Plus exigeants et moins patients: comment la vie amoureuse des quinquas a évolué
Aujourd’hui, davantage de quinquagénaires sont en quête d’une nouvelle vie amoureuse. Leurs profils font des clics sur les sites de rencontres. Plus exigeants et moins patients, ils vont droit au but.
Des papillons dans le ventre. Un sourire béat. Le souvenir d’un parfum qui émeut. A tous les âges, les signes du sentiment amoureux sont les mêmes. Ce qui a changé, c’est la vie amoureuse des quinquagénaires, devenue objet d’étude et de recherche. Elle n’a même jamais été aussi réelle. Selon Statbel, l’office belge de statistique, la part des personnes de 50 ans ayant déjà rompu au moins une union résidente, cohabitante ou mariée augmente de génération en génération. Près de 40% des mariages finissent par un divorce (sans compter les cohabitations de fait, dont on ignore le nombre).
En 2022, on divorçait, en moyenne, à 44 ans pour les femmes, 47 pour les hommes, et au bout de seize ans et demi de vie commune. Autrement dit, les (pré)quinquas sont de plus en plus souvent célibataires. «On peut aujourd’hui refaire sa vie de couple ou changer de métier après 50 ans. Chose inenvisageable il y a un demi-siècle», analyse le sociologue Serge Guérin, spécialiste du vieillissement et auteur de Les Quincados (Calmann-Lévy, 2019). Car, à cet âge, ils ne sont qu’au mitan de leur existence d’adulte. En effet, la fantastique augmentation de l’espérance de vie (83,8 ans pour les femmes, 79,5 pour les hommes) déroule trois belles décennies devant eux. Surtout, leur condition physique et leur santé se sont considérablement améliorées par rapport à celles de leurs aînés. «Après la guerre, on a “inventé” l’adolescence, quand les études se sont allongées et que la sexualité est devenue plus précoce. De la même manière, on assiste désormais à la naissance d’un nouvel âge, poursuit Serge Guérin. A 50-55 ans débute la deuxième vie d’adulte, à laquelle il faudra donner un nom, un contenu, un statut.»
A 57 ans, on ne joue plus au faux timide! Quand une femme ne me plaît pas, je lui dis.
Lui parle même d’une nouvelle classe d’âge: celle des «quincados» (contraction entre quinquagénaire et adolescent), de 45 à 65 ans, encore en pleine forme, précédant celles des retraités (65-80 ans), puis des aînés, au-delà de 80 ans. Et décrit une sorte d’âge d’or. Les enfants sont grands (ceux du premier lit du moins), les emprunts quasi remboursés, les revenus souvent confortables. Ils héritent à 55 ans, en moyenne.
Les occasions se réduisent
Leur célibat peut donc n’être qu’un passage obligé, un moment de pause, une transition, avant, éventuellement, de nouvelles relations. Mais où et comment se rencontrent-ils? S’il existe des lieux où se retrouvent les jeunes et les personnes âgées, entre les deux, c’est plus ou moins le néant. Pour les quinquas, les occasions de nouvelles rencontres se réduisent. L’entourage compte moins de célibataires et les formes de sorties accessibles pendant la jeunesse disparaissent. D’autant que la sociabilité chez les quadras et les quinquas se fait davantage au cours de dîners ou de virées entre amis appartenant à un petit cercle où se côtoient toujours les mêmes personnes. Exit donc le périmètre de sociabilité ordinaire que constituaient les études, l’entourage proche, les copains, le travail, les sorties…
Nathalie, greffière de 51 ans, s’est séparée de son mari il y a cinq ans. Deux ans après sa rupture et «s’être contentée de sa propre compagnie», elle décide d’adhérer à un groupe pour solos, qui propose aux célibataires de 50 à 65 ans des activités ludiques ou sportives. «Ce que je cherchais, c’était d’abord d’étendre mon cercle amical. Après un divorce, les amis se font plus rares. C’est terrible mais je ne peux pas le dire autrement: chacun a finalement repris ses billes. On garde les amis que l’on a “amenés” dans la relation et on accepte, bon gré mal gré, de renoncer aux autres.» Très vite, elle s’est recréé une petite bande de copines (certes plus âgées) et une vie remplie. «Au début, il faut forcer sa nature mais ça évite de se retrouver seule dans son appartement. Je me rends compte que j’alterne des week-ends ultrachargés, où j’ai tout à fait conscience de faire du remplissage, avec des fins de semaine où je ne vois personne. Je reste chez moi et je me pose, seule avec moi-même», analyse la Bruxelloise. A ce jour, elle a à son compteur une histoire de huit mois. Le reste est constellé d’aventures sans lendemain.
