FEMMES AU FOYER

L’association Femmes et foyer réclame un revenu pour celles qui restent à la maison. Une reconnaissance du travail domestique qui ne suscite plus la même levée de boucliers qu’autrefois

A 29 ans, Ariane D’Hoe a comparé l’avantage financier, généré par son emploi de puéricultrice dans un prégardiennat, et le plaisir de partager du temps avec sa famille. Il n’y avait pas photo. « Pendant un peu plus de deux ans, mon mari, encore aux études d’ingénieur, et moi avons tenté de jongler avec nos horaires, pour éviter de mettre l’aîné à la crèche, se souvient Ariane. Mais, malgré tout, ses premiers pas n’ont pas été pour moi. J’avais l’impression d’avoir manqué quelque chose. »

A la naissance de son deuxième enfant, Ariane opte finalement pour une pause-carrière, avant de cesser définitivement de travailler. « Financièrement, on a dû se serrer un peu la ceinture. Mais j’aime faire le pain moi-même, peindre et tapisser. En outre, je me suis investie à l’école de mes enfants. Malheureusement, ce bénévolat n’est pas reconnu. »

Louise van Oldeneel, 65 ans, a connu un tout autre parcours. Diplômée en chant classique du Conservatoire royal de Liège, premier prix d’art dramatique et de diction, elle a donné beaucoup de concerts gratuits, avant de se marier et de mettre trois enfants au monde. « J’appartiens à une génération de femmes qui restaient à la maison. Mon père n’aurait pas accepté que je prenne le travail d’un autre. » Pourtant, Louise s’est toujours sentie utile, même quand sa progéniture a atteint l’âge d’entrer à l’université. « En période de blocus, par exemple, j’avais l’habitude d’accueillir aussi les copains de mes enfants, car les jeunes recherchent une maison où il y a une présence. »

En revanche, Louise van Oldeneel a souffert de dépendre financièrement de son père d’abord, de son mari ensuite. Conséquence: elle est aujourd’hui présidente de l’association Femmes et foyer (AFF), qui revendique un revenu de remplacement pour celles qui se consacrent à leur ménage, aux soins prodigués aux jeunes enfants, voire aux parents âgés ou malades. « Dans les milieux populaires, les mères qui veulent élever elles-mêmes leurs enfants n’ont souvent pas d’autre choix que de « profiter » du chômage, avec la crainte d’être obligées d’accepter un travail. Ce n’est pas normal. »

Un combat d’arrière-garde, de renégates à la cause des femmes? Mea culpa, mea maxima culpa, écrit Marie-Pascale Delplancq-Nobécourt, dans Oser être mère au foyer (éd. Albin Michel). « Quand les enfants sont là, on veut être là aussi. Ce qu’on fera pour eux, personne d’autre ne le fera aussi bien, on en a la conviction profonde », poursuit cette ancienne journaliste, mère de cinq enfants.

Le fait que, désormais, un nombre de femmes diplômées revendiquent, sans honte, leurs activités de mères au foyer est un phénomène nouveau. Il est toutefois limité, du moins en Belgique. Selon Bea Cantillon, professeur de politique sociale aux Facultés universitaires Saint-Ignace, à Anvers (Ufsia), une femme sur cinq en âge de travailler (21,3 %) se consacre à son ménage (pour 33,6 %, en 1985). « Cela reste l’apanage quasi exclusif de femmes peu qualifiées », note la scientifique flamande.

