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Dépénalisation de la cocaïne: est-ce envisageable en Belgique?

Stagiaire Le Vif

Le Canada a voté la dépénalisation de la consommation de cocaïne dans le région de Colombie-Britannique, pour une expérience qui durera trois ans. Cette mesure est inenvisageable en Belgique où les politiques mises en place sont avant tout dissuasives et répressives.

Au Canada, 10.000 personnes ont fait une overdose aux opiacés depuis 2016. C’est cette épidémie qui a poussé les autorités à radicalement changer leur politique en matière de drogues. Le gouvernement a donc décidé de permettre la dépénalisation de la possession de petites quantités de drogues dites « dures » (la cocaïne, l’héroïne…) dans la province de Colombie-Britannique. Cette dérogation au code pénal rentre dans le cadre d’une véritable expérience visant à lutter contre la stigmatisation des consommateurs. Les défenseurs et défenseuses du projet demandent la délivrance de stupéfiants plus sûrs aux personnes dépendantes, sachant que les risques d’overdoses sont plus hauts quand le produit est issu du traffic illégal.

La dépénalisation de la cocaïne, bientôt en Belgique ?

La Colombie-Britannique n’est pas le premier endroit où une telle mesure est mise en place, le Canada emboite le pas à l’Oregon et au Portugal. Et en Belgique, une telle dérogation à la loi, pour dépénaliser la détention de petites quantités, c’est envisageable ?

« Certainement pas », répond Michael Hogge, chargé de projets scientifiques et épidémiologiques chez Eurotox, l’observatoire socio-épidémiologique alcool-drogues en Wallonie et à Bruxelles. « Le gouvernement actuel a même resserré la vis en matière de tolérance pour la simple détention à usage personnel », ajoute-t-il. D’après lui, le fait de prohiber une drogue aurait même un effet contreproductif. Les adolescents seraient tentés de la consommer parce qu’elle est interdite, dans un esprit de rébellion.

Pour Michael Hogge (Eurotox), « le gouvernement est très clair quant à sa stratégie : dissuader les personnes de consommer de la cocaïne. » Le 16 février passé, une nouvelle mersure a été votée : les consommateurs de cocaïne arrêtés recevront une amende de 1000 euros. « Comme si cela dissuaderait les consommateurs », déplore Michael Hogge.

La répression est inutile

Pour le VAD, Vlaams expertisecentrum Alcohol en andere Drugs (Centre d’expertise flammand sur l’alcool et les autres drogues), l’augmentation des amendes est contre-productive et va à l’encontre des évidences scientifiques : « Les amendes fonctionnent uniquement pour les personnes qui sont éloignées de la consommation et qui n’ont jamais consommé. En fait, il est établi que les pays les moins restrictifs enregistrent une moindre consommation de substances intoxicantes illicites. »

Pour l’organisme flamand, cette mesure est stigmatisante pour les usagers problématiques. Les personnes dépendantes qui ne peuvent pas se passer de cocaïne devront prendre plus de risques pour se procurer de la cocaïne. Avec la crainte d’une amende, parler de leur consommation et demander de l’aide sera encore moins évident. Et le VAD rappelle: « Les amendes ne réduiront pas leur consommation. » Sans grande surprise, le centre d’expertise flamand milite également pour la dépénalisation de la consommation de la cocaïne et des autres opiacés.

Dépénalisation de la cocaïne : des retours mitigés

Pour Michael Hogge (Eurotox), « la décriminalisation est efficace et nécessaire par rapport aux usagers, sur lesquels on met trop de pression avec le système prohibitif actuel. C’est illusoire de croire qu’il suffit de leur mettre une pression pour qu’ils cessent de consommer… ça ne marche pas. » L’expert cite l’exemple du Portugal, qui a décriminalisé la consommation de cocaïne depuis plus de 20 ans. D’après lui, « le retour d’expériences chiffrées met en évidence des indicateurs qui évoluent de manière favorable, à la fois par rapport aux pratiques de consommation -il y a moins de consommation problématique- et au niveau de la prise de contact avec les services d’aide : il n’y a plus autant de tabou ».

Par contre, les chiffres n’ont pas l’air aussi encourageants en Oregon, Etat des USA qui a décriminalisé la consommation en 2020. Les décès liés aux opioïdes ont augmenté de 58 % entre 2020 et 2021. Beaucoup de critiques émanent donc de cette décriminalisation, avec notamment le faible taux de demande d’aide de personne dont la consommation est problématique. D’autres estiment qu’il est trop tôt pour en tirer des conclusions.

