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Votre argent est-il responsable du réchauffement climatique? Les réponses de six banques belges

Thierry Fiorilli
Thierry Fiorilli Journaliste

Sous accusation, le secteur bancaire avoue que notre argent a sa part de responsabilité dans le réchauffement climatique. Des solutions sont mises en place, progressivement.

Si notre argent, à savoir notre épargne, nos placements et nos investissements servent aujourd’hui encore à financer une économie carbonée, avouent les acteurs de la finance, ils serviront aussi à financer sa décarbonation, raisonnent-ils. C’est en cours. Explications par six d’entre eux, présents en Belgique.

Belfius – «Pas d’autre choix que d’avancer vers plus de durabilité»

Truike Vercruysse, responsable développement durable chez Belfius, rappelle que, dans le cadre du Pacte vert pour l’Europe, ou Green Deal, lancé en 2021, «la Commission européenne a adopté de nombreuses législations qui poussent les institutions financières à démontrer leur durabilité actuelle et leurs efforts pour mener la transition vers une société plus durable. L’ambition: réaliser rapidement un accroissement significatif des capitaux disponibles pour les activités vertes ou de transition.» Bref, «le secteur bancaire n’a pas d’autre choix que d’avancer vers plus de durabilité et de transparence».

Truike Vercruysse, Belfius
Truike Vercruysse, Belfius © National

Belfius s’est doté, en 2020, d’une «Transition Acceleration Policy», où figure la fin progressive (d’ici à 2030) des investissements et crédits dans «les entreprises tirant 10% ou plus de leurs recettes de l’extraction de charbon thermique, de pétrole et de gaz non conventionnels (gaz de schiste, sables bitumineux, forage arctique), dans celles ayant des projets d’expansion en lien avec ces secteurs et dans celles actives dans l’extraction de pétrole et de gaz conventionnels si leurs recettes tirées du gaz naturel ou de sources d’énergie renouvelables sont inférieures à 40%». Mais «vu la dépendance actuelle de notre économie à l’égard des combustibles fossiles, les infrastructures disponibles et les inégalités sociales accrues pouvant faire suite à une transition radicale, il est impossible de passer du jour au lendemain aux énergies renouvelables».

L’an dernier, «Belfius a estimé, pour la première fois, ses émissions CO2 liées aux prêts hypothécaires, automobiles et aux entreprises, à l’immobilier commercial, au financement de projets dans la production d’électricité, aux actions et aux obligations. Les résultats, publiés en avril, permettront d’identifier les poches d’émissions les plus importantes sur lesquelles travailler en priorité, au niveau des citoyens et des entreprises». En tout cas, «entre 2019 et 2022, nous avons réduit de 30% l’empreinte carbone de nos opérations».

ING – «Toute la société nous y pousse»

L’importance d’une banque, resitue Vanessa Temple, responsable de la durabilité chez ING Belgique, «réside dans ses actifs, soit essentiellement son portefeuille de crédits, aux particuliers et entreprises. Le bilan du groupe ING s’élève ainsi à 950 milliards d’euros, dont 635 de portefeuille de crédits, et pour ING Belgique, à 115 milliards, dont 108 de portefeuille. Dans son Green Deal, l’Europe a défini des feuilles de route de décarbonation pour les secteurs industriels. Mais il faut de l’argent pour changer, investir, trouver des nouvelles technologies, les déployer… Donc, les banques, les gestionnaires d’actifs, les compagnies d’assurances, les fonds de pension doivent financer cette transformation de l’économie. L’Europe, nos régulateurs divers, nos clients, nos actionnaires, toute la société, au fond, nous poussent à le faire. Avec nos masses de capitaux.»