Une cure de jouvence
Les sites de rencontre en ligne présentent, eux, un attrait particulier. Longtemps tabous, ils attirent aujourd’hui de plus en plus de célibataires de 50 ans et plus, pour qui ils sont vus comme une possibilité de sortir du cercle privé. Quelques-uns de ces quinquas solos étaient déjà présents sur les premiers sites comme Meetic, lancé dès 2001. Mais «il y a eu un rattrapage de leur part ces dernières années, déclare la sociologue Marie Bergström, autrice de Les Nouvelles Lois de l’amour. Sexualité, couple et rencontres au temps du numérique (La Découverte). Si bien que les couples formés sur ces plateformes sont plus souvent des deuxièmes que des premières unions.»
Evelyne, 54 ans, commerciale en recrutement, deux grands ados, séparée depuis deux ans, s’est inscrite sur Parship, par défi envers ses collègues qui l’encourageaient à passer le cap. «Quelle est l’autre option? Je suis trop vieille pour les bars et les boîtes et, au boulot, j’y suis depuis tellement longtemps… A part piocher dans les copains des copines, ça devenait compliqué.» Après une vie de couple rangée et un long célibat, les plateformes de rencontres sont une cure de jouvence. «Jamais, je n’aurais osé aller vers un homme. Aujourd’hui, je réalise que les codes ont changé, qu’il ne faut pas prendre la séduction avec autant de sérieux.» En deux ans, elle comptabilise une vingtaine d’aventures, dont certaines se sont transformées en camaraderie. Depuis trois mois, elle fréquente Amed, même âge, et commercial comme elle. Elle a attendu une dizaine de jours et vient de se désinscrire de Parship.
En quelques années, l’offre ciblant les quinquas, au pouvoir d’achat plus important que les moins de 30 ans, s’est pas mal étoffée: Disons Demain, Elite Rencontre senior, Nos Belles Années, Club50Plus… Ces sites ou applis préfèrent, pour rassurer leurs utilisateurs, opter pour un système d’abonnement (entre 10 et 40 euros par mois) pour accéder à l’entièreté de leurs options, plutôt que la semi-gratuité des applications plus classiques – où pullulent parfois les faux profils.
A l’origine de beaucoup d’inscriptions, il y a une solitude. «Je me sentais seul affectivement, pas socialement», raconte Pierre, 57 ans. Ainsi, il lui arrive fréquemment d’accepter un dîner ou un verre «pour voir». «Dès les premières minutes du rendez-vous, je réalise que cela n’ira pas plus loin. Ce n’est pas grave, mais il faut tout de même avouer que j’ai moins d’allant et d’énergie qu’à 30 ans.»
«Célibat partagé»
Sur ces outils numériques, les pratiques des quinquas diffèrent. Ils s’impliquent davantage, rédigent mieux leurs profils, se connectent plus régulièrement et souhaitent rapidement passer à la rencontre physique, en discutant moins en ligne. L’emphase y est mise sur les centres d’intérêt et les valeurs communes. La drague est parfois plus frontale qu’ailleurs et le ton plus direct. «J’ai été marié deux fois. Je sais ce que je veux, poursuit Pierre. A 57 ans, on ne joue plus au faux timide! Quand une femme ne me plaît pas, je lui dis. On n’a plus nécessairement le temps de se tromper de désir.»
Après une séparation, les femmes ressentent un sentiment de libération.
Outre la liberté retrouvée après de longues unions et des enfants plus autonomes, les quinquas ont d’autres particularités. Séparés, divorcés ou encore jamais passés par la case «en couple», actifs, en préretraite, ayant des enfants ou non… Leur profil est protéiforme. Alors, quel est leur point commun? «Dans cette tranche d’âge, soit le projet d’être parent a déjà été réalisé, soit on a tiré un trait dessus, résume Serge Guérin. En découle la volonté de mettre la priorité sur le partage de valeurs et la personnalité. Ils veulent avant tout aborder cette deuxième partie de vie sous l’angle des plaisirs et non plus des obligations.»
Mais forts de l’expérience des relations précédentes, les quinquagénaires ont un niveau d’exigences parfois énorme. Sylvie, 49 ans, professeure de latin, se dit déçue de la superficialité des échanges. «Il y a eu quelques rencontres mais la petite étincelle n’était pas là. Je suis toujours à la recherche d’une rencontre qui ne se produit pas.» L’inconséquence et la versatilité de certains célibataires pèse lourd aussi. Les excuses creuses et les disparitions soudaines finissent par la lasser. «On achève nos histoires aussi vite qu’elles ont commencé.» «Ghosting» (ne plus donner de nouvelles), «mosting» (disparaître mais après avoir fait croire que la relation était sérieuse) et «haunting» (façon d’imposer sa présence par les réseaux sociaux), les quinquas n’échappent pas à ces indélicatesses.
Autre élément mis en avant par les enquêtes sociologiques: des similitudes avec la vision de la vie en couple des jeunes adultes. «Les quinquagénaires ne veulent plus du couple traditionnel, souligne Marie Bergström. C’est surtout vrai pour les femmes.» Fini de partager le même toit, c’est le chacun chez soi qui est privilégié.
