Des membres du groupe Wagner à Rostov, samedi 24 juin.

Poutine affaibli, mais pas de chaos: toutes les conséquences de la rébellion avortée de Wagner

Gérald Papy
Gérald Papy Rédacteur en chef adjoint

La rébellion avortée de Prigojine a montré que les Russes et les dirigeants occidentaux craignent par-dessus tout l’instabilité. Mais l’histoire n’est pas finie.

Resserrer les rangs. Tel a été le leitmotiv du président russe Vladimir Poutine, les 26 et 27 juin, dans ses premières prises de parole après la rébellion lancée puis stoppée par le patron du groupe de mercenaires Wagner, Evgueni Prigojine, le 24 juin. Cet événement, dans un pays réputé sous contrôle, a représenté la plus sérieuse attaque contre le maître du Kremlin en 21 ans de « règne ».

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Pour tenter de tourner la page de cet épisode aussi bref qu’intense, Vladimir Poutine a salué l’attitude de la population, restée unie, selon lui, malgré des signes de ralliement aux insurgés observés notamment à Rostov-sur-le-Don, au sud-ouest de la Russie frontalier avec l’Ukraine. Il a remercié les soldats et les commandants de la société paramilitaire privée, qui « ont pris la seule décision possible et n’ont pas permis un bain de sang fratricide » ; aucune marque d’opposition interne au projet du leader de Wagner n’a pourtant été observée. Il s’est enfin félicité de la loyauté et de la combativité des militaires de l’armée régulière et des membres des autres forces de sécurité face à des troubles « dont le résultat aurait inévitablement été le chaos ». Or, si une résistance à la rébellion s’est effectivement manifestée dans les environs de la ville de Voronej, à 500 kilomètres de la capitale (six hélicoptères et un avion de renseignement y ont été abattus, une vingtaine de combattants y ont été tués), la colonne de véhicules de Wagner a tout de même pu passer d’Ukraine occupée en Russie et parcourir quelque 600 kilomètres depuis Rostov sans rencontrer la moindre résistance.

La meilleure solution ?

D’un ministre mis devant tant de contradictions, on dirait, en Belgique, qu’il n’a pas convaincu. D’un président qui a promis un jour d’aller « buter les terroristes tchétchènes jusque dans les chiottes » et qui l’a fait, difficile de savoir si, en Russie sous chape de plomb, il a convaincu ou pas. Vladimir Poutine a, en tout cas, déjà fait preuve de plus de fermeté, de plus de brutalité. Or, il n’avait jamais été autant défié qu’il ne le fut pendant quelques heures, le 24 juin. Les Russes y verront-ils un signe de faiblesse ? Ou la solution la plus appropriée pour éviter ce qui aurait pu tourner au bain de sang ?

Le coup de force d’Evgueni Prigojine n’a pas encore révélé tous ses mystères. C’est propre à la personnalité du chef des mercenaires. Affirmer le matin, par communiqué de presse de Wagner interposé, que « la guerre civile a commencé » et exciper, le soir, de son souci d’« éviter toute effusion de sang » pour stopper l’insurrection qu’on a lancée n’est pas commun.

C’est propre au contexte. Les difficultés rencontrées en Ukraine par l’armée russe depuis l’« opération militaire spéciale » lancée par Vladimir Poutine nécessitent de mobiliser un maximum de forces. Le président russe, s’il a scellé dans son esprit le sort de son ancien cuisinier reconverti en chef de guerre, veut pouvoir compter sur l’apport des soldats « loyaux » de la société paramilitaire privée. La manœuvre justifie sans doute d’être, au moins provisoirement, mesuré avec Evgueni Prigojine. C’est propre, enfin, aux haines féroces qui opposent certains protagonistes russes du conflit, au premier lieu Sergueï Choïgou, ministre de la Défense, et Valeri Guerassimov, chef d’état-major de l’armée et commandant des opérations en Ukraine, d’un côté, et le leader de Wagner Evgueni Prigojine, conforté dans ses ambitions par le succès de ses hommes à Bakhmout, de l’autre.

Des assurances et des menaces

Le chef mercenaire assure, après coup, ne pas avoir voulu renverser celui à qui il doit sa position aux marges de l’establishment. C’est sa société paramilitaire qu’il voulait sauver des « griffes » du ministre de la Défense engagé dans un processus d’intégration de ses combattants au sein de l’armée et d’asphyxie des moyens dévolus à leurs actions. La rancœur était réelle. Mais devait-il, pour ce seul objectif, lancer une colonne d’un millier de véhicules vers Moscou ?

Le 24 juin, Vladimir Poutine a « offert » aux mercenaires soit de s’engager dans l’armée régulière, soit de s’exiler au Bélarus, soit de retourner à la vie civile. Les deux dernières options ne sont pas des garanties de sécurité absolues, même si son souci de distinguer les organisateurs de la rébellion et les « patriotes de la Russie » exclut à première vue des représailles contre le mercenaire de base, aurait-il fait un bout de chemin vers Moscou le 24 juin. Les meneurs et leur mentor, en revanche, voient leur espérance de vie se raccourcir, sauf à prolonger leur exil au-delà du Bélarus, et encore… A l’encontre de Prigojine, l’enquête pour appel à la rébellion armée a été close, a assuré le Service de sécurité intérieur (FSB) le 27 juin. La veille, Vladimir Poutine avait pourtant laissé planer le doute sur l’absence de poursuites. De nouvelles déclarations du patron de Wagner, vantant les « mérites » de son opération (un soutien de la population et d’une partie de l’armée, un test de la fiabilité toute relative de la défense du territoire par l’armée russe) devraient le convaincre de ne pas le ménager, à terme.

Plus dangereux que Poutine

Le trouble provoqué par le coup de force du 24 juin n’est donc pas près de s’apaiser. Aux yeux des Occidentaux, le président russe en sort forcément affaibli. Il n’y a guère eu que le Premier ministre hongrois Viktor Orban pour nuancer ce sentiment.

« Si [la rébellion] a pu se produire, c’est un signe évident de faiblesse, mais si elle a été réglée en
24 heures, c’est un signe de force. » Ce petit supplément si pas de force, de confiance, Vladimir Poutine pourrait néanmoins le trouver dans la réaction des puissances occidentales qui ont pu considérer à la faveur de la marche sur Moscou que l’alternative plausible aujourd’hui à Vladimir Poutine, plus nationaliste, plus belliqueuse, n’était pas une option et qu’aux difficultés de la guerre en Ukraine, il n’était pas souhaitable d’ajouter l’instabilité de la Russie.

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