Vent de crise sur les salaires

Avec une inflation nettement réduite et la morosité ambiante, la revalorisation salariale moyenne de 7,2% connue en 2008 (dont 3,8 % liés à l’indexation) fait bel et bien partie du passé. L’heure est désormais aux vaches maigres.

En 2008, la revalorisation moyenne du salaire de base des travailleurs belges s’est affichée à 6,1 %. C’est ce que révèle l’étude sur les salaires menée par Berenschot Belgium et Partena. Dans ce chiffre est incluse la répercussion de la hausse du coût de la vie à hauteur de 3,8 %, ce qui traduit une progression réelle de 2,3 %. Il faut toutefois noter que la mesure a été prise dans le courant de l’année, soit avant que la crise financière ne se transforme en crise  » tout court  » et que l’indexation des salaires ne soit appliquée dans tous les secteurs.

 » Si le principe d’indexation est général, son application traduit une énorme disparité selon les secteurs, explique Vincent Van Damme, consultant senior chez Berenschot. On dénombre environ 150 systèmes différents dans le pays, ce qui peut produire une différence substantielle selon la convention collective de travail (CCT) dont vous relevez. Avec l’inflation galopante connue en 2008, certains secteurs ont connu jusqu’à trois indexations – c’est le cas du secteur pétrolier – alors que d’autres, comme la commission paritaire auxiliaire 218 dont relèvent la plupart des employés, ont dû attendre le 1er janvier 2009 pour être indexés. « 

Conséquence ? Prenons deux salariés, l’un relevant de la CP 207 (chimie) et l’autre de la CP 218, avec une rémunération mensuelle brute identique de 4 000 euros au 1er janvier 2008. En cours d’année, le premier aura été indexé à deux reprises, à raison de 4,04 %, tandis que le second aura dû attendre le 1er janvier 2009 pour être indexé de 4,51 %.  » A première vue, le salarié de la CP 218 sort donc gagnant. Mais, sur l’année 2008, la rémunération fixe annuelle – incluant double pécule de vacances et treizième mois – du travailleur de la chimie s’élèvera à 57 205 euros pour 55 680 euros au travailleur de la CP 218. Soit une différence de 1 525 euros brut, ou 2,7 % « , pointe-t-il (voir tableau page 3).

 » Dès lors, la lecture du dernier accord interprofessionnel tend à prouver qu’il s’agit d’une occasion manquée, pour deux raisons au moins, indique Luc Vanophalvens, senior consultant chez Berenschot. Tout d’abord, cet accord a esquivé le débat sur le rapprochement des statuts d’employé et d’ouvrier qui ont perdu, largement, leur raison d’être (lire également en page 13). Ensuite, alors que l’inflation était un sujet brûlant, il a raté l’occasion d’instaurer un système légal unique liant les salaires à l’indice des prix pour l’ensemble des travailleurs. Sans que cela coûte plus cher, on aurait pu avoir un mécanisme réellement interprofessionnel ! « 

Rémunération verrouillée

Avec une revalorisation hors index de 2,3 %, le cru 2008 s’inscrit dans la lignée de l’année précédente : 2,4 %, mais dépasse largement les augmentations enregistrées en 2006 (1,5 %) et en 2005 (1,6 %).  » Il faut bien constater que le niveau moyen de rémunération évolue assez peu en Belgique, puisqu’il est verrouillé par les mécanismes d’indexation et les conventions collectives de travail (CCT), souligne Vincent Van Damme. Les ajustements s’opèrent donc à la marge, sans évolution spectaculaire, ni à la hausse ni à la baisse. « 

La crise devrait donc avoir des effets limités, si ce n’est sur la partie variable.  » En 2008, mais sur la base d’une mesure d’avant la crise, si l’on prend en considération le variable, le travailleur moyen a vu son salaire total progresser de 7,2 %, soit de 3,4 % hors indexation, constate-t-il. Mais il y a fort à parier que ce différentiel de 1,1 % entre le salaire de base et le salaire total, à savoir variable inclus, se réduise à quasi rien cette année, au vu des résultats catastrophiques qu’annoncent actuellement la grande majorité des entreprises. « 

Avec la crise économique, les entreprises tirent le frein à main en matière de dépenses. Jouer sur le salaire variable étant si pas impossible (lire encadré page 49), du moins difficile, c’est le levier des réductions d’effectifs qui est activé. Ainsi, d’après le Bureau fédéral du Plan, il devrait y avoir 56 700 personnes occupées en moins au dernier trimestre 2009 par rapport au quatrième trimestre 2008. Dans le contexte d’une poursuite de la croissance de la population active, le nombre de chômeurs augmenterait davantage, en 2009, que le nombre d’emplois perdus : + 62 200 unités (chômeurs âgés non demandeurs d’emploi inclus).

Modération salariale

Une récente étude réalisée par un prestataire de services RH étaie ces sombres perspectives. D’après celle-ci, 41 % des entreprises ont été confrontées à l’une ou l’autre forme de restructuration au cours des trois dernières années, alors qu’une société sur deux s’attend à devoir y faire face en 2009. Là où, par le passé, il s’agissait, dans 13 % des cas, d’une reprise et, dans 12 % des cas, d’une réorganisation interne ayant un impact sur plus d’un dixième des effectifs totaux, ce sont désormais surtout de grandes réorganisations internes (19 %) et des réductions de capacité (11 %) qui figurent à l’ordre du jour.

 » Malgré tout, un certain nombre de profils restent difficiles à trouver sur le marché, comme les ingénieurs industriels ou les informaticiens qui continuent à voir leur salaire orienté à la hausse, relève Vincent Van Damme. Mais même lorsque l’économie était au beau fixe, on n’a plus constaté d’inflation des conditions salariales offertes comme ce fut le cas au tournant de l’an 2000 lorsque les professionnels de l’IT signaient leur contrat dans les showrooms. Cette période est devenue un point de référence dont les employeurs ont tiré les leçons, en évitant désormais de tomber dans la surenchère. « 

Pour la grande majorité des travailleurs, le temps des vaches maigres est revenu.  » Les gens sont moins préoccupés par leur salaire que par la perspective de perdre leur emploi, pointe-t-il. Dans cette crise dont personne n’aurait pu imaginer l’ampleur il y a quelques mois encore, les employeurs en arrivent à demander d’accepter la modération salariale, voire même des réductions de salaire pour limiter la casse… sans assister à de réelles sur-réactions de la part des travailleurs. Ce qui démontre la prise de conscience par rapport à la gravité du malaise. « 

Portée réduite

Autre tendance détectée par les experts de Berenschot : le succès rencontré par le nouveau système de bonus lié aux résultats ou à la réalisation d’objectifs collectifs mis en place dans le cadre de la CCT 90. Celui-ci permet d’attribuer au personnel ou à certaines catégories de travailleurs une prime pouvant atteindre 2 200 euros, exonérée de cotisations ordinaires de sécurité sociale et non soumise à l’impôt des personnes physiques. Nombre d’employeurs ont saisi l’aubaine de profiter de cette formule offrant quasiment du brut pour net. Illustration : pour octroyer 1 000 euros en net au travailleur, il en coûte à l’employeur 1 330 euros, intégralement déductibles à l’impôt des sociétés.

Mais, là aussi, la crise risque bien d’en limiter les effets.  » Si le dispositif connaît un gros succès dans les entreprises, le simple fait que l’octroi du bonus en question soit conditionné à l’atteinte d’objectifs en réduit la portée dans la morosité économique ambiante, commente Jacques Hodeige, directeur général adjoint chez Berenschot. Mais tout dépend bien entendu des objectifs fixés : s’ils ont été exprimés en termes de progression du chiffre d’affaires ou de marge, le bonus risque fort d’être maigre ou inexistant. En revanche, s’ils ont été exprimés en termes de maîtrise de coûts, les objectifs ont de fortes chances d’avoir été rencontrés… « 

Le principe de participation aux résultats n’est pas nouveau, note pour sa part Vincent Van Damme.  » Mais il avait tendance jusqu’ici à être surtout appliqué dans des environnements commerciaux où les résultats sont directement perceptibles. Le dispositif prévu par la CCT 90 a une vertu pédagogique : il met l’accent sur la diversité des objectifs sur la base desquels un bonus peut être octroyé. Il est, par exemple, possible de définir des objectifs liés aux bénéfices ou au chiffre d’affaires, mais également dans le domaine de la fidélisation des clients, de l’obtention d’un label de qualité, d’efforts d’innovation, de diminution de la consommation d’énergie, d’adaptations écologiques, etc. « 

La dimension collective des objectifs à atteindre représente en outre un facteur attrayant pour les entreprises souhaitant miser sur l’esprit de groupe. C’est le cas de Lutosa qui a été parmi les précurseurs dans l’application de la CCT 90.  » L’entreprise octroyait déjà une prime à la performance, mais uniquement aux employés, explique ainsi Françoise Bayart, sa directrice des ressources humaines. Quand la mesure est entrée en vigueur, nous avons décidé de la rendre applicable à l’ensemble du personnel, car elle s’aligne sur plusieurs de nos valeurs : l’esprit d’équipe, la capacité à se différencier dans un environnement concurrentiel, l’esprit d’initiative, etc. Le système est le même, que l’on soit cadre dans les bureaux ou trieur de pommes de terre dans l’usine. « 

Conforme à l’objectif que s’est fixé l’entreprise d’être  » meilleure que la concurrence « , l’avantage consiste en un pourcentage des appointements annuels du collaborateur, calculé sur la base de l’écart entre le cash-flow (bénéfice après amortissement) de Lutosa et le cash-flow moyen d’une liste définie d’entreprises concurrentes. S’il est positif, un bonus est octroyé en fonction de son ampleur.  » L’avantage d’une telle formule est d’être transparente, simple et vérifiable. Chacun peut aller consulter les chiffres à la Centrale des bilans de la Banque nationale « , appuie-t-elle. Le premier bonus collectif devrait ainsi être versé cette année…

Lesa avantages « new age » en perte de vitesse

Alors que, dans le contexte de la guerre des talents encore d’actualité l’été dernier, les avantages dits  » new age  » – à savoir ces services par lesquels les entreprises essaient de contribuer à un meilleur équilibre entre vie professionnelle et vie privée, comme les services de repassage, de laverie, de courses, ou le fitness et les équipements sportifs – apparaissent en perte de vitesse.  » Ils font les frais des opérations de réduction de coûts et leur mise au frigo semble montrer qu’ils font plus partie d’une politique d’image des employeurs que d’une véritable politique de rémunération « , souligne Vincent Van Damme.

En revanche, le titre-repas continue à avoir la cote, alors qu’il est déjà largement répandu dans les entreprises. L’accord interprofessionnel est de nature à encore le renforcer puisqu’il a prévu une enveloppe nette de 250 euros par travailleur pour les années 2009 et 2010 (dont 125 euros pour 2009) afin d’augmenter le pouvoir d’achat des travailleurs. Celle-ci servira notamment à financer une hausse de la valeur faciale des titres-repas et les éco-chèques permettant l’achat de produits et de services à caractère écologique, énumérés limitativement dans une convention collective de travail.

Dernier constat : au-delà de la dimension collective stimulée par le dispositif de la CCT 90, la tendance à récompenser la performance individuelle continue à gagner du terrain dans les entreprises.  » Elle est poussée par l’obligation de mettre fin aux systèmes barémiques liés à l’âge, explique Jacques Hodeige. Les employeurs, soit se sont rabattus sur des systèmes fondés sur l’ancienneté, soit explorent des pistes plus ambitieuses portant sur la reconnaissance des performances et des compétences. « 

Cette seconde orientation, le directeur général adjoint de Berenschot l’estime porteuse de valeur.  » Si un frein a été mis à la guerre des talents, la perspective du départ massif des baby-boomers à la retraite reste d’actualité, conclut-il. Les employeurs doivent donc veiller à se préparer à la sortie de crise en analysant bien les compétences dont ils auront besoin à court et à moyen termes. Dans ce contexte, adopter une gestion dynamique des ressources humaines, misant sur l’évaluation et le développement des compétences prend tout son sens. La crise représente également une opportunité unique de fidéliser son personnel non plus à coups de progression salariale mais par la manière de traiter les personnes dans la tempête… « 

Dossier réalisé par Christophe Lo Giudice

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