Ce sont les femmes qui, la plupart du temps, ont pris l’initiative de la séparation. Ce sont elles, aussi, qui imposent à leur nouveau partenaire des formules de «conjugalité non cohabitante» – contrairement aux hommes. Certes, il faut en avoir les moyens financiers. Certes, on finit parfois par faire toit commun. «Mais, dans la moitié des cas, on a l’impression que ces gens-là sont en train d’inventer un nouveau mode de vie», note Serge Guérin. Diagnostic déjà confirmé par l’enquête «Générations et genre», menée en 2010 en Europe à l’initiative des Nations unies, qui constate que les couples de plus de 50 ans, eux aussi, goûtent assez cette façon très juvénile d’être ensemble sans l’être. Ce «célibat partagé» concernait alors 11,5% des quinquagénaires et 15,4% des quadragénaires. Depuis, aucune étude n’a été réalisée, mais cette catégorie commence à devenir statistiquement repérable.
Une tendance que confirme Evelyne. «Je suis amoureuse et je rêve d’un engagement à deux. Mais je n’ai pas envie du quotidien, de me coltiner les dîners, les courses et les lessives, et de tomber sur une chaussette qui traîne. Il y a des concessions que je n’ai plus envie de faire», confie-t-elle. Elle et Amed passent des semaines chez l’un ou chez l’autre. Mais rapidement la routine pointe. «Je recherche de la complicité et des passions communes, mais j’aimerais inventer une autre façon d’être à deux», affirme-t-elle. Une vie sous le même toit n’est toutefois pas au programme.
Marché déséquilibré
Les deux sexes ne sont pourtant pas à égalité sur le marché de la seconde chance. Ainsi les femmes sans enfant, de moins de 44 ans, se remettent aussi rapidement en couple que les hommes. Quand elles ont un enfant, nettement moins: une sur deux, cinq ans après la séparation. Les pères divorcés sont plus vernis: que leurs enfants soient ou non domiciliés chez eux, ils ont tendance à retrouver plus vite que les mères une nouvelle compagne. Soit parce qu’ils sont libres… soit parce qu’ils ont besoin d’aide.
Mais les enfants masquent une autre inégalité entre les sexes. Les mères se remettent en couple moins fréquemment que les femmes sans enfant parce qu’elles sont, tout simplement, moins jeunes. Certains chiffres sont immuables: il y a peu de deuxième chance pour les femmes de 50 ans. C’est statistiquement exact. Après une rupture d’union, les femmes refont leur vie cinq fois moins fréquemment si elles ont 50-54 ans plutôt que 25-29 ans, tandis que les hommes ne refont leur vie qu’une fois et demie moins fréquemment s’ils sont âgés de 50-54 ans plutôt que de 25-29 ans. Quand ils le font, les hommes se remettent plus souvent en couple avec des célibataires, de préférence plus jeunes, tandis que les femmes choisissent des partenaires séparés ou divorcés, à peu près du même âge que le premier conjoint.
Et si, dès lors qu’elles ont les moyens de vivre seules, elles préféraient garder leur amant à bonne distance, histoire de préserver leurs enfants? Ou leur liberté? Car leur éviction du marché ressemble fort à un choix: porteuses généralement de la charge mentale et domestique au sein de leur ex-couple, les femmes ressentent un sentiment de libération suite à la séparation et se révèlent par conséquent moins enclines à entamer une nouvelle relation.
Evidemment, l’inégalité l’est tout autant sur le marché de l’amour en ligne. D’abord ceci: à partir de 50 ans, les femmes sont plus nombreuses sur les plateformes que les hommes. Cela s’explique par la composition de la population célibataire ; les hommes se remettent plus vite en couple et on dénombre davantage de veuves que de veufs. Le hic: les femmes, elles, cherchent des hommes de leur âge, encore actifs, quand, eux, s’engagent plus souvent avec des femmes plus jeunes, avec parfois l’idée de trouver une compagne pour fonder une nouvelle famille. «Cela explique que les désirs des femmes et des hommes ne se rencontrent pas toujours à ces âges-là, commente Marie Bergström. Un décalage qui se fait au détriment des femmes plus âgées, défavorisées dans les échanges amoureux en ligne.»
Demeurent enfin ces mystères de l’homogamie, qui veut qu’on n’élit pas un second partenaire de profil socioculturel très différent du premier. L’entre-soi persiste donc, même sur Internet, mais il se produit différemment, par le biais des jugements émis sur l’écrit, la présentation de soi et dans ses goûts culturels au sujet desquels on échange. C’est ce que trahit le propos de Sylvie: «Les fautes d’orthographe sont rédhibitoires. Je ne poursuis pas non plus quand on m’adresse un simple: “Salut, comment ça va?”.» On l’a dit: un ton plus direct, plus cash.
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