ANTONY BLINKEN et BENJAMIN NETANYAHU,
ANTONY BLINKEN et BENJAMIN NETANYAHU, © Belga

Quel est l’impact du conflit israélo-palestinien sur la guerre en Ukraine? « Nous ne sommes pas prêts »

Celine Bouckaert
Celine Bouckaert Journaliste au Vif

A l’heure où les Etats-Unis ont promis leur soutien inconditionnel à Israël, victime d’exactions sanglantes perpétrées par le Hamas palestinien, l’Ukraine doit-elle craindre de voir le soutien américain diminuer ? Explications avec Tanguy Struye, professeur en sciences politiques internationales à l’UCLouvain.

La poursuite du soutien financier en faveur de l’Ukraine a été l’une des pierres d’achoppement des discussions entre républicains et démocrates à la Chambre des représentants lors des discussions sur le budget pour 2024.

Les tensions, en particulier au sein du parti républicain, ont failli provoquer un « shutdown », soit l’arrêt de l’ensemble des services fédéraux américains, faute d’accord avant la date limite, finalement retardée de 45 jours sur une proposition n’intégrant pas le financement en faveur de l’Ukraine.

A l’heure où Israël cherche à éradiquer le Hamas, l’Ukraine reste-t-elle une priorité pour Washington, comme l’assuré la secrétaire américaine au Trésor, Janet Yellen ?

Tanguy Struye: Pour l’instant, comme il y a un blocage à la Chambre des Etats-Unis, au Congrès, rien ne peut être fait. Donc, toute aide, que ce soit vers Israël, de manière générale, au Moyen-Orient, est bloquée parce qu’il n’y a pas de speaker. Il y a même un vide juridique, car c’est la première fois qu’un speaker a été « balancé ». Ce blocage risque d’être un problème autant pour Israël que pour l’Ukraine.

De manière plus générale, il y a une partie des républicains qui souhaite que l’aide parte vers Israël plutôt que vers l’Ukraine, mais ce n’est pas le point de vue général du Congrès. Ce qui pourrait se passer, une fois que le Congrès américain pourra à nouveau fonctionner, c’est qu’il ait des négociations dans le sens que l’on va aider Israël tout en continuant à aider l’Ukraine. Ce sera un peu donnant-donnant. Il est aussi possible qu’on diminue l’aide pour l’Ukraine pour aider Israël.

Israël a-t-il réellement besoin de l’aide américaine ?

Dans la situation actuelle du conflit, Israël peut très bien se débrouiller sans beaucoup d’aide militaire américaine. Il faut savoir que les Etats-Unis apportent déjà chaque année pour 3 milliards d’aide militaire. Donc il y a déjà une aide continue. Si le conflit se limite à Gaza, l’armée israélienne a suffisamment de moyens pour intervenir dans Gaza.

Après, si le conflit devient une guerre régionale, on entre dans un scénario complètement différent. Cela signifie que les Etats-Unis pourraient intervenir directement, et que d’autres pays pourraient entrer en guerre. Ce scénario-là serait négatif pour l’Ukraine, car à ce moment-là, il y a une chance que les Américains se préoccupent davantage de ce qui passe au Moyen-Orient. Le problème c’est que l’Europe n’est pas capable de prendre le relai pour l’Ukraine.

Selon vous, l’Europe n’a pas les moyens pour suffisamment soutenir l’Ukraine militairement ?

En Europe, nous avons continué à vivre notre vie quotidienne. Contrairement à nous, les Russes sont passés sur une économie de guerre. Et vu l’absence d’avancées sur le front, que ce soit d’un côté ou de l’autre, la guerre risque de durer. Nous ne sommes absolument pas préparés, et nous n’avons pas suffisamment de moyens pour continuer à fournir des armes à l’Ukraine, en particulier de munitions.

Nous sommes face à un environnement sécuritaire extrêmement instable, et il n’y a pas grand-chose qui bouge. La Belgique illustre très bien cet immobilisme: il y a une guerre en Ukraine, et nous n’avons pas augmenté notre budget militaire. Nous ne nous sommes pas adaptés à la menace. Et ce n’est qu’une menace parmi d’autres. Aujourd’hui, il y a le conflit israélo-palestinien qui peut nous toucher directement. S’il s’élargit, il y aura des conséquences au niveau du prix du pétrole, du gaz, les réfugiés. Il va créer une nouvelle instabilité.

En ce qui concerne les F-16 par exemple, ce n’est pas que nous ne voulons pas en envoyer, c’est tout simplement que si nous les envoyons demain, il y a une toute une série de missions que ne pouvons plus effectuer dans le cadre de l’OTAN ou dans le cadre d’un imprévu. Cette situation s’explique par un désinvestissement total de la Défense. Ce n’est que depuis quelques années qu’on réinvestit dans la Défense.

Les Etats-Unis vont-ils privilégier Israël quoi qu’il arrive ?

Oui. Bien entendu, ils vont continuer à aider l’Ukraine là où ils peuvent, car les enjeux par rapport à la Russie sont très importants. Cependant, vu l’enjeu d’Israël par rapport au Congrès, Joe Biden devra privilégier Israël, sachant aussi que nous sommes dans une année électorale. Mais si la situation se dégrade fortement au Moyen-Orient, les Européens devront prendre beaucoup plus de responsabilités, car les Américains veulent absolument être prêts en cas de guerre par rapport à Taiwan ou la Chine. Si cette guerre devient un conflit régional, je ne sais pas comment on va gérer, car on n’est pas prêt, ni économiquement, ni socialement, ni militairement.  

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