Les résidents des maisons de repos et de soins : près de la moitié des plus de 4 000 décès dûs au Covid-19. © GETTY IMAGES

Coronavirus: le grand chagrin des maisons de repos

Le Vif

On ne l’a pas vue venir, la seconde vague de l’épidémie, mais elle a touché les plus fragiles, nos vieux. Le dépistage tardif est mis en cause.

Les résidents des maisons de repos et de soins paient un lourd tribut au Covid-19. Actuellement, ils représentent près de la moitié des plus de 4 000 décès répertoriés par le Centre de crise, même si des doutes subsistent sur l’origine de certains. Selon le virologue Steven Van Gucht, les décès dans les maisons de repos sont pour la plupart des cas suspects :  » Ce sont des personnes qui sont probablement mortes du virus, mais le virus n’est pas nécessairement la principale cause de leur décès.  » Le syndrome du glissement (la perte du goût de vivre), d’autres pathologies associées ou l’invalidité de départ ont pu hâter leur mort. En l’absence de tests, la variété des symptômes du Covid-19 ajoute à l’incertitude. Les chiffres réunis par Sciensano (SPF Santé) montrent que, pour la journée du 13 avril, la proportion des décès liés au coronavirus en maison de repos était de 59 % en Flandre (105 morts en chiffres absolus), 41 % à Bruxelles (12) et 59 % en Wallonie (78).

On a délaissé les maisons de repos pour gérer l’urgence dans les hôpitaux.

Que s’est-il passé ? La société est sous le choc de la perte de ses aînés. Pourquoi cette population âgée vivant en collectivité, donc, manifestement à risque, est-elle restée en marge de la mobilisation générale au début de la pandémie en Belgique ? Le sentiment existe parmi le personnel soignant des maisons de repos (MR) et maisons de repos et de soins (MRS) que celles-ci sont le parent pauvre de notre système de santé : moindre reconnaissance dans le public, travail moins prestigieux que dans un service de pointe à l’hôpital.

Un coordinateur de plusieurs maisons de repos durement frappées par la crise du coronavirus ( lire l’encadré plus bas), dans la région de Verviers, rappelle que, lorsque l’épidémie a démarré, les autorités demandaient aux maisons de repos et de soins d’accueillir des patients pour faire de la place dans les hôpitaux, ce qui a entraîné l’arrivée de résidents en court séjour, un va-et-vient accru entre l’extérieur et l’intérieur des maisons de repos, alors que la décision n’avait pas encore été prise de confiner la population et, plus tard, les résidents. Il y a également eu ces consignes chancelantes sur le port du masque.  » Il aurait fallu un double dépistage préventif du personnel et des résidents au début de l’apparition de la maladie dans une maison afin de créer deux cohortes. Aujourd’hui, il est urgent d’avoir un dépistage sérologique.  » L’étape suivante.

Mais pourquoi le testing a-t-il tant tardé ? Cela reste une énigme aux yeux de Véronique Sabel, secrétaire nationale de la CSC Services publics, représentant les MRS publiques liées aux CPAS.  » Depuis l’arrêté royal du 17 mars dernier pris par Maggie De Block qui interdisait les tests rapides parce qu’il y avait trop de faux négatifs, qu’a-t-on fait ? On a clairement l’impression que, les premières semaines, on a délaissé les maisons de repos pour gérer l’urgence dans les hôpitaux.  » Les visites en maison de repos ayant été rapidement interdites, la contagion ne pouvait venir que du personnel.  » A-t-on eu peur de le dépister de crainte de devoir en écarter une bonne partie ?  » s’interroge la responsable syndicale. Quoi qu’il en soit, le résultat est là.  » Dans une maison de repos du Hainaut, reprend la permanente syndicale, un tiers des 120 résidents sont déjà décédés. A Jodoigne, le taux de mortalité dans les maisons de repos est moins important, mais on y a effectué un dépistage plus précocement. Sur les 17 cas positifs de la MRS Clair Séjour, quatre membres du personnel ont été écartés, les autres, asymptomatiques, ont pu continuer à travailler, mais dans les quartiers Covid-19.  »

Du côté du personnel aussi, les chiffres sont alarmants : un quart des travailleurs sont infectés.
Du côté du personnel aussi, les chiffres sont alarmants : un quart des travailleurs sont infectés.© GETTY IMAGES

La complexité institutionnelle

Neuf ministres de la Santé. Une partie des établissements de santé qui dépendent du fédéral (hôpitaux), une autre des Régions (maisons de repos et de soins). La 6e réforme de l’Etat n’a pas aidé. Un exemple : les kits de dépistage commandés par les Régions mais distribués par le fédéral… Quatre semaines après le début du confinement, près de 67 000 kits seront bientôt livrés aux 602 maisons de repos de Wallonie et à leurs 40 774 travailleurs. Ce ne sera pas suffisant. A Bruxelles, 20 000 tests seront pratiqués dans les 146 maisons de repos et de soins, dont 116 sont déjà touchées par le virus.  » Le 9 avril, nous avons écrit aux ministres wallons Christie Morreale (Santé) et Pierre-Yves Dermagne (Pouvoirs locaux) pour leur dire que la situation devenait catastrophique, indique Véronique Sabel (CSC). Aucune mesure n’a été prise, au début de la crise, pour interdire l’accès aux agents ayant voyagé dans les pays à risque et ce, malgré l’insistance des organisations syndicales. Certaines MR ou MRS interdisaient le port du masque et des gants pour ne pas inquiéter les résidents… Jusqu’il y a peu, les résidents devaient toujours manger collectivement et, dans certaines maisons de repos, ils pouvaient continuer à partager les espaces collectifs.  » Aujourd’hui, les chiffres sont alarmants : un quart des travailleurs affectés par le Covid, un tiers des résidents et deux tiers des maisons de repos en manque de matériel de protection.  » Nous n’avons même pas eu d’accusé de réception. Le 9 avril, il y a juste eu une réunion en vidéoconférence, annoncée une heure à l’avance. En matière de dialogue social, c’est vraiment très limite !  » Côté  » patronal  » et associatif, le jugement est moins dur. Le coordinateur verviétois salue les efforts des autorités, malgré des directives qui se contredisaient parfois d’un jour à l’autre.

