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Au chaud dans une maison à 15 degrés: comment SlowHeat réinvente le chauffage

Anouche Nicogossian

Chez SlowHeat, cinq chercheurs et une vingtaine de citoyens (appelés co-chercheurs) collaborent autour de la question du chauffage : comment chauffer son intérieur autrement pour consommer moins, sans perdre en qualité de vie ? Tous expérimentent à leur façon.

Geoffrey van Moeseke ne porte plus de pulls dans sa maison chauffée à quinze degrés. A 17 degrés, Amélie Anciaux trouve son intérieur agréable à vivre. Denis De Grave prend son café matinal avec les oiseaux alors que le printemps sonne timidement à nos portes. Dans le collectif SlowHeat, projet de recherche financé par Innoviris (institut d’encouragement de la recherche scientifique et de l’innovation de la Région de Bruxelles-Capitale), cultiver une relative fraîcheur (par rapport aux températures habituelles d’un intérieur) est désormais une habitude, et même une pratique à part entière.

Tout part d’un constat. La neutralité carbone telle qu’elle est prévue pour 2050 est devenue une utopie. Et ce, malgré les directives autour de la performance énergétique des bâtiments (PEB) : rénovation, isolation complète, installations peu énergivores… « Si c’est effectivement réalisé, cela restera insuffisant parce que d’ici 2050, on n’aura divisé que par deux les consommations en énergie. On est loin de la neutralité carbone. Il faut donc trouver d’autres solutions… comme le slowheating », introduit Denis De Grave, architecte et coordinateur du collectif.

Le slowheating est une pratique de chauffage centrée sur les corps, et moins sur les bâtiments (chauffés par le chauffage dit central). « Si une paire de mains a froid dans un grand bâtiment, il nous paraît plus intelligent de les réchauffer avec un sous-main chauffant », poursuit l’architecte. Le collectif ne divorce pas du chauffage central pour autant. « Si un bâtiment a besoin de cinq ou huit degrés au thermostat pour être hors-gel ou de treize degrés pour être hors-humidité, on chauffe le bâtiment. » Il ne s’agit pas « simplement » de porter un pull plus chaud, comme le précise Jean Sobczak, chargé de missions pour l’asbl Habitat et Participation et chercheur chez SlowHeat : « Le slowheating, c’est plus qu’un éco-geste

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Acteur de son chauffage, acteur de son confort

Loin d’imposer une vision ou une pratique, SlowHeat invite, au contraire, le citoyen à devenir acteur de son chauffage. « Plutôt que d’appuyer simplement sur un bouton de réglage, faisons du chauffage une pratique : en le pensant, en le bricolant, en le testant », appuie Grégoire Wallenborn, chercheur-enseignant sur les questions d’environnement, de technologie et de la consommation d’énergie à l’ULB et à l’IGEAT. « Chacun fait selon ses capacités, ses contraintes et va jusqu’aux limites qu’il juge acceptables », précisent Denis De Grave et Amélie Anciaux, sociologue. Chez SlowHeat, les co-chercheurs vivent entre 12 et 19 degrés. Chaque pas, même petit, est une victoire en soi : vivre avec quinze degrés n’est pas une injonction. « Diminuer son thermostat de trois degrés le premier hiver, peu importe la température de départ, suffit. La démarche reste la même », insistent-ils.

La démarche se situe dans l’optique d’un nouveau modèle de société basé sur les notions de sobriété et de résilience, directement liées à la problématique de surconsommation d’énergie. « La sobriété c’est repenser nos besoins : quels sont-ils exactement ? De façon acquise, on a l’impression que, pour avoir chaud, il faut être dans un environnement chaud. Il s’avère que non, pas particulièrement », expliquent Amélie Anciaux et Geoffrey van Moeseke, professeur de physique bâtiment à l’UCLouvain et à l’initiative du projet SlowHeat, avec Denis De Grave. En découle toute la réflexion sur le confort lui-même : qu’est-ce que le confort ? qu’est-ce qui est confortable ? « Aujourd’hui, je me rends compte que j’apprécie particulièrement le contact direct de la chaleur d’un tapis de souris chauffant », raconte la sociologue.

Armés face aux crises

Concernant les moyens à disposition pour se chauffer, les chercheurs ont proposé une gradation en cinq niveaux, des moyens les plus sobres aux plus énergivores : l’adaptation du mode de vie par l’habillement, l’acclimatation au froid et l’activité, le chauffage par contact (une cape ou un tapis chauffants), le chauffage par rayonnement (un objet chauffant à distance), le chauffage d’une (unique) pièce dans sa totalité (idéalement la mieux isolée ou la plus adaptée pour y passer du temps), et le chauffage total du bâtiment, ou chauffage central dans le cas où les précédents sont inefficaces et que le que le contraste avec la température du logement est trop marquée.

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Avec ces alternatives, le slowheating devient un contributeur à la résilience : « SlowHeat donne des solutions et de la capacité aux gens : en cas de crise, ils ont plus d’options pour rebondir et ce, sereinement », développent les chercheurs. En effet, la qualité de vie peut se voir améliorée : la cuve de mazout diminue plus lentement, le montant de la facture est potentiellement plus bas qu’avant et l’argent initialement dédié au chauffage peut être investi ailleurs. Tout cela, sans craindre un éventuel effet rebond, à trop utiliser les alternatives et atteindre le même niveau de consommation qu’avec un chauffage central. « Si l’on porte une cape chauffante sur la puissance intermédiaire dix heures tous les jours pendant six mois, on arrive à 30€ d’électricité. Avant de faire des bêtises, il faut y aller », illustre Denis De Grave.

Un nouveau paradigme

Pour le collectif, faire du slowheating une pratique répandue passe indéniablement par un changement de paradigme. Comment fait-on alors ? « Une première chose serait de mettre le sujet sur la table et de lancer le débat, aborde Amélie Anciaux. Cela étant, les changements ne se font pas en quinze jours, ni en un mois. Il faut être indulgent avec soi-même.» La conjoncture de l’hiver dernier a également été un bon moteur pour engendrer le changement de pratique. « Nous l’avons bien vu dans nos entourages respectifs : nous sommes passés de doux rêveurs à des gens qui ont des solutions, presque visionnaires », poursuit la sociologue.

Changer de paradigme, oui, mais pas sans condition. Qu’en est-il de la lutte des classes ? Avant le choc gazier, la précarité énergétique était de 27% environ à Bruxelles et en Wallonie. « A côté, il y a des personnes suffisamment riches qui peuvent continuer à chauffer pleinement leur villa. Il faut attaquer ces inégalités en même temps pour limiter les tensions sociales », s’alarme Denis De Grave. Mais par qui commencer ? Par un public déjà marginalisé, au risque de voir le slowheating réduit à la « solution du pauvre » ? Par les riches, qui ne se voient pas adopter le slowheating tant que les pouvoirs publics ne s’y seront pas prêtés ? Le collectif s’interroge.

Le collectif SlowHeat a à cœur de maintenir vivantes toutes ces réflexions et de creuser des solutions face à ces constats. Le projet qu’il mène le lui permet et il entend bien le poursuivre : postuler pour d’autres appels à projets (l’actuel auquel il répond se clôture en septembre), créer une asbl. Ce ne sont ni les idées, ni la motivation qui manquent.

Les chercheurs de SlowHeat : (de gauche à droite) Amélie Anciaux, Geoffrey van Moeseke, Denis De Grave, Grégoire Wallenborn et Jean Sobczak.

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