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Et si le coronavirus ne tuait pas en noyant vos poumons?

Le Vif

Le coronavirus réserve de bien mauvaises surprises aux médecins, défiant leur science. Et s’il tuait non par pneumonie aggravée mais par inflammation généralisée, rendant les respirateurs inopérants voire dangereux ? De premières autopsies plaident pour cette hypothèse controversée.

« Je ne comprends rien à cette saloperie, le même traitement donné à deux malades aboutit à des résultats complètement différents.  » Le mot est d’un  » top intensiviste  » pourtant rompu aux infections exotiques.  » On perd des patients de 30 ans qui arrivent debout. Et on sauve parfois des centenaires qui ont été intubés.  » Faute de vaccin ou de traitement, on traite tous les patients intensifs par un antiviral, un anticoagulant et plus ou moins d’oxygène.

On le sait, la médecine a fondamentalement progressé grâce aux autopsies, longtemps bannies par les religions. Des chercheurs de l’hôpital universitaire de Zurich (USZ) ont donc analysé les tissus de décédés du Covid-19. Et, surprise, ils estiment  » qu’il s’agit d’une inflammation vasculaire systémique et non d’une pneumonie « . Cela expliquerait pourquoi la maladie provoque autant de problèmes cardiovasculaires et de défaillances d’organes vitaux. Certes, les premiers patients présentaient surtout des pneumonies difficiles à traiter, mais, par la suite, les médecins ont constaté de plus en plus de cas de troubles cardiovasculaires et de défaillances multiples d’organes.

u0022La maladie Covid-19 peut toucher les vaisseaux sanguins de tous les organes.u0022 Frank Ruschitzka (USZ)

Les chercheurs ont alors constaté que l’inflammation touchait l’endothélium, la paroi interne des vaisseaux sanguins. Le virus Sars-CoV-2 a d’ailleurs pu être détecté dans l’endothélium lui-même, où il provoque la mort des cellules, puis des tissus et organes. Les chercheurs en déduisent que le virus attaque le système immunitaire non pas par les poumons, comme on le croyait jusqu’à présent, mais directement par les récepteurs ACE2 (récepteurs de l’enzyme de conversion de l’angiotensine) présents dans l’endothélium, qui perd ainsi sa fonction protectrice. Les récepteurs ACE2 sont l’une des portes d’entrée bien identifiée du virus.  » La maladie Covid-19 peut toucher les vaisseaux sanguins de tous les organes « , résume Frank Ruschitzka, directeur de la clinique de cardiologie de l’USZ.

Pourquoi les jeunes s’en tirent mieux

 » Il s’agit d’une inflammation systémique des vaisseaux sanguins pouvant toucher le coeur, le cerveau, les poumons, les reins ou encore le tube digestif. Elle entraîne de graves microperturbations de la circulation sanguine qui peuvent endommager le coeur ou provoquer des embolies pulmonaires, voire obstruer des vaisseaux sanguins dans le cerveau ou le système gastro-intestinal « , souligne Frank Ruschitzka, dont les travaux sont publiés dans la revue médicale de référence The Lancet.

Si cette hypothèse se confirme, elle pourrait expliquer les facteurs aggravants de la mortalité. Si l’endothélium des jeunes patients se défend bien, ce n’est pas le cas de celui des groupes à risque souffrant d’hypertension, de diabète ou de maladies cardiovasculaires, dont la caractéristique commune est une fonction endothéliale réduite. Elle expliquerait également qu’aux symptômes connus (fièvre, fatigue, toux, difficultés respiratoires) s’ajoutent maux de tête ou conjonctivites. L’hôpital universitaire Saint-Pierre, à Bruxelles (ULB), a même découvert que la maladie pouvait induire des engelures au bout des doigts ou des orteils. D’ordinaire provoquée par le froid, cette réduction du débit sanguin peut entraîner une enflure douloureuse des doigts, la mort des tissus et la gangrène.

Trop tôt pour modifier le traitement

Ce constat doit-il modifier le traitement de patients ? D’autant que des réanimateurs italiens et allemands avancent que les pneumopathies Covid sont plus proches des oedèmes pulmonaires liés à l’altitude que des syndrome de détresse respiratoire aiguë (SDRA). Pour le professeur Julien Poissy, du Pôle de médecine intensive de l’hôpital Salengro à Lille, interrogés par nos confrères de Medscape,  » cette analogie me semble un peu excessive. L’oedème pulmonaire lié à l’altitude est très particulier. Il est lié à une réponse inflammatoire secondaire à l’hypoxie due à l’altitude, ce qui déclenche un oedème lésionnel, aggravé par une vasoconstriction hypoxique. Or, les malades atteints de Covid-19 ne présentent pas ce tableau.  »

De quoi néanmoins s’interroger sur les recommandations d’intubation précoce ?  » Aujourd’hui, ces recommandations sont remises en cause. L’intubation précoce ne semble effectivement pas être la solution pour un certain nombre de patients, notamment ceux à compliance préservée. Ces derniers peuvent bénéficier de techniques sans intubation qui permettent de limiter les dégâts induits par la ventilation mécanique. Certains malades intubés sont probablement aggravés par la ventilation mécanique, via des lésions pulmonaires engendrées par des pressions intrathoraciques. Toutefois, on ne peut pas passer radicalement de  » il faut intuber les malades  » à  » il ne faut plus les intuber  » « , estime Julien Poissy.

De quoi avoir quelques regrets ?  » Il est probable que l’on a peut-être ventilé trop de patients au début, c’est l’expérience italienne, mais c’est une maladie sur laquelle nous apprenons tous les jours. Et c’est vrai qu’il vaut mieux recourir à une ventilation non invasive dans certains cas, mais cela pose des problèmes d’aérosolisation et il faut redoubler de mesures de protection « , souligne le professeur Jean-Olivier Defraigne, chef de service de Chirurgie cardiovasculaire et thoracique du CHU Sart-Tilman (ULiège).

« D’abord pallier un poumon trop faible »

 » Ces travaux de Zurich sont extrêmement intéressants pour la compréhension du Covid-19. D’autres travaux seront cependant nécessaires pour mieux préciser le rôle de l’endothélium, que ce soit au niveau de la porte d’entrée du virus, de la propagation du virus dans l’organisme ou de la responsabilité de l’atteinte endothéliale dans les dysfonctions d’organes « , déclare le docteur Ludovic Gérard, chef de clinique adjoint aux soins intensifs des cliniques universitaires Saint-Luc (UCLouvain).  » Cependant, à ce stade, ces résultats ne permettent pas de modifier la prise en charge des patients présentant une forme sévère de pneumonie à Covid-19, que ce soit en matière de support ventilatoire, ou de traitement médicamenteux. En particulier, il est peu probable que la stratégie de ventilation mécanique soit radicalement modifiée du fait de la présence d’une atteinte endothéliale. La stratégie de ventilation mécanique généralement poursuivie est de pallier une dysfonction du poumon, qui n’est plus capable d’assurer ses rôles d’oxygénation du sang et d’élimination du CO2, tout en évitant d’être délétère pour le tissu pulmonaire, notamment par une augmentation importante de pression. Ce traitement symptomatique ne sera pas modifié dans l’immédiat.  »

Par Frédéric Soumois.

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