Il n’empêche: « Aujourd’hui, nous sommes beaucoup moins agressées qu’autrefois, se réjouit la présidente de l’AFF. On ne nous reproche plus systématiquement d’être des profiteuses, entretenues par nos maris, surtout parmi la jeune génération, plus réceptive que les féministes de la première heure. »

En effet, les femmes au foyer reviennent de loin. Leur association est née voici vingt-cinq ans, au lendemain de l’Année internationale des femmes, célébrée en 1975. « Il ne fut alors question que des femmes travaillant professionnellement, peut-on lire dans le numéro anniversaire de leur revue Equilibre, la revue de l’AFF. L’aspect familial du travail des femmes – et même leur maternité – fut complètement occulté. »

Un discours à contre-courant? A la fin des années 80, l’association a marqué un point important: en échange d’une réforme fiscale qui a favorisé le décumul des revenus des époux, le PSC a obtenu l’instauration du quotient conjugal, permettant d’attribuer fictivement à celui des époux – le plus souvent la femme – qui gagne peu ou pas de revenus, une partie des rémunérations du conjoint, afin de diminuer le taux d’imposition. Fiscalement, ce système profite surtout aux revenus les plus importants.

Cette victoire a alourdi le contentieux avec les féministes. « Il n’est pas certain qu’une femme au foyer, surtout issue d’un milieu aisé, effectue davantage de tâches domestiques qu’une autre qui travaille à l’extérieur! » remarque Hedwige Peemans-Poullet, présidente de l’Université des femmes.

Louise van Oldeneel se défend toutefois d’être à la tête d’un mouvement de bourgeoises conservatrices. « Nous comptons un millier de membres cotisants de tous bords et de tous âges », affirme la présidente de l’AFF. En outre, depuis 1997, l’Association des femmes au foyer est devenue l’ASBL Femmes et foyer. « Pour éviter tout malentendu avec ceux qui nous croyaient favorables à un enfermement vingt-quatre heures sur vingt-quatre des femmes au foyer, peut-on lire dans Equilibre. Ce que nous voulons essentiellement, c’est que celles qui le désirent puissent se consacrer prioritairement à leurs proches, même partiellement, comme d’autres à leur profession. »

Au sein de l’association, les femmes ne se battent plus exclusivement à propos des « droits dérivés » de ceux de leurs époux (allocations familiales, soins de santé et pension). « En cette époque de divorces et de séparations, notre métier comporte trop de risques », commente Ariane D’Hoe. L’AFF préfère désormais réclamer un revenu de remplacement, comme les chômeuses qui ne paient pas de cotisations, mais bénéficient d’une protection sociale personnelle, indépendamment de la situation de leur mari. « Ce revenu forfaitaire devrait atteindre quelque 20 000 francs pour permettre aux femmes de renoncer à un emploi », poursuit Louise van Oldeneel.

A titre de comparaison, en France, l’allocation parentale d’éducation, introduite en 1985, octroie 3 000 francs français par mois (soit un peu plus de 18 000 francs) au parent qui interrompt sa carrière pour élever ses enfants. Elle a eu pour effet d’augmenter le nombre de mères au foyer de 4 à 25 %!

« Sur le principe, l’AFF n’a pas tort: les activités familiales ne sont pas suffisamment valorisées, reconnaît Bea Cantillon. Les réformes fiscales successives ont toujours profité aux ménages à deux revenus, au détriment des familles à un seul salaire. Mais le travail domestique à temps plein, rémunéré de façon inconditionnelle, c’est dépassé. »

La scientifique flamande plaide, en revanche, pour une amélioration du système actuel d’interruptions de carrière, limitées dans le temps. « Des montants revus à la hausse devraient permettre à des mères isolées de ne pas devoir travailler à l’extérieur. Mais, aussi, servir d’incitant pour des hommes. »

D’autres formules sont encore possibles. Hedwige Peemans-Poullet défend, quant à elle, le droit à un crédit-temps pour tous les travailleurs. Ces congés payés de deux ans pourraient être pris, en une fois ou de façon fractionnée: à raison d’un mois par an, pendant une bonne partie de la carrière, ou d’un mercredi après-midi, quasiment toutes les semaines. Une manière de concilier la vie professionnelle et la vie familiale sans accroître les différences entre les sexes.

Actuellement, après les veuves âgées, les femmes au foyer constituent, en effet, le groupe qui court le plus de risques de tomber dans la précarité. Selon Bea Cantillon, 13,5 % d’entre elles connaissent, déjà, une situation de pauvreté.

Dorothée Klein

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