Des directives qui se contredisaient parfois d’un jour à l’autre.

Le recours à l’armée a aussi frappé les esprits, même s’il n’a concerné qu’une poignée d’institutions en détresse.  » Vous rendez-vous compte, s’indigne Véronique Sabel ? Les maisons du secteur public qui doivent faire appel à des dons et des bénévoles pour laver la vaisselle ! Dans quel pays sommes-nous ? Tout cela est la conséquence des politiques, quelle que soit la couleur, menées depuis la fin des années 1970. Et je crains que l’épisode coronavirus n’arrange pas les choses au niveau du budget Santé…  »

La Fédération des CPAS de l’Union des villes et communes de Wallonie est montée au créneau avec son homologue bruxelloise.  » Le personnel de nettoyage et d’hôtellerie n’est pas visé par les mesures de protection, regrette Luc Vandormael, président de la Fédération wallonne. Or, il est exposé, puisqu’il entre dans les chambres et, dans certains cas, distribue les repas.  » Les prochaines victimes ? Et Luc Vandormael d’ajouter :  » Il est clair qu’au-delà de la protection, un soutien psychologique s’avère de plus en plus nécessaire pour le personnel, les résidents et leurs familles souvent affolées par la situation.  »

Il faut déjà penser à l’après.  » Des applaudissements à 20 heures font plaisir, reconnaît le coordinateur verviétois des trois maisons de repos endeuillées, mais ce qui est attendu, ce sont des aides concrètes et, essentiellement, des aides en personnel. Car il y aura nécessairement des défections en fonction des résultats des tests et de la fatigue énorme de tout le personnel. Il faudra aussi des équipements de protection pour la vague actuelle, les vagues futures et pour le déconfinement qui sera graduel et prendra du temps.  »

Par Marie-Cécile Royen et Thierry Denoël.

L’hommage d’un directeur

L’épidémie de coronavirus touche le personnel des maisons de retraite au plus intime.

Il est le directeur de trois maisons de repos de l’asbl Acis (Association chrétienne des institutions sociales et de santé) sévèrement touchées par le Covid-19 en région verviétoise. Volontairement anonyme pour rendre hommage aux personnes de son organisation. Lui-même est testé positif, tout comme les deux membres de sa famille vivant sous le même toit.  » Dans l’une de nos maisons de repos, un tiers du personnel est positif. Près des deux tiers de celui-ci, asymptomatiques, travaillent auprès des résidents Covid-19, les autres restent à la maison. La solidarité entre les membres du personnel nous permet de tenir. Certains reviennent spontanément travailler le soir ou le week-end, des professeurs d’écoles d’infirmerie aussi, mais nous avons encore besoin d’aide. Pourquoi pas du personnel détaché des hôpitaux ? Il faudra s’en souvenir, remercier tous ces gens, soignants, bien sûr, mais aussi personnel d’entretien, de cuisine, administratif et paramédical. Constater l’utilité de nos médecins-coordinateurs. Et réaliser que les maisons de repos ont un taux d’encadrement de 13 personnes pour 30 résidents, trop bas pour une dépendance lourde.  »

Le choc a été total quand l’épidémie a commencé à flamber.  » C’est une souffrance terrible de risquer de ne pas pouvoir se maintenir au niveau d’ « humanitude » qui est notre référentiel et notre pratique. Deux fils ont voulu dire au revoir à leur père. On a pris ce risque. Ils sont entrés dans sa chambre l’un après l’autre, vêtus comme des cosmonautes. L’un d’eux s’est rappelé qu’il avait encore quelque chose à dire. On l’a rhabillé en cosmonaute.  » Des tablettes ont été achetées en vitesse pour permettre aux résidents de rester en contact avec leurs proches. On voudrait les utiliser plus encore, mais il faut assurer l’essentiel et parfois « annoncer aux familles des nouvelles qui ne sont pas belles ». Il faut aussi lutter contre le syndrome de glissement et d’abandon renforcé par le confinement en chambre.  »

Comment expliquer cette hécatombe ?  » Il y a eu beaucoup de va-et-vient avec les courts séjours. La consigne était de vider les hôpitaux, alors que la mesure n’avait pas encore été prise de confiner les personnes âgées dans leurs chambres. Après l’annonce du confinement général, le 13 mars, on a encore accepté des gens qui venaient des hôpitaux. Au début de la pandémie, la consigne était d’économiser les moyens de protection, car nous ne savions pas si nous allions être fournis. Depuis un mois, une petite équipe au siège social de notre asbl Acis se démène tous les jours pour nous trouver du matériel.  » En ce moment, pas envie de mettre en cause qui que ce soit. Juste dire :  » Déterminés et solidaires. Merci.  »

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