Bien qu'interdits dans l'Union européenne, les phtalates se retrouvent encore dans les jouets en plastique pour enfants.

« Cette étude confirme ce qu’on craignait » : zoom sur les phtalates, ces substances nocives omniprésentes dans les objets du quotidien

Elise Legrand
Elise Legrand Journaliste

Les phtalates, utilisés comme plastifiants, peuvent entraîner de sérieux dysfonctionnements du système hormonal et reproductif. Si la majorité de ces substances sont interdites dans l’Union européenne, certaines continuent à passer entre les mailles du filet.

Une naissance prématurée sur dix est liée à l’exposition aux phtalates. Ce constat, inquiétant, est tiré d’une étude américaine parue mercredi dans The Lancet Planetary Health. Pour aboutir à ces conclusions, les chercheurs ont analysé la concentration de ces perturbateurs endocriniens dans l’urine de plus de 5.000 femmes enceintes aux Etats-Unis. Le résultat est sans appel : les 10% de futures mères avec les taux les plus élevés de phtalates présentaient ainsi un risque accru de 50% d’accouchement prématuré par rapport aux 10% avec les taux les plus faibles.

Ce constat, bien que préoccupant, ne surprend pas Alfred Bernard, toxicologue à l’UCLouvain. «Cette étude américaine ne fait en réalité que confirmer ce qu’on craignait déjà ». Depuis plusieurs années, la dangerosité de ces composés chimiques est documentée par de nombreux scientifiques, forçant l’Union européenne à légiférer en la matière. Car le problème, c’est que ces substances sont partout.

Jouets, cosmétiques, emballages…

La fonction principale des phtalates est d’adoucir les plastiques, tels que le PVC, afin de les rendre plus souples et plus durables. « Ils sont abondamment utilisés dans toute une série d’objets de la vie quotidienne, allant des jouets pour enfants aux cosmétiques, en passant par les emballages alimentaires et les textiles », précise Alfred Bernard. Les êtres humains, comme les animaux, y sont donc fréquemment exposés. D’autant que les voies d’absorption sont multiples : par inhalation (par exemple dans le cas des cosmétiques), par voie cutanée (textiles) ou par ingestion (aliments contaminés par les emballages, jouets pour bébé portés à la bouche).

Or, les effets néfastes de cette exposition, qu’elle soit prénatale ou postnatale, sont nombreux. Notamment sur la reproduction et le système hormonal.

Les phtalates peuvent entraîner une diminution de la fertilité, tant chez les hommes que chez les femmes. « La quantité de spermatozoïdes par millimètre de sperme peut diminuer suite à une exposition accrue à ces plastifiants, indique le professeur en toxicologie. Les phtalates rendent donc le sperme moins riche. » Chez les femmes, ces composés peuvent entraîner davantage de fausses couches et, conformément aux résultats de l’étude américaine, accroître les risques d’accouchement prématuré. Ces perturbateurs endocriniens peuvent également entraîner une précocité de la puberté.

Des conséquences « irréversibles »

Les risques sont également nombreux en cas d’exposition prénatale. « Les phtalates peuvent causer des troubles dans le développement du cerveau du fœtus et entraîner de l’hyperactivité ou des déficits d’attention, développe Alfred Bernard. Ils peuvent également être des facteurs d’obésité, tant chez les petits garçons que chez les petites filles. »

Face à cette multitude de conséquences néfastes, « souvent irréversibles », l’Europe a décidé de réglementer leur utilisation. Depuis 2005, l’Agence européenne des produits chimiques (ECHA) a restreint considérablement, voire complètement banni, une dizaine de phtalates particulièrement toxiques. C’est notamment le cas du DEHP, dit « phtalate de bis ». « Ces substances ont d’abord été interdites dans la fabrication des jouets et des articles de puériculture, car les enfants sont le public le plus à risque », précise le toxicologue. Les interdictions se sont ensuite étendues aux produits cosmétiques et aux textiles, et sont encore régulièrement mises à jour en fonction de l’évolution des recherches scientifiques.

Malgré ces interdictions, deux problèmes majeurs subsistent et empêchent de limiter complètement l’exposition humaine à ces composants toxiques en Europe.

Un frein à l’économie circulaire

D’une part, le commerce international et les importations. Les règlementations européennes n’étant pas respectées par les fabricants asiatiques ou africains, par exemple, de nombreux objets « contaminés » échappent aux contrôles et se retrouvent dans nos rayons. C’est notamment le cas des jouets, dont la majorité proviennent de Chine. Ainsi, lors d’une vaste enquête menée en 2018 dans les 27 pays de l’UE, un jouet sur cinq montrait la présence effective de ces plastifiants, rapporte l’ECHA. Un taux « très élevé », pointant l’Agence européenne, notamment en regard de l’instauration effective de l’interdiction de ces substances sur les jouets, qui remontait déjà « à de nombreuses années ».

D’autre part, malgré ses vertus écologiques, l’économie circulaire peut également freiner cette limitation de l’exposition aux phtalates, observe Alfred Bernard. « En recyclant des plastiques, on recycle également leurs contaminants », schématise l’expert. Il en va de même pour le recyclage agricole : en recyclant des eaux résiduaires (boues…) pour l’irrigation des terres, on recycle les éventuels phtalates qu’elles contiennent. « Les additifs toxiques sont problématiques dans le domaine du recyclage et leur utilisation est un obstacle potentiel à la progression vers une économie circulaire », concluait à ce propos un rapport publié en 2020 sous l’égide du Programme des Nations unies pour l’environnement.

Enfin, la prise de conscience du danger potentiel des phtalates a conduit certains fabricants de plastiques à tenter de les remplacer par d’autres composés du même groupe chimique. Or, selon l’étude du Lancet publiée mercredi, les phtalates de remplacement sont associés à des effets « encore plus importants » que le DEHP sur la précocité des naissances.

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