Où sont les chiffres ?

En Belgique, la consommation et les overdoses sont-elles en hausse? Pour Michael Hogge (Eurotox), « les chiffres de consommation sont objectivement à la hausse. » L’expert déplore cependant le manque de monitoring dans notre pays. Nous sommes moins bien équipés que le Portugal ou le Canada pour vérifier les tendances : la dernière étude de Sciensano date de 2018, les chiffres de 2023 sont en train d’être récoltés.

Outre le manque de chiffres, les études ne prennent pas toute la population en compte. Michael Hogge explique que « les chiffres ne représentent qu’une partie du phénomène dans la mesure où les personnes les plus à risque, -les marginalisées, sans domicile fixe, celles qui sont institutionalisée et incarcérées-, ne participent pas à ces enquêtes. » Pour l’expert, malgré cette zone d’ombre, les chiffres de consommation sont en augmentation et ils ne sont pas prêts de diminuer : la pandémie de Covid-19 et la crise économique n’aide en rien.

Délivrance pour les personnes dépendantes

Les produits qui sont en circulation dans la rue peuvent être très dangereux : quand l’usager ne connait pas l’origine de la cocaïne ou de l’héroïne, si elle a été coupée et avec quels produits, il y a plus de risques pour la santé, et donc plus de risques d’overdose. Pour Michael Hogge , « les produits illégaux sont plus dangereux qu’ils ne le seraient dans des dispensaires. À ma connaissance, il y a aucun gouvernement actuel qui a mis en place un dispositif qui permette aux usagers récréatifs, -pas ceux qui ont une consommation problématique-, d’avoir accès à ces produits de manière réglementée. » Aucun pays n’a donc encore franchi le pas de la légalisation de la cocaïne pour l’usage récréatif, contrairement au cannabis, par exemple. Ce qui est facilement explicable : les risques liés à la consommation de cocaïne sont bien plus grands.

En revanche, la cocaïne ou l’héroïne sont parfois mis à disposition des personnes dépendantes, c’est notamment ce que veulent mettre en place les militants et militantes canadiennes. Pour Michael Hogge (Eurotox), « c’est une politique efficace pour diminuer l’impact sur la santé physique et pouvoir raccrocher ces personnes à un parcours de soins. ».

L’idée est donc de permettre aux usagers dépendants, dont la consommation est problématique et non récréative, de venir chercher une drogue contrôlée et produite par une firme pharmaceutique dans un dispensaire. Tadam, à Liège, proposait notamment de l’héroïne plus contrôlée que celle achetée par le biais d’un dealer et dont on ne connait ni la composition, ni l’origine. « C’était un projet expérimental, à visée de recherche. C’était exactement la même chose que ce qu’envisage le Canada. » explique Michael Hogge.

Solution : la réduction des risques

Pour l’expert, il existe des mesures intérmédiaires, dont l’objectif est « de sensibiliser les usagers au fait que les produits qui circulent sont souvent composés de produits de coupe ou pharmacologiques potentiellement dangereux ». Ainsi, des services de testing de produits psychotropes permettent aux usagers de vérifier, de manière anonyme et souvent gratuite, la composition de leurs drogues. Michael Hogge explique qu’un tel service existe en Belgique : c’est l’association Modus Vivendi, un projet pilote à très petite échelle qui est reconduit depuis plus de 20 ans. « Vous imaginez où on en est pour qu’une projet comme ça soit reconduit sur une durée indéterminée? » s’indigne-t-il.

Pour aller plus loin, un usager peut aussi envoyer un échantillon au laboratoire de test de Sciensano, qui dispose d’outils plus poussés pour connaitre la composition d’un produit. Et ces mesures font partie de la réduction des risques : la consommation récréative, tout en étant illégale et pénalisée, est plus contrôlée.

La première loi répressive en Belgique, celle du 24 février 1921, est la transposition de la Convention internationale de l’opium de 1912. Elle prévoit des peines d’emprisonnement qui peuvent aller jusqu’à une réclusion de 20 ans (en cas de circonstances aggravantes), similaire en cas de meurtre. Des travaux au Sénat ont débuté en 2021 pour évaluer la politique actuelle et cette loi de 1921, afin de proposer d’éventuels ajustements. Les auditions dans le cadre de ce travail sont toujours en cours.

Zoé Leclercq

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