Oiseaux, hérissons: qui sont les CREAVES, sauveurs de la biodiversité?

Estelle Spoto
Estelle Spoto Journaliste

Reposant sur des volontaires qui leur accordent de leur temps, les 19 (bientôt 22) CREAVES de Wallonie recueillent et soignent des animaux sauvages en détresse. Zoom sur des sauveurs de notre biodiversité.

C’est une ancienne grange, située dans une rue résidentielle de Perwez, pas très loin de la nationale 29. En ce dimanche d’hiver, Valérie Vandervelde fait visiter les lieux à un petit groupe de personnes. Derrière l’accueil disposant d’un coin-boutique, plusieurs salles se répartissent sur deux niveaux. S’y’alignent des rangées de cages, des couveuses. Certains pensionnaires sont visibles, d’autres sont roulés en boule bien au chaud dans une petite boîte, au milieu de journaux déchiquetés. Dehors ont été aménagés plusieurs enclos et volières. Dans l’un d’eux des hiboux dévisagent les visiteurs du jour.

Depuis avril 2021, La Grange Sauvage, le CREAVES (Centre de Revalidation des Espèces Animales Vivant à l’Etat Sauvage) de Perwez, recueille des animaux sauvages blessés ou malades. C’est l’un des 19 CREAVES de la Région wallonne. Et trois nouveaux centres agréés devraient voir le jour dans les semaines et les mois qui viennent.  

Valérie, technicienne de laboratoire à temps plein, y travaille bénévolement un jour par semaine, parfois plus quand elle en a l’occasion. « A la télévision, j’entendais toutes ces nouvelles négatives sur les espèces en voie d’extinction. Et je me rendais compte que je ne savais rien y faire, raconte-t-elle à propos de son engagement. J’étais juste derrière mon écran, c’était frustrant. Puis je me suis dit qu’il y avait peut-être des choses à faire ici, en Belgique, et je me suis renseignée sur le bénévolat. Au départ j’ai visité une association qui s’occupe d’animaux domestiques abandonnés. Mais je suis sortie de là avec une boule dans le ventre : ces animaux, même si on leur donnait un petit moment d’attention, quand on les quittait, ils restaient dans leur cage. Je me suis alors dirigée vers un centre où on accueille des animaux sauvages, qu’on va soigner, qu’on va sauver et qui seront relâchés. »

Garder l’instinct

Car l’objectif des CREAVES est que les animaux recueillis puissent le plus rapidement possible retourner à leur vie sauvage. « Evidemment, les moments les plus magiques, c’est quand on les relâche, poursuit Valérie. C’est magnifique quand les voit qui s’enfuient sans regarder derrière eux. Surtout quand il s’agit d’animaux qui reviennent vraiment de loin, dont on pensait qu’ils n’allaient pas survivre. »

La Grange Sauvage a compilé dans une vidéo quelques-uns de ces moments de relâchage. Dans ces images émouvantes, moineaux, buse variable, chevreuils, tourterelle, chauve-souris, faucon crécerelle… retrouvent la liberté. Mais l’espèce la plus représentée dans les CREAVES, c’est le hérisson.

(c) La Grange Sauvage

L’impact du réchauffement climatique

« Oui, le hérisson, c’est le numéro 1, clairement », confirme Nathalie Zinger, prof de bio, de chimie et de physique et bénévole au CREAVES de Temploux, le plus gros des CREAVES wallons, situé sur un site mis à disposition par la Ville de Namur (voir la vidéo ci-dessous). « Sur les 3039 animaux accueillis en 2023, il y avait 887 hérissons. » A l’automne dernier, les petits mammifères sont arrivés massivement dans les CREAVES. En cause, le réchauffement climatique. Les redoux perturbent leur cycle de reproduction, les femelles mettant au monde des portées jusque très tard dans l’année. Trop tard pour préparer la phase d’hibernation. « La très grosse majorité des hérissons qu’il y a chez nous, ce sont des jeunes hérissons nés en fin d’année passée, explique Valérie Vandervelde. Au mois de novembre, on avait encore des bébés qui nous arrivaient. Soit parce que les mamans sont décédées, soit parce qu’en fin de saison, la mère abandonne ses petits parce qu’elle se rend compte qu’elle va rentrer en hibernation et qu’elle ne va pas savoir survivre avec ses petits. La mère doit elle-même constituer ses réserves pour passer l’hiver. Les petits qui se retrouvent seuls sortent du terrier et les gens les trouvent. Le hérisson est un animal très facilement attrapable par les humains. »

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« En novembre, nous avons accueillis beaucoup de juvéniles, confirme de son côté Nathalie Zinger. Certains pesaient à peine 100 grammes. Alors qu’en-dessous de 700 grammes, ça va être compliqué d’hiberner. D’autres arrivent affaiblis par des parasites, des bactéries, déshydratés à cause de la chaleur. Et puis il y a les blessures, à cause des activités humaines : élagage, débroussailleuse, tondeuse qui fonctionne la nuit… »