Vanessa Temple, ING Belgique
Vanessa Temple, ING Belgique © National

ING, qui fait partie de la Net-Zero Banking Alliance depuis 2021 – Net-Zero est l’engagement de l’Europe pour 2050: émissions de gaz à effet de serre à un niveau aussi proche que possible de zéro –, a commencé. «Nous accompagnons nos clients dans la transition, par du conseil et, surtout, par du financement. Nous nous sommes fixé des objectifs chiffrés, publics, sur des réductions d’exposition sur certains secteurs. Dans notre portefeuille de prêts à l’industrie génératrice d’énergie, entre 50% et 60% sont ainsi déjà alloués au renouvelable et on aura augmenté ce volume de 50% en 2025. Depuis les Accords de Paris, nous avons aussi développé l’approche “Terra”, qui mesure l’intensité carbone dans les neuf secteurs à plus haute intensité carbone dans notre portefeuille, puis nous alignons ce portefeuille avec les trajectoires de décarbonation européennes ou mondiales. Nous allons donc toujours plus diriger nos prêts vers ces trajectoires et nous venons d’introduire dans les processus d’approbation de nos transactions de financement ces critères d’alignement climatique. Auparavant, les critères étaient essentiellement de risques et de rentabilité.»

En 2015, ING a décidé l’arrêt du financement de centrales à charbon. Pareil, en 2022, «pour les nouveaux forages et projets de pétrole et gaz. Soit, en 2030, une diminution de nos volumes de financement de 19% par rapport à 2019. En émissions de CO2, nous serons à – 53% par rapport à 2010 dans le secteur de génération d’énergie et à – 49% dans celui de l’automobile. Et nous venons d’étendre Terra au stockage et au transport de gaz et pétrole.»

BNP Paribas – «C’est une transformation en profondeur»

Antoine Sire, responsable de l’engagement d’entreprise au sein du groupe BNP Paribas, affirme qu’«à l’horizon 2030, nous aurons accompli à plus de 80% la transition de nos activités de financement à la production d’énergie vers le bas carbone. Dès 2017, nous avons décidé de ne plus financer les spécialistes des hydro-carbures non conventionnels. En 2019, nous avons fixé un calendrier de sortie définitive du charbon thermique à l’horizon 2030 (OCDE) et 2040 (reste du monde), ce qui a mis fin aux relations avec plus de la moitié de nos clients compagnies d’électricité. Fin 2022, notre exposition de crédit aux énergies bas carbone a dépassé celle aux énergies fossiles (55% – 45%) alors qu’il y a une dizaine d’années, c’était 10% – 90%. Et début 2023, nous sommes sortis de l’exploration-production pétrolière, avec un objectif de réduction à moins d’un milliard d’euros de l’exposition de crédit en 2030, soit une baisse de plus de 80% par rapport à l’actuelle.»

Antoine Sire, BNP Paribas
Antoine Sire, BNP Paribas © National

Pourquoi avoir tant attendu? Parce que, «dans une société construite historiquement sur les énergies fossiles, c’est une transformation en profondeur de tout le secteur financier. Nous devons construire les référentiels communs et les bons outils de mesure. En 2022, nous avons ainsi publié un rapport permettant de piloter l’alignement de notre portefeuille sur notre engagement Net-Zero, avec des objectifs de réduction d’émissions carbone financées dans trois secteurs clés: la production d’électricité, l’extraction de pétrole et de gaz et leur raffinage, et l’automobile. Ce rapport sera mis à jour chaque année et complété par de nouveaux secteurs parmi les plus émetteurs.»

En fait, « notre approche consiste à accompagner les entreprises clairement engagées dans une transition de leur modèle. Comme les grands énergéticiens, indispensables aux besoins des populations et pour transformer nos économies, car les acteurs historiques du fossile sont souvent ceux qui investissent le plus dans les énergies bas carbone. Refuser par principe de financer la transformation de leur modèle risquerait de freiner la transition. De la même façon, la majorité des financements obligataires que nous structurons pour les industriels de l’automobile ont pour objectif de permettre la transformation de leurs usines en unité de production de véhicules bas carbone. Mais si une entreprise ne peut ou ne veut pas s’inscrire dans cette trajectoire, nous cessons nos relations commerciales avec elle. Pour nous, les entreprises les plus investies aujourd’hui dans la transition et proposant des solutions pour y parvenir seront demain les plus performantes. Souvent, c’est déjà le cas.»

