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manspreading © Getty

Greenwashing, juicing, slashing, bropropriating… Pourquoi cette overdose des mots en « ing »

Ludivine Ponciau
Ludivine Ponciau Journaliste au Vif

Le greenwashing fait son entrée au dictionnaire. Chaque semaine ou presque, de nouveaux transferts de l’anglais au français surgissent. Pour désigner un phénomène ou un comportement propre à un écosystème, ou par pure branchitude.

Plutôt souping ou juicing pour un dating ou un colunching au coworking aujourd’hui(ng)? Quoi, vous ne parlez pas le « ing »? On vous l’accorde: il n’est pas toujours simple de s’y retrouver dans tout ces néologismes et ces transpositions linguistiques qui nous amènent à nous exprimer chaque jour un peu plus en franglais.

L’un d’eux, le « greenwashing », soit l’utilisation fallacieuse d’arguments faisant état de bonnes pratiques écologiques dans des opérations de marketing ou de communication, vient de faire son entrée au Larousse et au Robert. Bien d’autres mots en « ing » y ont déjà trouvé leur place. Pour la plupart, leur intégration dans le langage usuel remonte d’ailleurs à plusieurs décennies, voire même à plus d’un siècle, explique le linguiste Michel Francard.

« On s’est rendu compte que cette vogue des formes de mots en « ing » remonte déjà au XIXe siècle. La première attestation écrite du mot shopping, par exemple, remonte à 1804, de training à 1854, de smoking en 1888. Cette tendance a suivi son chemin. C’es ainsi qu’on a vu apparaître le mot brushing en 1966, shooting en 1970 ou plus récemment crowdfunding, en 2011. Aujourd’hui, on découvre toute une série de nouvelles créations qui visent des domaines extrêmement précis comme le well-being, pour ne pas dire bien-être. Je pense au showering (sorte de sacralisation de la routine de la douche, ndlr) ou le contouring enseigné dans les tutos de maquillage. On en découvre également dans d’autres domaines, pas très éloignés du bien-être d’ailleurs, comme la gastronomie avec le juicing, le souping, le topping, etc ».

Mais c’est sans doute dans le monde du travail que le « ing » a le plus gagné du terrain. L’anglais étant la langue des échanges commerciaux internationaux, il n’est guère étonnant que le vocabulaire du monde des affaires soit truffé de termes et d’expressions spécifiques à chaque secteur d’activité. Ce qui est plus récent, c’est l’anglicisation de tout ce qui se rapporte au monde du travail : brainstorming, meeting, coworking…. et à la crise qu’il traverse: quiet-quitting (se désinvestir de son travail en en faisant le moins possible), slashing (exercer plusieurs métiers à la fois, ça sonne mieux que situation professionnelle précaire) ou encore moofing (travailler hors de chez soi, dans les cafés ou les parcs).

« A la base, les mots comme meeting, marketing, brainstorming viennent pour la plupart de l’univers de la communication, explique dans Le Monde la chercheuse en sciences du langage Geneviève Tréguer-Felten, auteure de Langue commune, cultures distinctes : les illusions du globish (Hermann, 2018). Ils sont apparus il y a ­environ une vingtaine d’années, mais aujourd’hui, on peut véritablement parler d’invasion« .

Se démarquer des « autres »

L’apparition de tous ces mots en « ing » ne toucherait toutefois pas tous les secteurs, uniquement ceux où le fait de se démarquer est important, nuance Michel Francard. « Plus généralement, cela fait partie de cette forme d’attirance que certaines personnes développent pour le globish (anglais au vocabulaire limité et à la syntaxe élémentaire, employé comme langue véhiculaire, Le Robert) que l’on doit mettre à la fois sur le compte de la volonté de se démarquer mais aussi parfois d’un certain snobisme. Outre les problèmes de communication que l’apparition de tous ces nouveaux concepts peut entraîner – bien que les références soient souvent explicitées dans des illustrations, ce qui diminue le risque de mécompréhension – cela donne le sentiment qu’on a là un domaine du français qui devient de plus en plus étranger à certaines couches de la population ou à certaines tranches d’âge« .

Le chamboulement provoqué par les applis de rencontre a aussi généré son lot de nouveaux mots pour désigner des comportements souvent peu respectueux mais qui ont toujours existé sous d’autres formes. En voici un florilège: après le ghosting (mettre fin à une relation du jour au lendemain en disparaissant de la circulation) et sa forme extrême le mosting (disparaître sans donner de nouvelles après avoir fait croire à son partenaire qu’il est nôtre âme sœur), voilà le serendipidating (repousser sans cesse un premier rendez-vous dans l’espoir de trouver mieux d’ici là). Ou encore le submarining (disparaître soudainement pour ressurgir sans s’excuser), le breadcrumbing ­(faire miroiter une relation sans vraiment vouloir s’engager) et l’orbiting (ignorer une personne tout en continuant de suivre assidûment sa vie sur les réseaux sociaux).

L’effet #

Tinder, TikTok, Insta… : les réseaux sociaux et « l’hashtagisation » du monde qu’ils nous proposent sont-ils les principaux pourvoyeurs de ces nouvelles étiquettes ou ne sont-ils que des amplificateurs de tics de langages qui circulent déjà dans certains milieux ou certains microcosmes?

« Les réseaux sociaux amplifient cette tendance, c’est certain. Tout contenu numérique peut, à un moment donné, être valorisé par les réseaux sociaux. Evidemment, la distance avec les personnes qui ne pratiquent pas les réseaux sociaux s’accroit également. Il est difficile d’identifier l’origine de ces tendances, je n’ai pas connaissance d’études sur le sujet, mais je crois qu’elles émanent souvent de personnalités qui bénéficient d’une reconnaissance médiatique suffisante que pour pouvoir faire émerger ces créations lexicales », évalue encore le linguiste.

La viralité du hashtag, lorsqu’il est politique ou symbolique comme #MeToo, #balancetonporc ou #balancetonbar, permet aussi de faire avancer des causes et de porter des revendications. Mieux qu’une image ou un long discours, certains néologismes permettent de bien visualiser la situation. On pense au manspreading (tendance qu’ont les hommes à s’asseoir les jambes écartées pour occuper l’espace), au mansplaining (expliquer à une femme ce qu’elle sait déjà), au bropropriating (quand un homme s’approprie l’idée d’une femme), au maninterrupting ( couper la parole à une femme lors de discussions ou de débats) ou encore au manslamming (bousculer les femmes dans l’espace public, consciemment ou non).

A l’avenir, d’autres « ing » viendront très certainement bousculer (ou égayer) nos habitudes langagières. Reste à savoir s’ils s’inscriront suffisamment dans la durée pour entrer au palmarès du dico.

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