célibataire
Proportionnellement, le célibataire paie plus d'impôts. Mais il est également pénalisé en dehors du système fiscal. © getty images

Impôts, taxation, charges… Pourquoi les célibataires sont les dindons de la farce économique

Laurence Van Ruymbeke
Laurence Van Ruymbeke Journaliste au Vif

Contrairement aux familles ou aux plus âgés, les personnes qui vivent seules ne bénéficient pas de mesures socioéconomiques spécifiques. En plus de leurs frais fixes, non partagés, elles subissent un système de taxation qui leur reproche, silencieusement, de ne pas s’inscrire dans le modèle familial traditionnel.

Le serveur lui lança un regard noir. Non seulement elle occupait, seule, une table de deux convives, mais en plus, elle souhaitait commander un plat pourtant strictement prévu pour deux personnes. Et puis, quoi encore ! Si la vie dans l’Horeca n’est pas simple, celle des célibataires sans enfant, sur un plan strictement économique, n’est pas un cadeau non plus.

Dans la mentalité générale, on considère qu’un célibataire ne manifeste pas sa solidarité, donc on la lui fait payer autrement.

Première évidence, la prise en charge, seul, de la totalité des frais fixes liés à l’habitat: loyer ou remboursement de prêt hypothécaire et paiement des charges en tout genre (énergie, précompte immobilier, taxes diverses…). Le bonus logement, cette réduction d’impôt pour acheter son propre bien, toujours en vigueur en Région wallonne? Il est attribué deux fois pour les couples, une seule fois pour les célibataires. «Ce qui manque en matière de redistribution des revenus, remarque Philippe Defeyt, économiste et directeur de l’Institut pour un développement durable, c’est une allocation logement énergie qui permettrait d’ajuster le niveau de vie en fonction du revenu du ménage, mais aussi de la taille et de la composition de celui-ci.»

Vivre seul coûte, de fait, proportionnellement plus cher. «Le divorce et la séparation appauvrissent habituellement les ex-partenaires (et leurs enfants), insiste Pierre-Yves Wauthier, sociologue et anthropologue attaché à l’Ecole de sexologie et des sciences de la famille de l’UCLouvain. Les conjoints sous-estiment la probabilité de leur séparation et y sont financièrement peu préparés.» Catherine, maman solo de 44 ans, l’atteste: «Un seul salaire, ça change tout. Je suis passée d’un duplex avec jardin à un appartement avec une chambre et demie…»

Le célibataire paie aussi, toujours proportionnellement, plus d’impôts que les deux membres d’un couple. «Un célibataire sans enfant disposant d’un revenu moyen consacre environ 56,3% de son salaire brut aux impôts et aux cotisations sociales. S’il a un salaire plus élevé, ce pourcentage peut atteindre 60%», a calculé l’association All1, qui défend les solos. Ce que confirment les chiffres de l’OCDE. Comment en est-on arrivé là?

«Lorsqu’à partir de l’exercice d’imposition 2005, le gouvernement a appliqué le décumul total des revenus et individualisé les avantages fiscaux pour les gens mariés ou en cohabitation légale, il a oublié les célibataires, relève Marc Bourgeois, professeur en droit fiscal à l’ULiège. Il a ensuite essayé de rectifier le tir par rapport aux parents solos avec enfants, en majorant la quotité exemptée d’impôts.»

Rien n’a été concédé, par contre, aux célibataires sans enfant. «La question des économies d’échelle, qui échappent par nature aux célibataires, est complètement évacuée dans notre système fiscal, poursuit-il. Les choix fiscaux sont fonction de l’idée qu’on se fait du meilleur choix de vie. L’idée d’une famille à plusieurs était, et est toujours, considérée comme le meilleur par la majorité des partis politiques. Les clivages qui ont surgi entre partis lors de cette réforme fiscale ont porté sur les différentes formes de couple. Mais pas sur la vie en solo, comme si elle n’était pas conseillée

En solo, au risque de la précarité

Vu les moindres garanties financières qu’ils peuvent présenter, les célibataires accèdent moins facilement à un prêt hypothécaire. Lors de leur décès, les amis proches ou filleuls choisis comme héritiers paieront des droits de succession maximaux, qui peuvent grimper jusqu’à 80% à Bruxelles et en Wallonie. «L’idée de départ, en taxant moins les successions intrafamiliales, était de permettre la circulation du capital dans l’unité familiale la plus étroite, rappelle Marc Bourgeois. Le système fiscal actuel reste toujours attaché à l’esprit du XIXe siècle: il défavorise les célibataires sans enfant, l’idée étant que construire un cercle familial solidaire est un moyen de se protéger pour ne pas dépendre entièrement d’un Etat dont la solidarité diminue.» Mais la conception de la famille a évolué et prend désormais de multiples formes. Seule la Cour constitutionnelle pourrait juger si ces mesures fiscales sont discriminatoires ou pas.

« Dans la mentalité générale, on considère qu’un célibataire ne manifeste pas sa solidarité, donc on la lui fait payer autrement »

Bruno Humbeeck

Les célibataires se voient stigmatisés du fait de leur statut particulier jusque dans les hôtels, où il leur faut le plus souvent payer un supplément pour pouvoir dormir seul dans leur lit! Comme si on faisait payer aux célibataires leur différence en les mettant à contribution plus que les autres. Mais pourquoi tant de haine? «Dans la mentalité générale, on considère qu’un célibataire ne manifeste pas sa solidarité, donc on la lui fait payer autrement, assure Bruno Humbeeck, psychopédagogue à l’UMons. On la lui impose de manière plus agressive, en considérant que le niveau de taxation décidé par l’Etat constitue une sorte de rééquilibrage

© getty images

Les célibataires présentent pourtant un risque de pauvreté plus élevé que les couples. Pour autant, ils font très peu l’objet de mesures politiques ou socioéconomiques afin de prévenir ce risque. «On s’occupe surtout des familles parce que la pauvreté infantile est stigmatisée sur la base de concepts normatifs, éclaire Willy Lahaye, professeur de sciences de l’éducation à l’UMons. La valeur de l’enfant est prépondérante.»

Et pourtant… Les familles monoparentales – une sur quatre en Belgique, assumée dans 85% des cas par une mère – sont, sans surprise, en première ligne pour basculer dans la précarité, si ce n’est déjà fait. En Wallonie, 35% des familles monoparentales disposent d’un revenu net inférieur au seuil de pauvreté, suivent les isolés de moins de 65 ans qui, tant à Bruxelles qu’en Wallonie, sont presque 30% à vivre dans de telles conditions.

Dans un contexte où la misère économique peut s’ajouter à la misère affective, deux députées bruxelloises, Carla Dejonghe (Open VLD) et Aurélie Czekalski (MR), ont déposé récemment une note de discussion intitulée «Vivre seul.e à Bruxelles». Celle-ci vise à corriger les politiques discriminantes pour les solos et invite à veiller, pour les politiques à venir, à ne rien mettre en place qui les pénaliserait directement ou indirectement. Les deux députées suggèrent également la création, pour les célibataires, d’une «famille sociale» composée d’amis, de voisins, de filleuls, de parents au quatrième degré ou plus, qui pourraient entrer en ligne de compte sans surtaxation, par exemple pour la succession.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire