Peurs à haut débit

Christine Laurent
Christine Laurent Rédactrice en chef du Vif/L'Express

IL MÉRITE PLUS QU’UN SIMPLE COUP D’îIL, UN REGARD distrait, une moue dubitative. Le sondage Ipsos ( Global Views on Immigration), que nous publions cette semaine, laisse pantois. Impossible, la photographie qu’il nous renvoie ne peut nous ressembler ! Et pourtant les chiffres sont tombés, tout crus : la méfiance à l’égard des étrangers et le rejet de l’immigration s’accentuent en Belgique, une tendance que nous partageons avec la Russie, la Grande-Bretagne et les Pays-Bas. Mais comment en est-on arrivé là ? Comment expliquer ce ras-le-bol alors que notre pays, qui a multiplié les signes de tolérance et d’ouverture, est reconnu pour sa grande générosité ?

Certes, dans une société en baisse de repères, de stabilité, de vision comme la nôtre, le choc des égoïsmes est inévitable. Toute l’Europe, avec ses Etats providence chancelants, est frappée de plein fouet. La mondialisation, la modernité ont engendré inquiétudes et angoisses face à des menaces souvent fantasmées ou du moins largement surestimées. Las ! C’est le triste air du temps. Mais à l’heure où la croissance économique, moteur de l’ascenseur social, est en panne, il faut agir, et vite. Et une fois de plus, c’est, au-delà des autorités européennes, vers nos élus que se tournent tous les regards. Le constat est sans appel : la politique d’intégration menée chez nous connaît de sérieux ratés, et une autocritique sans faux-semblants s’impose. Car, pour affronter le présent et l’insaisissable futur, rassurer les citoyens, il faudra tout chambouler et innover. Pas simple. En effet, non seulement les partis n’ont jamais réussi à se mettre d’accord sur une ligne cohérente commune, mais l’éclatement des compétences nourrit en permanence une véritable cacophonie ministérielle. Bref, c’est le chaos. Et si les problèmes institutionnels et socio-économiques doivent mobiliser toute l’énergie des négociateurs dans les semaines qui viennent, le très délicat dossier de l’immigration, véritable bombe à retardement, ne supportera pas d’être abandonné discrètement dans un coin, comme le rappelle le sondage d’Ipsos.

Oui, mais voilà, que faire et comment ?

 » Si les flux migratoires se sont beaucoup diversifiés ces dernières années, nul doute que c’est l’islam, l’immigration installée qui inquiètent, bien plus que les flux migratoires « , analyse pour Le Vif/L’Express le politologue de l’ULB Jean-Benoît Pilet. De fait, la Belgique ne peut se résumer à une addition de communautés. Ouvrons grandes nos portes, oui, mais pour autant que nous puissions assurer à ceux qui frappent une formation, un travail, une vie décente. Ce qui n’est pas le cas pour des milliers d’immigrés qui sont déjà installés ici. Trop souvent immigration rime encore avec ségrégation et non-intégration. Personne ne le conteste, la diversité apportera un nouveau dynamisme à notre population vieillissante. Pour autant que l’économie renoue avec la croissance. Canaliser l’immigration demande un courage aux antipodes du  » laisser-faire qui tolère tout « , même l’intolérance, de l’esquive qui camoufle les vrais problèmes ou de l’angélisme qui conduit droit dans le mur.

Lutter contre les flux clandestins, contre la négligence de certains à l’égard de l’islamisme radical, pourfendre l’autocensure larvée par peur de représailles de la part d’une poignée d’intégristes sont autant de défis que nos responsables devront relever. Une société ouverte, pluraliste ne peut survivre qu’avec des balises, des règles, une ligne claire, une juste fermeté. Cela dans le respect des valeurs et des principes démocratiques du pays d’accueil. La seule manière durable pour transformer la peur inscrite dans nos gènes, et qui peut conduire à l’exclusion de l’autre, en une peur positive, une  » peur-solidarité « , selon l’expression de la professeure au Collège de France Mireille Delmas-Marty ( Libertés et sûreté dans un monde dangereux, Seuil, 2010).

Christine Laurent

La politique d’intégration menée chez nous connaît de sérieux ratés, et une autocritique sans faux-semblants s’impose

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