Les bénévoles des CREAVES doivent trouver le juste équilibre entre le nécessaire attachement et la nécessité de ne pas créer du lien, surtout dans le cas d’animaux recueillis très jeunes. « C’est surtout délicat dans le cas des écureuils ou des renardeaux, qui ont besoin d’une vie sociale, explique Valérie. Dans un premier temps, si l’animal est seul, pour le « stimuler à la vie », il va falloir lui donner une espèce d’affection. Mais une fois qu’ils commencent à manger tout seuls, à devenir autonomes, on arrête complètement le contact avec eux. On essaie de trouver un autre animal dans un autre CREAVES pour les réunir, pour qu’ils ne s’ennuient pas, qu’ils puissent se découvrir, jouer entre eux, retrouver leur instinct. On a un enclos complètement fermé pour les renards, sans vue de l’homme, avec un petit terrier aménagé. On leur donne aussi des aliments qu’ils vont retrouver dans la nature. Des noix non cassées pour les écureuils, des branches entières avec des bourgeons qu’ils peuvent croquer. Une fois qu’on sent qu’ils sont prêts, on les relâche, et normalement l’instinct fait son son petit chemin. »

Dans les statistiques du CREAVES de Namur, derrière les hérissons arrivent les moineaux (210 individus en 2023), puis les merles en numéro 3, suivis par les pigeons, les martinets, les choucas, les tourterelles, les mésanges… « Les oiseaux, c’est 61 % des animaux recueillis en 2023, précise Nathalie Zinger. En ce qui concerne les oiseaux, le plus gros problème, c’est la prédation des chats. Parce que même si le chat ne mange pas l’oiseau, dès qu’il y a un contact avec une griffe ou une dent, le risque de septicémie est énorme. Avec la prédatation des chats, on a un taux d’échec supérieur à 70 % dans les 24 heures. »

Autre « problème » pour les oiseaux : des « découvreurs » croyant bien faire qui recueillent des oisillons tombés du nid, alors qu’ils ne sont pas vraiment en détresse, mais simplement en apprentissage. « Il faut mener un travail de sensibilisation du public sur ce point. Bien souvent, les parents ne sont pas loin des oisillons, ils sont en contact avec leurs cris, ou se montrent. Donc avant de ramasser un petit, il vaut mieux attendre 30 minutes, voire une heure, pour vérifier que les parents sont bien là. »  

Soigneurs et aides-soigneurs

Nathalie Zinger a commencé au CREAVES il y a un peu plus de deux ans, en tant qu’aide-soigneuse. Elle est devenue soigneuse il y a un an. « Chez nous, sur une cinquantaine de bénévoles, une vingtaine ont le statut de soigneurs, souligne-t-elle. A chaque permanence, il faut un soigneur et plusieurs aides-soigneurs. Mais entre nous il n’y a pas du tout de hiérarchie. » « Il y a des niveaux de compétence et de responsabilité différents, explique Valérie Vandervelde. Le soigneur est censé pouvoir donner les premiers soins à un animal. Des soins basiques, parce que les soins plus approfondis sont pour le vétérinaire. Mais le soigneur sait prendre en charge un animal, faire les premières constatations et le premier diagnostic. L’aide-soigneur va plutôt nettoyer les cages, nourrir les animaux, biberonner. Des tâches qui demandent moins d’expérience qu’une injection sous-cutanée par exemple. »

(c) La Grange Sauvage

Quoi qu’il en soit, pour les aides-soigneurs comme pour les soigneurs, les permanences dans les CREAVES sont souvent intenses, entre accueil des animaux déposés, nourrissages, nettoyages, encodages, pesées, traitements, prises de rendez-vous chez le vétérinaire, suivi administratif, relâchages… « En saison basse, c’est-à-dire de novembre à avril, on commence un peu avant 9 heures, et on termine vers 17 heures, 17 heures 30, précise Nathalie Zinger. Puis on a le créneau du soir, qui est en principe de 17 à 20 heures. Mais moi j’ai plutôt connu 17-22 heures. Ca dépend des jours. On peut terminer light en nourrissant les animaux nocturnes. Mais parfois, tu es au bout de ta vie, il est 22 heures et tu dois encore traiter une quinzaine de hérissons. » Pas de quoi, en tout cas, entamer sa motivation. « On a des infirmières qui font leur journée de boulot, qui arrivent ici à 17 heures, qui terminent à 22 heures et qui vont se lever le lendemain à 5 heures du matin. C’est fou. J’adore le partage avec mes collègues, l’entraide. On a tous nos spécificités, on est très complémentaires. On reçoit beaucoup de soutien, ça nous donne de la force. On nous apporte du matériel. On vient de recevoir des seringues de gavage, des journaux, une cage… Les gens viennent de loin, parfois de Flandre, parfois des Pays-Bas pour nous amener des animaux. Des gens de Fleurus nous ont apporté un lérot que j’ai biberonné. Là, il est en train d’hiberner. On va bientôt le relâcher. »

Mais les CREAVES ont toujours besoin de se faire connaître. Il faut sans cesse renouveler les équipes de bénévoles et trouver l’argent pour financer les 30 % de frais de fonctionnement qui ne sont pas couverts par les subsides. « On peut accepter un maximum d’animaux en fonction de la place qu’on a bien sûr, conclut Valérie Vandervelde, mais aussi du nombre de bénévoles qui peuvent prêter main forte à un moment donné. Si on en accepte trop, tous les animaux risquent d’être mis à mal. Il va y avoir 22 CREAVES, mais ce n’est pas encore suffisant. »

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