissement, elle prendra elle-même une place qui n’était pas la sienne auparavant. Et c’est l’ensemble du système qui devra se réagencer.

«Certains éprouvent un manque de reconnaissance. Ils font tout ce qu’ils peuvent mais ne reçoivent pas un merci.»

Le burnout des aidants proches est un phénomène connu. Il arrive aussi, après le décès de la personne soutenue, qu’ils peinent à trouver leur place, tant ils s’étaient définis au travers de ce statut. Parfois, les personnes se sont un peu oubliées en cours de route.

Côtoyer une personne atteinte d’un trouble psychique peut désarçonner, rendre les relations compliquées, en raison de son irritabilité, de son apathie, de son hypersusceptibilité. «Certains proches éprouvent un manque de reconnaissance. Ils font tout ce qu’ils peuvent, y consacrent leur énergie, mais ne reçoivent pas un merci en retour. Il faut pouvoir expliquer, à ce moment, que la personne en souffrance n’est simplement pas en mesure d’exprimer une telle reconnaissance. Etre là, ne pas l’abandonner, c’est déjà beaucoup.»

49%

des Belges déclarent avoir des difficultés d’ordre psychologique. Un sur cinq éprouve de sérieuses difficulté à faire face à la situation (Source: rapport internation Mind Health d’Axa, 2024).

Comment en parler?

Les cas se complexifient encore lorsque des enfants sont impliqués. Il n’est pas rare d’entendre des parents dépressifs ou en burnout témoigner du manque d’empathie de leur progéniture. «Mon ado ne pense qu’à lui, ne m’aide pas, me reproche d’être pénible à vivre.»

La situation peut s’avérer d’autant plus délicate lorsqu’il s’agit d’un burnout parental, note Isabelle Roskam. «La souffrance est liée à l’enfant, ce qui peut être culpabilisant. De manière générale, il faut comprendre qu’il n’est pas un adulte miniature. Ses perceptions et ses manières d’exprimer les choses sont différentes. Par exemple, les enfants en bas âge auront tendance à être centrés sur eux-mêmes. Cela ne signifie pas qu’ils sont égoïstes, mais leur système cognitif fonctionne comme cela.» Les degrés d’empathie sont évolutifs, «ce qui ne signifie pas que les enfants sont insensibles à la situation». Certains se renferment, d’autres manifestent un besoin d’attention. «Je dirais que, de manière générale, il convient d’être attentif aux changements de comportement

L’attitude à adopter envers des enfants ne coule pas toujours de source, varie d’une famille à l’autre. Doit-on tout dire, en risquant de provoquer de l’anxiété? Doit-on inventer des histoires, quitte à dénier un malaise pourtant perceptible? L’équilibre n’est guère évident à trouver.

«Parfois, je me dis que ça aurait été plus facile si mon fils s’était retrouvé en chaise roulante.»

Poser des mots sur le trouble qui affecte le proche constitue sans doute une bonne recommandation, mais qui n’est pas évidente à mettre en œuvre pour tout un chacun. Evoquer la santé mentale, plus globalement le registre des émotions, demeure délicat. Le tabou n’est jamais loin, même si la société s’est quelque peu décrispée sur le sujet. «En fait, il y a beaucoup de cas de figures, c’est une gradation. Certaines personnes reconnaissent leur trouble, d’autres pas. Certaines familles reconnaissent le trouble, d’autres pas», commente Martin Desseilles. Dans les ménages, les couple, entre amis ou collègues, on en parle plus ou moins facilement.

«Une chose qui m’a frappée, c’est l’incompréhension totale de ses amis lorsque mon mari était au plus bas dans son épuisement. Pas tous, mais la plupart. « Allez, bouge-toi, ça finira par passer », raconte Valérie. On confond une crise passagère et un burnout, qui vous dépasse complètement.»

© Getty Images/Westend61

En finir avec la stigmatisation

C’est que, confirment les professionnels, la santé mentale est encore entourée de peurs, de honte, d’appréhensions et de clichés. «Parfois, je me dis que ça aurait été plus facile si mon fils s’était retrouvé en chaise roulante», glisse Dominique, dont le fils souffre de troubles psychotiques. «Si vous vous cassez le bras, c’est objectivable et tangible, il n’est pas difficile de comprendre que vous ne pourrez pas faire la vaisselle. Avec la santé mentale, c’est une autre histoire», observe Pauline Chauvier.

