Thierry Fiorilli

C’est beau comme… les scènes d’opéra qui changent des vies

Thierry Fiorilli Journaliste

Avec L’Opéra en fusion, l’Opéra royal de Wallonie fait jouer quatre grands classiques par des jeunes de 14 à 29 ans. L’aboutissement d’un projet lancé il y a plus d’un an.

On voit les cœurs battre la chamade, fort. Celles qui sourient, radieuses et essoufflées. Ceux, comme hébétés, qui semblent ne pas y croire. Celles qui sont toujours dans leur personnage, d’une autre histoire, d’un autre univers. Ceux qui voudraient hurler de jubilation. Celles qui retiennent des larmes. On voit 80 jeunes, de 14 à 29 ans. Debout, face à la salle qui s’est levée elle aussi, pour les ovationner. Quatre-vingts jeunes immobiles, emmêlés, bras écartés, dans leurs costumes somptueux, là, sur la scène prestigieuse de l’Opéra royal de Wallonie, à Liège. Quatre représentations, échevelées, mi-mars. Quatre fois plus de 900 personnes. Quatre standing ovations. Quatre révolutions.

Le couronnement d’un projet démarré quinze mois plus tôt: la cinquième édition de L’Opéra en fusion. L’idée est née il y a une dizaine d’années: faire revisiter des opéras par des maisons de jeunes, ces lieux subsidiés par la Fédération Wallonie-Bruxelles où des ados et plus peuvent se retrouver, n’importe quand, gratuitement, sans distinction, sans discrimination, quelle que soit leur situation sociale, pour discuter, donner ou recevoir un coup de main scolaire, jouer, chanter, dessiner, graffer, tout ce qui contribue à les aider à devenir des citoyens «responsables, actifs, critiques et solidaires». Des lieux ouverts sur la vie, mais avec la porte donnant plus souvent sur la rue que sur le green, le boudoir ou le hall au plafond lambrissé. Une rue à cahots, comme en descente, on voit plein d’impasses autour.

Une étape clé. De celles qui font sortir d’un sentiment d’insignifiance pour entrer en zone de reconnaissance.

Les jeunes qui saluent, là, devant le public envoûté, viennent de neuf de ces MJ, comme on dit, des provinces de Liège (La Bruyère, Angleur, Engis, Verviers, Saint-Nicolas, Spa et le centre-ville liégeois), de Namur (Evelette) et de Hainaut (Braine-le-Comte). Il y a là, sur scène, toutes les couleurs, toutes les tailles, des filles à foulard, des gars à lunettes, des tatouages, des qui savaient déjà y faire, des arrivés à reculons. Pour la plupart, ces 80-là n’avaient jamais mis un pied à l’opéra. Alors, on leur a fait découvrir les lieux, à l’ORW, des coulisses à la salle de velours rouge, on les y a emmenés voir trois pièces, on les a lancés sur Roméo et Juliette, qu’ils ont réécrit, à leur façon, avec leurs regards, leurs forces créatrices, leurs énergies, leurs âmes mises à nu, Luc Jaminet, spécialisé en méthodologie de la création collective, étant chargé de la mise en scène. Pendant douze mois, c’était se retrouver le dimanche, depuis tôt jusqu’à tard. Avec des pros, pour conseiller, pousser, scénariser, chorégraphier, répéter. Pour les arrangements musicaux, les lumières, les costumes.

Et puis, les quatre représentations. De deux heures. Chants lyriques et chant turc, piano et langage des signes, harpe et slam, vidéo et ballerines, rap et menuet, La Flûte enchantée et une rave clandestine, Turandot et guitare électrique, du latin et de l’anglais, théâtre et mime, jabots et Matrix… Pour une histoire plutôt sombre, avec des Roméo souvent méchants et des Juliette toujours victimes, mais un spectacle lumineux, vibrant et bouleversant. La foule n’acclame d’ailleurs pas seulement ces 80 artistes, leur implication, leur talent, leur grâce, leur diversité et leur chef-d’œuvre collectif: elle applaudit cette étape clé de leur parcours. De celles qui font sortir d’un sentiment d’insignifiance pour entrer en zone de reconnaissance. De celles qui changent une vie. En ouvrant une porte qui donne sur une rue qui monte, on voit plein d’horizons autour.

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