NewB/VDK – «Investir dans le fossile n’est plus pensable»

Bernard Bayot, président du conseil d’administration de NewB, qui passe en avril sous le pavillon de VDK, et directeur de Financité, asbl prônant la finance responsable et solidaire, rappelle qu’«il y a un an, le Giec indiquait que si l’on voulait atteindre les objectifs de l’Accord de Paris, on devait augmenter les investissements verts de l’ordre de trois à six fois. Donc, la finance et l’orientation des investissements ont bien une influence décisive sur la trajectoire climatique. Par exemple, si j’investis 2 500 euros dans Shell, ils produiront grosso modo l’équivalent de mon empreinte carbone annuelle totale.» Autrement dit, «il n’est plus pensable que des banques investissent encore dans le fossile. Nous, nous offrons la garantie que l’argent placé et déposé chez nous ne sera pas utilisé dans des émissions de CO2.»

Bernard Bayot, NewB
Bernard Bayot, NewB © BELGA

Une goutte d’eau? «117 000 citoyens ont adhéré à NewB, soit un bon pour cent de la population belge, ce qui pour un projet bancaire, dans l’histoire sociale est significatif. En 2013, sur les 43 000 adhésions, la courbe des âges était assez conforme à celle de la population, voire un peu plus du côté de la deuxième partie de vie. Mais en 2019, l’âge le plus représenté était 29 ans. Il y a donc eu une évolution sensible dans la prise de conscience des jeunes sur l’enjeu climatique et sur le levier que peut constituer la finance.»

Triodos – «Avec nos projets, contribuer de manière positive»

Thomas Van Craen, directeur de Triodos Belgique, insiste sur la distinction entre «l’argent que le particulier confie à la banque et la destination du crédit que la banque alloue avec cet argent. Notre politique fait en sorte que les activités financées par Triodos ont un impact positif sur la société. Et nous voyons un nombre croissant de personnes quitter des banques plus traditionnelles pour nous confier leur épargne et des porteurs de projets souscrire un crédit. La complexité de la situation en Belgique fait que nous n’y offrons pas de comptes courants mais tous nos crédits, tous, sont soumis à des conditions minimales, publiques et ayant trait, notamment, à l’absence d’investissements dans les énergies fossiles. Nous avons aussi déterminé cinq transitions nécessaires – la décarbonation, l’économie circulaire, les systèmes agricole et alimentaire et l’inclusion sociale – auxquelles nos projets doivent contribuer de manière positive.»

Thomas Van Craen, Triodos Belgique
Thomas Van Craen, Triodos Belgique © National

Au fond, la question est: «A quoi bon créer un rendement financier si on laisse à nos enfants et petits-enfants une planète qui n’est plus habitable? C’est tout le côté relatif des rendements financiers purs et durs. Nous essayons donc d’être très transparents sur l’impact créé avec l’argent: “Voilà, ce fonds, cette épargne, ne vous a pas seulement créé un rendement financier, mais aussi un rendement sociétal écologique, entre autres en matière d’émissions de gaz à effet de serre évités.” Cette question revient à se demander si les gens doivent être prêts à perdre de l’argent pour le bien commun.»

Febelfin – «La réorientation des flux a débuté en 2018»

Selon Tom Van den Berghe, directeur finance durable de la Fédération belge du secteur financier, «les réorientations des flux financiers ont surtout commencé à partir de 2018 et la publication d’un rapport du Giec sur la finance durable. L’Europe a alors créé un plan d’action puis une stratégie “finance durable”, et lancé le Green Deal et une avalanche d’initiatives, surtout législatives, sur le secteur financier: la taxonomie, qui classifie les activités économiques en fonction de leur impact environnement/climat pour orienter les investissements vers les activités “vertes” ; le Sustainable Finance Disclosure Regulation, qui oblige à la transparence tous les produits d’investissement ; le MiFID, la directive sur les marchés d’instruments financiers, qui impose aux banques, depuis l’été dernier, de demander à leurs clients s’ils veulent investir dans le durable… Désormais, la durabilité est vraiment au cœur du secteur financier, du côté financement, régulation et supervision.»

Autant de décisions qui, avec les tests de résistance des portefeuilles des crédits des banques à l’impact climatique, indiquent «une direction claire: cela deviendra beaucoup plus risqué et moins attractif de financer des activités haut carbone et moins risqué et plus attractif de financer des activités bas carbone et plus durables».

Grand débat Le Vif

L’impact de notre argent sur le climat

Le 19 avril, à 19 h 30, à Flagey , à Bruxelles.

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