«Il y a la question du tabou, mais aussi et surtout des stigmatisations qui entourent ces troubles», regrette Isabelle Roskam. Il ne s’agit certainement pas ici d’établir une gradation des souffrances, mais d’observer le malaise. «Si un proche a une tumeur cérébrale, les gens vous proposeront de l’aide. Si votre fils se drogue, ils n’en proposeront pas. C’est honteux, stigmatisant. Les addictions, en plus, font l’objet de croyances: mauvaise éducation, mauvaises fréquentations, mauvaise volonté, etc. La dépression ou le burnout sont aussi entourés de stigmas (NDLR: stéréotypes, préjugés, discrimination). La personne aurait trop tiré sur la corde, ne ferait pas d’efforts, se complairait dans ses difficultés. Et l’entourage porte ces stigmas, de même qu’il peut contribuer à les véhiculer.»

Un manque de perspectives

A cette stigmatisation s’ajoute, comme en témoignent régulièrement les proches, une forme de brouillard. Combien de temps cela durera-t-il? En sortira-t-on un jour? La médication apportera-t-elle les effets escomptés? Que se passera-t-il après, lorsque nous ne serons plus là?

Dans certains cas, les proches savent que la maladie ne disparaîtra pas. «C’est une sale maladie, incurable, dont on ne sait en fait pas grand-chose et qu’on peut plus ou moins gérer avec des neuroleptiques. Et ces médicaments, c’est du costaud. Mon fils en a pris jusqu’à quatorze par jour», témoigne Dominique. En l’occurrence, il s’agit d’un de ces «troubles psychiques complexes chroniques gravement invalidants», comme on les qualifie au sein de l’asbl Similes. Cette association s’adresse spécifiquement aux familles, aux proches en général. Elle organise notamment des groupes de parole, lors desquels l’entourage peut s’épancher, partager son expérience, bénéficier de formations et de recommandations. Il n’est pas question, là, de tabous ou de culpabilité, mais bien de compréhension et d’écoute, qui peuvent faire défaut dans la société, au sein des familles, voire auprès du corps médical.

«Nous sommes dans un contexte de maladies psychiques graves: schizophrénie, troubles bipolaires, trouble de la personnalité borderline, etc. Le public qui s’adresse à nous est constitué de parents, mais pas uniquement. Nous accueillons aussi des enfants, des frères et sœurs, etc.», détaille Claudine Fréson, la présidente de l’association. Similes est particulièrement bien placée pour mesurer l’anxiété, l’isolement, le désespoir, le constat d’un manque de considération qui s’empare de l’entourage. C’est pourquoi l’association prend son bâton de pèlerin pour lever les tabous, mais aussi améliorer la prise en considération du secteur hospitalier, comme du monde politique.

1 million

de personnes seraient des aidants-proches en Belgique.

«On ne peut pas non plus dire que rien ne s’est amélioré, il ne faut pas généraliser, observe Claudine Fréson. La réforme des soins de santé mentale de 2010, par exemple, a développé la notion de trialogue, donc le fait d’impliquer le personnel, les patients et les proches.» De nouvelles perspectives sont apparues. La reconnaissance du statut d’aidant proche peut représenter une avancée, mais qui reste plutôt marginale dans les situations en question. Claudine Fréson promeut aussi une série d’initiatives s’inscrivant dans le principe de l’accueil des familles, à l’occasion de soins en milieu hospitalier. Le programme baptisé «Bref» propose des séances de psychoéducation très bénéfiques pour les familles.

Autre exemple: la prise en charge de type HIC (high intensive care) qui se développe, à travers une approche individualisée du patient en cas de crise, pouvant impliquer son entourage et d’autres intervenants. «Un autre modèle très intéressant est celui du référent familles. Dans les hôpitaux, un membres du personnel soignant, qui a cette fibre, voit une partie de son temps de travail consacré à leur accueil, à leur encadrement. Cela ne réclame pas des moyens démesurés aux structures hospitalières et je pense que tout le monde y gagnerait, y compris les hôpitaux et la collectivité dans son ensemble.»

Ces évolutions, tant dans la prise en charge que dans la perception des troubles, se dessinent progressivement, reconnaissent les professionnels de la santé, le monde associatif et, parfois, l’entourage. Mais le chemin à parcourir reste long avant que, comme le souligne Quentin Vassart, «la santé mentale ne soit vraiment l’affaire de tous».

(1) La plupart des prénoms des témoins ont été modifiés pour préserver leur anonymat.

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